Quels impacts a le gel sur l'itinéraire technique du verger ?
Le gel vient menacer le potentiel de production du verger, mais il remet aussi en question la protection sanitaire, tout en bousculant les pratiques de l’année suivante. Les économies ne sont pas toujours là où l’on croit [texte : Emmanuel Delarue].
Le gel vient menacer le potentiel de production du verger, mais il remet aussi en question la protection sanitaire, tout en bousculant les pratiques de l’année suivante. Les économies ne sont pas toujours là où l’on croit [texte : Emmanuel Delarue].
Chaque année, les productions fruitières qui se trouvent à un stade phénologique plus avancé que par le passé, se montrent davantage exposées au risque de gel. Ainsi, les vergers sont amenés à subir potentiellement plusieurs épisodes de gel au cours d’une saison. Une vague de froid est capable d’altérer plus ou moins fortement le potentiel de production, au point d’engendrer alors une perte du chiffre d’affaires.
Ainsi, le chef d’exploitation se lance à la recherche d’économies d’échelles, qu’il peut réaliser dans un contexte d’absence de trésorerie annoncée. Certains peuvent avoir déjà réalisé des frais dans leurs vergers, et la tâche de chacun consiste à faire le point sur le potentiel de production et à définir les priorités. Il peut s’agir d’économies sur des itinéraires techniques contraints, par exemple sur la taille, le désherbage, la formation sur un jeune verger, etc.
Des questionnements légitimes
Se posent aussi les questions autour du déploiement des filets paragrêle, de la gestion de l’irrigation ou de la fertilisation. Mais faute de fruits à venir en quantité, toutes les économies d’échelle ne sont pas forcément judicieuses. Des chantiers non lancés peuvent en effet conditionner la qualité des fruits qui pourraient malgré tout être récoltés, mais aussi impacter la récolte de l’année suivante, en volume et qualité. Il faut donc faire des choix sur certains postes sachant que, dans le même temps, les investissements sont souvent décalés.
« Avec un coût de protection phytosanitaire par hectare de l’ordre de 2 000 €, hors intervention, les arboriculteurs peuvent logiquement s’interroger sur la nécessité de protéger ou de traiter leurs productions et sur les économies qu’ils pourraient réaliser », indique Pascal Borioli, directeur du GRCeta de Basse Durance. Mais la lutte antigel n’est pas sans impact sur la protection sanitaire du verger et l’évolution des Indices de fréquence de traitement (IFT), puisqu’une réduction des interventions par choix entraîne souvent une hausse des potentiels d’inoculum, en fonction de l’espèce.
Arrêt des couvertures anti-monilia
En fruits à noyau, si le gel survient en période de floraison, on sait que la menace cloque n’est pas terminé par exemple. L’arrêt des couvertures anti-monilia expose aussi la production en cas de pluie après le gel. Même risque avec l’oïdium. Si les interventions se réduisent ou les cadences sont plus espacées, des inoculums peuvent s’installer et exploser très vite. Des dangers existent aussi en fruits à noyau (voir encadré). L’impact de la protection antigel est essentiellement lié à la gestion de l’eau et à l’aspersion en général. Dans le cadre d’une lutte antigel, on peut apporter par aspersion sur frondaison une base de 40 m3 par hectare et par heure d’eau sur le végétal.
Selon les durées d’antigel et le nombre de nuits de protection, une dégradation potentielle des bandes de roulement et des tassements du sol peuvent altérer le potentiel de croissance du verger. Une stratégie de protection antigel avec de l’aspersion sur frondaison sur abricotier pose aussi par exemple la question de la gestion du monilia. En ce qui concerne la tavelure, même si on a pendant longtemps considéré que le risque de germination d’une spore par basse température n’était pas réaliste, les analyses de risques montrent aujourd’hui qu’il peut y avoir des contaminations par temps froid, comme dans le cas de plusieurs nuits successives de protection antigel.
Problématiques d’asphyxie du sol
Évidemment, l’aspersion doit nécessairement anticiper toute stratégie préventive phytosanitaire, par rapport au risque de lessivage. Mais il y a aussi toutes les problématiques d’asphyxie au niveau du sol. « Apporter beaucoup d’eau réduit l’oxygène disponible au niveau des racines. Si cette situation se prolonge, des dépérissements et des maladies physiologiques peuvent s’installer. On observe alors la chute de feuilles, des chloroses ferriques, des dépérissements du système racinaire, voire des nécroses au niveau du collet, avec l’apparition de chancres », détaille Pascal Borioli.
De multiples conséquences en cascade
La casse mécanique des charpentes – sur des gobelets en fruits à noyau en raison du poids de la glace par exemple – est une autre conséquence éventuelle à prévoir de l’emploi de l’aspersion. Et dans le cas de gel engendrant une perte partielle de la production, l’altération du rendement total peut avoir également des conséquences inverses d’une stratégie de protection phytosanitaire revue à la baisse. Sur pêche ou nectarine, des variétés en sous-charge deviennent beaucoup plus sensibles à des mécanismes de microfissures et de monilia.
Au-delà des aspects phytosanitaires et de la stratégie de protection qui se voit impactée, la pratique de la fertilisation doit aussi être reconsidérée : il sera alors nécessaire de réadapter les niveaux de fertilisation à la charge que l’on va laisser porter aux arbres. Car, outre une altération du potentiel de production et une forte floraison à craindre l’année suivant le gel, les multiples conséquences du gel sont bien souvent à appréhender en cascade pour les producteurs. Les choix et les économies d’échelle à faire doivent en tenir compte.
Un impact logique sur les IFT
En fruits à pépins, même si une parcelle est fortement altérée par le gel, il est conseillé de ne pas négliger la pose de la confusion pour permettre un bon maillage territorial. « Renoncer à la pose de la confusion sexuelle exposera notamment au carpocapse. Et sur les autres insectes comme la tordeuse orientale, la mineuse et la zeuzère en jeune verger, l’allègement significatif de la stratégie de couverture augmente généralement aussi l’inoculum et la pression qui s’installera pour l’année d’après », indique Pascal Borioli. Sur les IFT classiques ou de biocontrôle, l’impact est comparable l’année du gel. L’IFT moyen est divisé par trois ou quatre.
Dans les exploitations, la réduction de la stratégie de protection phytosanitaire est systématique. « Les arboriculteurs traitent beaucoup moins certains bioagresseurs, en général des ravageurs ou des maladies sur fruits. Les stratégies des maladies de conservation se réduisent aussi. Et sur certaines nécroses du feuillage, si les conditions demeurent favorables en été, les interventions sont allégées ou annulées, avec pour conséquence des inoculums considérables dans les mois qui suivent. De fait, l’année suivante, les IFT sont souvent supérieurs à la normale, parce qu’il faut compenser ce que l’on n’a pas fait l’année précédente », témoigne le spécialiste. Bref, on le voit, l’impasse n’est pas toujours bénéfique.