Comment le verger circulaire de l'Inrae tente de se passer de pesticides
Dans la Drôme, le projet Zéro phyto de l’Inrae fait le pari de reconcevoir la forme classique du verger et sa diversité afin de le rendre plus résilient.
Dans la Drôme, le projet Zéro phyto de l’Inrae fait le pari de reconcevoir la forme classique du verger et sa diversité afin de le rendre plus résilient.
Sur la ferme expérimentale Inrae de Gotheron, dans la Drôme, un verger très particulier est implanté depuis 2018. Constitué de cercles concentriques, il occupe 1,8 ha pour un diamètre d’environ 145 m et rassemble 14 espèces fruitières dont 33 variétés, et 23 espèces arbustives ou arborées en plantes de service. « Ce verger a pour objectif de voir s’il est possible de produire des fruits sans aucune utilisation de produits phytosanitaires, en mobilisant les services écosystémiques », contextualise Sylvaine Simon, chercheuse à l’Inrae, lors de la Rencontre chercheurs-professionnels fin novembre à Angers.
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Dans ce projet 100 % prospectif, « l’idée est d’utiliser la biodiversité végétale pour créer un espace dans lequel les ravageurs auront du mal à arriver, à s’installer, à se développer et à se disperser, poursuit la chercheuse. Donc un espace à la fois très défavorable aux bioagresseurs et très accueillant pour un ensemble d’auxiliaires. » La forme circulaire du verger permet de limiter l’interface de colonisation par les bioagresseurs et de « distribuer » la biodiversité autour d'une mare centrale.
Une structure en spirale pour la production
En partant de l’extérieur, le verger Zéro phyto de Gotheron est d’abord constitué d’une haie diversifiée qui constitue une barrière végétale à rôle de brise-vent, essentiel dans la vallée du Rhône, mais qui offre également le gîte et le couvert aux auxiliaires. Vient ensuite un cercle de pommiers constitué de variétés « pièges à pucerons », peu sensibles, et de variétés qui évitent le carpocapse car précoces. Le troisième cercle, ou cercle « muesli », est une barrière végétale et de diversification de la production, avec de nombreuses espèces fruitières : noisetier, figuier, petits fruits…
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La zone centrale est la zone à visée de production proprement dite, dans laquelle on a une alternance d’espèces entre rangs, et sur le rang une alternance de variétés. Cette zone (cercles R1 à R6 sur le schéma suivant) est formée de « six spirales emboîtées d’espèces fruitières, avec trois spirales de pommiers et trois spirales de fruitiers à noyau : prunier, abricotier, pêcher », décrit un article paru dans la revue INRAE Sciences Eaux et Territoires.
Optimiser les trajets au sein de la parcelle
« Chaque spirale est constituée d’un duo de variétés qui alternent un arbre sur deux. Cette diversité vise à accroître la résilience du système, c’est-à-dire sa capacité à produire malgré des aléas climatiques ou des attaques de bioagresseurs. Le choix d’implanter des spirales permet d’alterner les espèces à pépins/à noyau entre cercles (recherche d’effet barrière) tout en ayant le même nombre d’arbres en production dans chaque spirale en vue de produire des volumes valorisables (ce qui ne serait pas le cas si R1 était planté avec une espèce donnée). Enfin, cet agencement permet d'optimiser les trajets au sein de la parcelle, avec la possibilité de travailler sur une même espèce fruitière et donc sans « trajet à vide » sur une spirale donnée, ce qui limite le temps de déplacement et le tassement du sol. »
Un début de projet marqué par les aléas climatiques
« Ce dispositif évolue au fil du temps, avec un enrichissement en plantes de service en fonction des besoins identifiés : contrôle de bioagresseurs, fourniture d’azote, continuité florale toute l’année… », précise l'article de Sciences Eaux et Territoires. Comme les premières récoltes ont eu lieu en 2023, il faudra encore du temps pour évaluer les performances du verger Zéro phyto. « La première chose à souligner en termes de résultats, ce sont les aléas climatiques que l’on a subis depuis l’implantation du verger, témoigne Aude Alaphilippe, chercheuse à l’Inrae. C’est la plus grosse difficulté à laquelle nous avons dû faire face, davantage que le zéro phyto ».
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Grêle (juin 2019), neige précoce (novembre 2019), gel sur les fruits à noyau (2021, 2022)… Les premières années du verger ont été difficiles. « Nous avons cependant une bonne implantation des arbres, mis à part pour les abricotiers, favorisée par une bonne irrigation du verger et le choix du matériel végétal, dont les porte-greffes. Et nous avons eu quelques soucis avec le campagnol vis-à-vis des racines de pommier », poursuit Aude Alaphilippe.
Des taux de parasitisme élevés
En termes de biodiversité, un cortège diversifié d’auxiliaires prédateurs et parasitoïdes est bien présent dans le verger. Le service de régulation espéré, dans l’optique de favoriser la production, est aussi bel et bien là. « Les taux de parasitisme et de prédation sont élevés, assure Aude Alaphilippe. Par exemple, le taux de parasitisme sur les larves de carpocapse est supérieur à 30 % sur les trois dernières années. Un taux de prédation de 80 % est régulièrement dépassé, que ce soit pour les pucerons ou le carpocapse. » En 2023, la population de pucerons cendrés observée dans le verger a été très faible, que le contexte régional et national était très difficile.
Un taux de déchets assez faible
Au niveau des rendements, la patience est de mise. Les premiers rendements mesurés en 2023 ont été obtenus sur un verger jeune, dont l’implantation est plus lente qu’un verger classique. « Nous ne sommes pas encore en pleine production le dispositif n’est pas rodé », justifie la chercheuse. Néanmoins, un taux de déchets assez faible a été constaté, « inférieur à ce qu’on pouvait s’attendre sur ce verger. Cela confirme qu’il y a bien une régulation qui se met en place. »
« Il y a une proportion de premier choix plus élevée que ce qu’on imaginait, avec des taux de rendement faibles cependant pour la plupart des espèces fruitières », observe Aude Alaphilippe. Des résultats économiques seront présentés dans les années à venir. Une réflexion est en cours sur la manière de présenter les résultats pour un verger autant diversifié. « L’idée est de voir ce que chaque espèce fruitière représente en termes de rendement par rapport aux rendements globaux. » Des indicateurs comme la surface occupée par l’espèce, le temps de travail, le prix de vente (sans les charges) sont pris en compte. « Par exemple, d’après nos premiers résultats, la figue est assez intéressante en termes de valorisation, note la chercheuse. C’est un marché de niche, mais par rapport au volume de production, à l’occupation et au temps de travail qu’elle représente, on en tire un prix de vente qui est assez intéressant » (prix issu du MIN de Lyon, en bio).
Les autres vergers du projet Alto
Le verger circulaire Zéro phyto s’inscrit actuellement dans le projet multipartenarial Alto, dont l’objectif est de développer de nouveaux systèmes de production de fruits très bas intrants, voire sans pesticides. Il s’appuie sur deux autres dispositifs expérimentaux, en plus du verger circulaire, visant à reconcevoir l’espace de production de fruits et son pilotage : un verger multi-espèces au centre CTIFL de Balandran, et un verger agroforestier noyers à bois-pommiers-légumineuses à Restinclières dans l’Hérault, piloté par l’Inrae (UMR ABSys).