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« Un ministre ne peut pas créer une appellation contrôlée »

En charge de la politique de la qualité, l'Inao reste vigilant et proactif, 80 ans après la création de la première Appellation d'origine contrôlée. Son directeur, Jean-Luc Dairien, explique à fld quels sont les défis pour les signes de qualité.

FLD : En septembre, l'Inao (Institut national de l'origine et de la qualité) a engagé un partenariat avec le Concours général agricole (cf. fld hebdo du 14 septembre). C'est une victoire, une reconnaissance de la place des Siqo ?

JEAN-LUC DAIRIEN : Disons plutôt une démarche logique pour deux politiques publiques complémentaires, le concours étant la propriété du ministère de l'Agriculture et l'Institut étant en charge de porter la politique de qualité voulue par le ministère. L'Inao va apporter son expérience pour la formation des jurys du CGA qui vont mettre en avant les produits sous signe de qualité. Cela me permet de préciser à vos lecteurs quel est le rôle de l'Institut. Nous sommes, en quelque sorte, le bras séculier du ministère pour la mise en œuvre de la politique de qualité. Nous la portons auprès des consommateurs, des opérateurs à l'amont et à l'aval, ainsi qu'au niveau international afin qu'elle puisse se développer et nous gérons en interne ceux utilisant les Siqo qui veulent entrer dans la démarche ou s'interrogent sur leurs usages. Nous développons aussi des stratégies autour de la protection des terroirs contre les éventuelles agressions – artificialisation des sols, grands travaux, parking bétonné – y compris par le monde agricole et les collectivités locales, de l'usage trop intensif d'intrants aux dépôts de gravats...

FLD : Quel rôle joue aujourd'hui un Siqo vis-à-vis de l'attente sociétale du consommateur ?

J.-L. D. : La revendication première du consommateur porte sur l'origine du produit qu'il mange. C'est une demande à laquelle on se doit de répondre. Il faut se rapprocher de ce qui a été à l'origine de la démarche des Siqo. Face à la concurrence, des vignerons français ont trouvé, il y a presque un siècle, un dispositif, inscrit dans un cahier des charges, permettant de se distinguer, s'appuyant sur trois composantes – cépage, lieu de production et savoir-faire – matérialisables par un nom géo-graphique. Un corpus de lois est venu encadrer cette démarche qui a été par la suite étendue à d'autres productions et aujourd'hui au niveau européen.

« Qu'un distributeur veuille développer une filière qualité avec ses propres critères, il n'y a rien ici à redire tant qu'il n'y a pas tentative d'usurpation. »

Cela a plusieurs avantages : un lieu est unique, non délocalisable. On ne fait du bordeaux qu'à Bordeaux. Ce n'est pas spéculatif : l'appellation bordeaux demeure propriété commune des vignerons bordelais. Et ce qui est vrai pour le vin l'est pour les fruits et légumes. Cette démarche volontaire doublée d'un cadre juridique, avec comme éléments centraux l'identifiant et l'origine, est une vraie promesse de production faite au consommateur.

FLD : L'aspect volontaire de la démarche revêt donc une forte importance ?

J.-L. D. : En effet, nous n'obligeons personne à entrer dans la démarche. Il s'agit d'un processus de normalisation volontaire. Rien à voir avec une norme sanitaire, qui est obligatoire que cela plaise ou pas aux opérateurs. De plus, dans notre règlement, le monopole de la proposition réglementaire appartient aux professionnels. Un ministre ne peut pas créer une appellation contrôlée. Il peut l'accep-

Promotion : “Siqo is in the air...”

Jusqu'à la fin de l'année, dans les vols long courrier d'Air France, trois films de 4 min sont diffusés à bord.

Ils expliqueront aux passagers les spécificités de l'AOP, de l'IGP et du Label rouge.

Ainsi, dans le film “L'AOP, magie de la France”, seront présentés les critères nécessaires pour obtenir ce signe et les différentes étapes de production de certains produits : ici, il s'agira, entre autres, du piment d'Espelette. La démarche est similaire pour le film “L'IGP, un produit, un terroir” avec en vedette la mirabelle de Lorraine et pour “Label rouge, la qualité supérieure” (avec l'exemple des herbes de Provence).

Les films rappellent aussi les missions de l'Inao, en charge depuis 80 ans de la politique française relative aux Siqo. ter ou la refuser, certes, mais pas la créer. Rares sont les secteurs où l'initiative réglementaire n'est pas attribuée aux services de l'Etat ou au législateur. Il y a des domaines où “M. Medef” aimerait certainement avoir cette liberté. C'est ce qui rend curieux, voire paradoxal, les critiques de ceux qui sont dans la démarche des Siqo et disent que cela ne fonctionne pas. Ils ont toute liberté de faire autre chose. Nous passons beaucoup de temps à expliquer que rien n'empêche de faire autrement à côté de l'appellation. On fait aussi de très bons produits en dehors des signes de qualité. Il n'y a pas d'opposition.

La bio express de Jean-Luc Dairien

Jean-Luc Dairien, ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, est directeur de l'Inao depuis 2013. Précédemment, il a été directeur départemental des territoires et de la mer de l'Aude. A la tête, entre 1997 à 2004 de l'Office national interprofessionnel des vins (Onivins), il a par ailleurs occupé diverses fonctions techniques et administratives, notamment de conseiller au sein des cabinets de plusieurs ministres de l'Agriculture (Louis Le Pensec, Jean-Pierre Soisson, Louis Mermaz), de directeur du Comité national interprofessionnel de l'horticulture (CNIH), et de chef de service au sein de l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (Oniflhor).

F LD : Et par rapport à la demande environnementale ?

 

J.-L. D. : L'agro-écologie est un élément constitutif de la démarche des signes de qualité : prendre en compte le terroir, c'est aussi penser à sa préservation. Depuis 2015, les aspects agro-environnementaux, et la manière dont il est possible de les intégrer dans les cahiers de charges des Siqo, font l'objet d'une réflexion prioritaire par l'Inao. L'objectif est de définir dans les filières les actions jugées utiles dans ce domaine, afin que les producteurs engagés sous Siqo puissent se les approprier et les faire entrer dans le cahier des charges. L'Institut proposera, fin 2016-début 2017, une première série de mesures types qui répondent à cet objectif. Elles viendront compléter les cahiers des charges, toujours dans le cadre d'une démarche collective.

 

FLD : Dans le dispositif, la préservation du terroir et du savoir-faire est primordiale. Qu'en est-il de la partie économique ?

 

J.-L. D. : La mission de l'Inao n'est pas que de gérer des principes. Il faut aussi comprendre qu'il en va de la survie économique du Siqo et du producteur. Depuis deux ans, nous avons demandé à ce qu'un chapitre du cahier des charges soit consacré à la justification économique de la demande. L'Institut prend en compte cette approche légitime.

 

Mais cela suppose une gestion sérieuse, très sérieuse... Une fraise hors-sol n'a pas de lien au terroir, par définition, donc elle ne pourra pas être AOP ou IGP. En revanche, elle pourrait viser le Label rouge qui repose sur des savoir-faire techniques offrant une qualité supérieure. La “fraise de Plougastel” aurait dû déposer un dossier mais c'est aujourd'hui trop tard. Et quand il n'y a plus de pommes du Limousin AOP, et bien il n'y en a plus...

 

FLD : La grande distribution développe ses propres “signes” qualitatifs. Quelle cohabitation peut-on imaginer avec les Siqo ?

 

J.-L. D. : Ces signes se présentent comme nos concurrents, mais pour nous ce ne sont pas des concurrents. Nous ne sommes simplement pas sur le même registre. Je reconnais néanmoins que cela peut mettre un peu la pagaille pour le consommateur. Qu'un distributeur veuille développer une filière qualité avec ses propres critères, il n'y a rien ici à redire tant qu'il n'y a pas tentative d'usurpation. Ce que nous cherchons à faire comprendre, c'est qu'une logique d'entreprise avec un système de contrôle privé – qui n'est pas sans rappeler d'ailleurs l'autocontrôle – n'est pas illégitime. Mais elle n'a rien à voir avec un cahier des charges validé par l'Etat, validé par les instances européennes, assorti d'un plan de contrôle vérifié par des organismes indépendants sous tutelle de l'Etat et contrôlé par l'Europe. On ne parle pas de la même chose.

 

Qu'un distributeur trouve le concept intéressant et rentable, car ce ne sont pas des philanthropes, près de 80 ans après sa naissance, quelle clairvoyance de la part des fondateurs et de ceux qui ont par la suite peaufiné le dispositif.

 

FLD : Et que penser de marques “régionales” poussées par des associations comme “Produits en Bretagne” ou “Sud de France” ?

 

J.-L. D. : L'Inao a récemment travaillé avec l'Association des Régions de France sur ce thème des “bannières régionales”. Il peut y avoir une complémentarité entre les deux concepts. Pour notre part, dans la mesure du possible, nous préférerions que les produits Siqo ne soient pas amalgamés avec le nom de la bannière. Alternativement, on peut imaginer que les produits Siqo ne soient pas étiquetés avec cette bannière mais qu'ils puissent participer à la communication générique de cette marque régionale. En tout état de cause, nous devrions arriver à un protocole d'accord sur le sujet début 2017, qui permettra de gérer cette identité générique dans le cadre de la loi française et européenne.

 

FLD : L'Inao est aussi active sur le plan international...

 

J.-L. D. : Nous avons en effet la charge de défendre les signes de qualité français contre les attaques sur les marchés extérieurs. Nous travaillons avec plusieurs dizaines d'avocats internationaux pour mener des actions en justice contre toute tentative d'usage abusif d'un nom géographique cherchant à définir l'AOP ou l'IGP. Mais notre objectif n'est pas de punir mais de faire respecter les droits de chacun. Et la meilleure façon, c'est que ces mauvaises pratiques tombent en désuétude. Petit à petit, il faut montrer que notre système peut avoir un intérêt. Faire comprendre, par exemple, aux autorités chinoises que faire respecter les signes de qualité des produits dans le pays, c'est s'assurer que certaines variétés de thé chinois seront protégées en Europe. Une démarche similaire a été menée avec les producteurs de pommes de terre d'Idaho (Etats-Unis). Nous avons aussi des programmes d'assistance auprès des producteurs locaux, par exemple en Algérie pour la datte, l'olive...

 

FLD : En 2014, on se souvient de l'événement “Fête-moi signes”. Quelle communication se développe aujourd'hui pour les Siqo ?

 

J.-L. D. : Il est extrêmement difficile de communiquer sur un concept. Il est difficile de mobiliser le consommateur là-dessus alors que cela est plus aisé avec les produits. Expliquer en langage accessible au grand public et capable d'accrocher l'intérêt, ce n'est pas évident. De plus, une telle communication est coûteuse. Et cela renvoie bien sûr au budget. Parler du concept de Siqo brutalement ne fonctionne pas. Alors il est vrai que notre communication se cherche. Nous explorons plutôt comment nous adresser aux relais d'opinion, comme la presse, et aussi tester certaines communications comme notre partenariat avec Air France (lire encadré p. 7). A mon arrivée à la direction de l'Institut il y a quatre ans, la ligne budgétaire pour la communication était de zéro. Aujourd'hui, deux personnes s'en occupent. Nous pouvons espérer que 3 % du budget 2017 soit affecté sur la communication pour expliquer la démarche. C'est ce qui a été demandé par le président du conseil permanent de l'Institut.

 

« L'Institut proposera, fin 2016-début 2017, une première série de mesures types qui répondent aux objectifs de l'agro-écologie. Elles viendront compléter les cahiers des charges. »

 

FLD : Finalement, 80 ans après sa création, le concept de Siqo se porte bien ?

 

J.-L. D. : Les Siqo, c'est une politique publique qui existe depuis cette époque sans être contestée et qui est passée d'une situation monoproduit, monopays de ses débuts à un environnement multiproduits, multipays aujourd'hui. Si elle n'avait pas prouvé son utilité, elle ne serait peut-être plus là.

 

Il est vrai que le dispositif, appuyé par la force publique, est très opérant quand il fonctionne. Il faut cette force pour défendre une appellation sur la scène internationale. Quand une filière professionnelle, l'autorité nationale et celle européenne sont d'accord et tirent dans le même sens, c'est redoutablement efficace. Le pendant à cela, c'est que cela peut prendre un peu de temps, ce qui explique que l'on nous reproche souvent d'être très lents. J'assume à la fois la lenteur – pour trouver ce consensus, il faut du temps – et la critique parce qu'il est vrai que, dans certains cas, on pourrait accélérer un peu.

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