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Tomate : comment le virus ToBRFV bouscule la production

En quelques années, le ToBRFV aura bouleversé la production mondiale de tomate et entraîné un changement variétal. En France, la réaction rapide des professionnels et de l’État a jusqu’ici permis de limiter les dégâts. La bascule vers des variétés résistantes est toutefois engagée.

Depuis 2018 et plus spécialement depuis deux ans, un sujet est devenu la principale préoccupation des producteurs de tomate : le ToBRFV Tomato brown rugose fruit virus »), virus très contagieux, qui peut causer de gros dégâts et contre lequel aucun traitement et aucune variété résistante officiellement reconnue n’existait à ce jour.

Un protocole sanitaire dès 2019

« Au-delà des symptômes, le virus affaiblit les plantes, indique Claire Goillon, directrice de l’Aprel (Bouches-du-Rhône). Les pertes de rendement peuvent atteindre 100 %. » Véhiculé par les semences, les plants, les fruits infectés et l’activité humaine (manipulations, outils…), dans une moindre mesure par les insectes et les oiseaux, le ToBRFV est par ailleurs très stable en dehors des plantes et peut survivre des mois sur une surface inerte. En France, le virus a été identifié la première fois en Bretagne en février 2020. De nouveaux foyers ont été signalés en 2021 (Lot-et-Garonne, Bretagne), 2023 (Ouest) et 2024. « En 2023, dix foyers représentant 50 ha ont été recensés, indique Valéry Goy, référent technique de l’AOPn Tomates et concombres de France. Et en 2024, treize foyers représentant 50 ha avaient été déclarés début septembre. »

Le Sud-Est, épargné jusqu’ici, a ainsi été touché en 2024 sur deux exploitations hors-sol et une en sol. Et d’autres foyers ont à nouveau été déclarés en Bretagne, Pays de la Loire et Sud-Ouest. « Les pertes ne sont pas de 80 %, mais peuvent être significatives », constate Florentin Boiziot, responsable technique à Rougeline. Comparées aux pays voisins (Pays-Bas, Espagne…), les pertes de rendement et la diffusion du virus sont toutefois pour l’instant moins importantes que ce qui était redouté. Dès 2019, le virus étant présent aux frontières de la France, la cellule de veille créée en Provence-Alpes-Côte d'Azur en 2005 face au TYLCV (« Tomato yellow leaf curl virus ») a été réactivée, puis étendue au niveau national. Un protocole insistant sur la prévention et la prophylaxie a également été largement diffusé.

Essais orientés sur les variétés résistantes

Toutes ces mesures, une concentration moindre qu’aux Pays-Bas par exemple, une organisation du travail différente… ont permis de limiter la diffusion du virus et son impact sur la production. Les producteurs toutefois sont bien conscients qu’ils devront désormais vivre avec le ToBRFV et que la poursuite de la production passera par un changement variétal. Si aucune résistance au ToBRFV n’est officiellement établie, les semenciers proposent déjà des variétés offrant différents niveaux de résistance, essentiellement en tomate ronde, grappe et petits fruits, variétés déjà largement utilisées dans les pays plus touchés. En France, de nombreux essais sont menés depuis deux ans dans les stations expérimentales (Caté, Aprel, CTIFL…) et au sein des organisations de producteurs pour évaluer les variétés résistantes en termes de comportement, facilité de travail, résultats agronomiques, qualité, goût.

Rougeline a ainsi dédié depuis deux ans deux sites à l’expérimentation d’une centaine de variétés résistantes. « Au Caté, 80 % des cent quarante variétés que nous testons cette année en grappe, cœur de pigeon, cocktail et cerise grappe, sont résistantes au ToBRFV, contre 10 % en 2023 », précisent Glynis Bentoumi et Alain Guillou, du Caté (Finistère). « En 2025, nous allons tester dix-huit variétés résistantes de tomate cerise de différentes formes et couleurs », indique Raphaël Tisiot, du centre CTIFL de Balandran. À l’Aprel, des essais sont menés sur les variétés de diversification.

Un choix encore complexe

Pour l’instant, les variétés proposées sont globalement un peu moins productives que les références, de 5-10 % en gros fruits, et parfois de moindre qualité, même si certaines approchent les rendements des références sensibles et sont déjà assez utilisées (Tobinaro (EZ) en ronde, Rhodium (EZ) en grappe…). En l’absence de classement officiel des niveaux de résistance, des incertitudes demeurent aussi sur leur niveau réel de résistance. Enfin, la conduite pour ces variétés reste encore à définir. Leur adoption sur le terrain est donc très variable selon les segments, le climat, le risque de contamination… « Les producteurs touchés par le virus adoptent des variétés résistantes, constate Florentin Boiziot. Pour les autres, la décision est plus complexe, entre la certitude d’une baisse de rendement avec une variété résistante, par ailleurs plus coûteuse, et le risque potentiel de contamination et de pertes plus importantes. »

« En Bretagne, les producteurs impactés par le virus cultivent déjà en partie des variétés résistantes, note Alain Guillou. Certains pourraient aussi temporairement se diversifier en poivron, fraise… Il est difficile de savoir quel sera le choix des producteurs non concernés pour 2025. » Et en tomates anciennes, l’offre de variétés résistantes est encore très limitée, même si des nouveautés sont annoncées pour 2025. « En 2024, nous avons identifié une variété de tomate côtelée rouge qui répond aux attentes et que nous allons mettre dans nos préconisations en variété à essayer, indique Claire Goillon. Mais pour les autres types de tomates anciennes, nous n’avons trouvé aucune variété satisfaisante. »

Augmentation du coût de production

Le choix ou non de variétés résistantes devrait aussi s’accompagner de modifications des conduites. « Des plants stressés sont plus sensibles aux virus, explique Valéry Goy. Nous allons revoir les conduites pour garder davantage de réserves dans les plants et nous réorienter vers des porte-greffes plus forts. » Tous ces changements toutefois ont et auront un coût. Outre le coût de la prophylaxie, les producteurs sont confrontés à la forte hausse du prix des semences.

Comme pour toute nouvelle variété et encore plus dans ce cas où des moyens importants ont dû être mobilisés rapidement pour la recherche de résistances, les prix des semences des variétés résistantes sont en effet beaucoup plus élevés, entraînant la hausse du prix des plants. « Le coût des plants est passé de 2-3 €/m² à 7-8 €/m², évalue Valéry Goy. Leur coût est désormais équivalent aux coûts de chauffage. » « Et cela sans gain de productivité et dans un contexte inflationniste sur tous les intrants », souligne Florentin Boiziot.

En France depuis 2020

Observé pour la première fois en Israël en 2014, le virus a été trouvé en 2018 sur tomate au Mexique, aux États-Unis, en Allemagne et en Italie, puis en 2019 aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Grèce. Depuis, les signalements se multiplient en Amérique du Nord et du Sud, au Moyen-Orient, en Europe, en Asie, en Afrique (Maroc…) et depuis peu en Australie. En Europe, en juillet 2023, le virus était présent aux Pays-Bas, en Espagne, France, Italie, Belgique, Allemagne, Grèce, Royaume-Uni, Finlande, Norvège, Albanie, Autriche, Bulgarie, République tchèque, Hongrie, Pologne, Suisse, Portugal, Slovaquie. Virus de la famille des Tobamovirus (comme le ToMV et le TMV), le ToBRFV peut infecter la tomate, le poivron et quelques hôtes alternatifs, dont la morelle noire. Sur tomate, les symptômes portent sur les feuilles (mosaïque, jaunissement nervaire, chlorose, marbrure, déformations), les calices et pédoncules floraux (lésions nécrotiques) et les fruits (maturation irrégulière, taches jaunes ou brunes, décoloration).

Cellule de veille et protocole prophylactique

« La cellule de veille a permis de mobiliser rapidement les producteurs, organisations de producteurs, chambres d’agriculture, Ceta, stations expérimentales, l’Inrae et les services de l’État… pour mettre en place des mesures de prévention et partager les informations », indique Claire Goillon, animatrice de la cellule. Un protocole sanitaire pour la prévention et la lutte contre le ToBRFV a été établi dès 2019, puis mis à jour en 2023. « Comme c’est un virus de contact, qui se transmet très facilement, le protocole insiste sur la prévention contre l’introduction du virus par les semences, les plants, le matériel et les personnes, mais aussi sur la surveillance pour une détection précoce et les mesures de confinement », résume Claire Goillon.

Détecter le virus précocement

Ce protocole, largement diffusé au niveau national, a permis de mettre en œuvre des mesures de prévention contre l’introduction du virus. La majorité des producteurs n’utilisent plus que des plants d’origine France. Le personnel a été formé sur le ToBRFV et des analyses sont mises en œuvre pour le détecter précocement (analyse des eaux de drainage, tests rapides sur feuilles). La prophylaxie sur les exploitations (personnel dédié, lavage des mains, pédiluves, désinfection des outils…) a été développée, notamment dans les zones touchées, pour éviter l’introduction du virus et limiter sa diffusion sur l’exploitation. Des mesures ont été mises en place aussi sur les stations, pour éviter les contaminations croisées à partir de produits infectés (équipes et zones dédiées, désinfection des caisses…).

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