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Antoinette Hubert, commissaire de l’exposition “Ripailles et Rogatons”
Un éclairage unique sur le repas médiéval

Pendant neuf mois, l’alimentation au Moyen Age est à l’honneur au cœur du pays de France. Antoinette Hubert, commissaire de la première expo temporaire thématique du tout nouveau musée Archéa, nous a accordé une interview.

Fld : Pourquoi une première exposition thématique sur l’alimentation au Moyen Age ? Est-ce l’inscription de la gastronomie et du repas à la française au patrimoine immatériel de l’Unesco ?
Antoinette Hubert :
Dans leur décision de création d’exposition, les musées partent souvent des collections qu’ils conservent. Ici, à Archéa, nous avons énormément d’objets de l’époque médiévale. Pour intéresser le grand public nous avons choisi l’alimentation, un thème universel qui concerne tout un chacun. C’est aussi un bon moyen d’amener à réfléchir sur les aliments eux-mêmes et les habitudes alimentaires. Ce sujet, qui parle à tout le monde, permet de bousculer un peu les idées reçues sur l’époque médiévale.

Fld : Pourquoi Ripailles et Rogatons ?
A. H. :
Ripailles symbolisent l’abondance, et rogatons, l’art d’accommoder les restes. L’exposition aborde la façon dont s’alimentaient les ruraux comme les bourgeois locaux du pays de France. Jusqu’à une période récente, on était plus renseigné sur les tables royales et aristocratiques grâce aux données archéologiques venant de sites prestigieux. Le développement de l’archéologie préventive [réalisée avant les aménagements lors de travaux autoroutiers, voies ferrées, etc. NDLR] a permis la mise au jour de nombreux sites urbains et ruraux. Les objets découverts nous permettent de mieux connaître la vie quotidienne et notamment les régimes alimentaires de différentes catégories sociales. Les enluminures, en particulier dans les calendriers médiévaux ou encore les livres de médecine puis de cuisine, renseignent aussi sur la vie rurale dans le Nord de la France. Il s’agit de croiser les sources et les informations pour confirmer des hypothèses ou chasser les idées reçues : la viande était par exemple consommée fraîche et non faisandée en masquant le goût par des épices. L’archéozoologie (étude des relations entre l’homme et l’animal) renseigne ainsi sur la découpe de boucherie et la cuisson des viandes.

Fld : Dans le monde rural, que mangeait-on ? Qu’est-ce que le potage paysan ?
A. H. :
A l’époque médiévale, les céréales, tout particulièrement le pain, constituent l’essentiel de l’alimentation paysanne. Légumes, légumes secs et herbes, cultivés dans les jardins ou récoltés dans la nature, constituent cependant un apport conséquent. On trouve ces potagers dans les campagnes comme en ville. Mais ce sont les monastères et les abbayes qui développent des jardins des simples qui rassemblent toutes les herbes aromatiques et médicinales connues : thym, sauge, romarin, mélisse... Il n’y a pas alors de frontières précises entre l’alimentation, la médecine et la religion. Tout le monde a connaissance des vertus médicinales des plantes aromatiques, dont certaines sont encore reconnues : la sauge qui soigne toutes sortes de maladies est la plus fréquemment cultivée, avec la menthe, le thym ou l’hysope. Les fruits, pêches, merises ou griottes, ainsi que les pépins et noyaux étaient parfois utilisés dans les préparations pharmacologiques (décoctions...). On a déjà connaissance de l’utilisation de la greffe sur les arbres fruitiers, en particulier dans les monastères. En milieu rural, les récoltes de fruits sauvages étaient importantes pour les plus démunis (mûres de ronce, prunelles, nèfles, noix et noisettes). Les plus riches avaient des vergers pour cultiver pommes, coings, ou pêches… A la hiérarchie sociale, correspond une hiérarchie des aliments. Tout ce qui est dans les airs est mieux considéré, car proche de Dieu, que ce qui pousse dans le sol. Ce qui explique que les légumes, notamment les racines poussant dans le sol, sont mal vus par les plus riches. C’est une des influences fortes de la religion sur l’alimentation. Les fraises des bois, à ce propos, ont déclenché de nombreuses discussions, car elles poussaient près du sol. Nous n’avons aucune donnée sur la composition exacte du potage paysan, tout au plus pouvons nous dire qu’il s’agissait d’un bouillon cuit dans une marmite, souvent agrémenté d’oignon et d’ail, parfois avec des morceaux de viande. Sa recette était trop simple pour être évoquée dans les ouvrages de cuisine. Tout au plus l’approche-t-on dans les recettes pour malades, chez les plus riches. Dans les textes et les images, nous n’avons que très peu de choses sur comment se nourrissaient les paysans. C’est tout l’enjeu de l’archéologie, de nous renseigner sur l’alimentation de cette majorité de la population.

Fld : Comment étaient consommés les f&l ?
A. H. :
La méfiance est alors forte pour ce qui est cru, en partie parce que le temps de digestion est jugé plus long. Selon les principes de médecine, le corps, composé des quatre éléments (le feu, l’air, l’eau et la terre) est vu comme une cheminée, où l’estomac a le rôle de chaudron. La digestion, facteur de bonne santé, est associée à une véritable cuisson. Les cuissons préalables se multiplient avant l’ingestion des aliments. Chez les plus riches, les viandes étaient ébouillantées, cuites au bain-marie, puis frites ou rôties. Certains fruits, cerises ou melons, étaient consommés crus au début du repas. Mais le plus grand nombre était cuit, consommé en compotes juste avant le fromage qui avait pour mission de “pousser” les aliments dans l’estomac. Le recueil sur la santé (Tacuinum Sanitatis) du médecin persan Ibn Butlan nous renseigne sur les conceptions médiévales héritées de la médecine antique et notamment la théorie des quatre humeurs. La composition du sang découlerait de l’ingestion des aliments. Ceux-ci sont classés par catégories – chaude, froide, sèche ou humide – subdivisées en degrés. Ainsi les épices sont jugées sèches et chaudes, alors que le poisson sera froid et humide comme les fruits crus. Par la cuisson et l’alimentation, l’homme médiéval cherche à trouver, ou conserver, un équilibre.

Fld : Vous avez parlé de l’influence importante de la religion sur l’alimentation, qu’en est-il ?
A. H. :
Au Moyen Age, l’Eglise encadre la vie quotidienne de la majorité de la population. Elle recommande le jeûne pour purifier le corps et gagner son salut. Il a lieu pendant le Carême, en fin de semaine, aux changements de saison (les quatre temps) et souvent les jours précédant un jour de fête (dit jour gras). Il représente 120 jours, soit un jour sur trois, durant lesquels certains aliments sont interdits et notamment la viande (jugée chaude et sèche) qui énerve et “échauffe” le sang. Durant ces jours dits maigres, elle est remplacée par le poisson. Celui-ci devient l’aliment roi, symbole de ces temps de frugalité. A côté de la pêche en rivière, les bassins et les viviers se développent autour des châteaux et des abbayes. Puis à partir du XIVe siècle la pêche en mer alimente de nombreux marchés. Par la force des choses, l’alimentation paysanne est plus équilibrée (selon nos critères actuels) que celle des nobles qui consomment de grandes quantités de viandes au détriment des légumes. L’Eglise recommande également d’aller à la messe à jeun le matin et de ne prendre que deux repas par jour (midi et soir). Les paysans, pour accomplir les travaux des champs, prennent un déjeuner le matin et une collation sur leur lieu de travail. Seuls les pèlerins, les voyageurs, les femmes enceintes et les jeunes enfants étaient autorisés à ne pas suivre le carême.

Fld : Qu’en est-il du lieu de cuisine ?
A. H. :
Chez le paysan, la cuisine se fait au sol, sur le foyer de la maison, où la marmite est posée sur un trépied en métal. La cheminée ne se généralisera que plus tard, après le XVIe siècle. En milieu bourgeois, la cheminée, signe de richesse, permet de faire rôtir viande et poisson. A table, on mange avec les doigts de la main droite. Couteau et cuiller sont individuels, le reste est partagé avec son voisin. Le tailloir (l’ancêtre de l’assiette) en bois ou en métal sert à poser la tranche de pain (tranchoir) et à couper les aliments. Le service est dit à la française : tous les plats arrivent en même temps. C’est tout le rôle social de la table que l’on retrouve alors : règles de savoir-vivre, de partage (jusqu’au verre sauf chez les plus riches). Recevoir, chez les plus riches, était aussi un moyen de montrer toute l’importance que l’on accorde à l’hôte que l’on accueille.

Fld : D’où vient cette renaissance de l’époque médiévale aujourd’hui ?
A. H. :
Au XVIIIe siècle, à l’époque des Lumières on a voulu mettre un drap noir sur cette époque. Dans les années 30, tout un travail de méthode et d’analyse a été mené avec Marc Bloch* et l’intérêt pour le Moyen Age a ressurgi. Les historiens et les archéologues ont travaillé en croisant leurs sources, sur des sujets plus proches de la vie quotidienne et des travaux de recherche ont été vulgarisés (cf. les travaux de Georges Duby* et Jacques Le Goff*). Et puis l’archéologie s’est développée avec l’archéologie préventive et organisée de façon professionnelle (Institut national de recherches archéologiques préventives, Inrap) à côté des associations de bénévoles. Les découvertes sur le territoire se sont multipliées. Après l’engouement pour l’Egypte, on sent que le grand public a une vraie volonté de redécouvrir le patrimoine local.

Fld : Avez-vous prévu des manifestations particulières pour accompagner l’exposition ?
A. H. :
Nous participons à la Fête de la Science la semaine du 9 octobre avec la projection du film “Les visiteurs du soir” et à la Semaine du goût du 17 au 23 octobre. Des ateliers pour adultes et pour enfants, autour de recettes médiévales, sont proposés pendant la durée de l’exposition. Des conférences-visites-apéros sont aussi organisées. La prochaine, le 25 novembre, aura pour thème le pain, et celle du 27 janvier portera sur le rire à table.

* Historiens médiévistes.

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