Pommes : comment réduire leur empreinte carbone
Des chercheurs ont étudié l’empreinte carbone des pommes. Si le transport et l’emballage sont les principaux contributeurs, des leviers peuvent permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre à tous les niveaux, du verger jusqu’au consommateur.
Des chercheurs ont étudié l’empreinte carbone des pommes. Si le transport et l’emballage sont les principaux contributeurs, des leviers peuvent permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre à tous les niveaux, du verger jusqu’au consommateur.
À l’initiative de l’Association nationale pomme poire (ANPP), de Blue Whale, du club Pink Lady® et de l’Afidem(Association française interprofessionnelle des fruits et légumes à destinations multiples), des chercheurs ont étudié l’empreinte carbone des pommes et les leviers permettant de la réduire. « Deux tiers des surfaces de l’ANPP sont labellisées Vergers écoresponsables et sont donc en agroécologie, » a souligné Daniel Sauvaitre, président de l’ANPP, lors d’une conférence au Sival. « Et l’ANPP est à l’écoute des attentes sociétales pour compléter le label et proposer des itinéraires qui améliorent la captation du carbone et réduisent les émissions de gaz à effet de serre. »
Dans le cadre de l’appel à projet GreenGo de l’Ademe, les partenaires ont étudié les émissions de gaz à effet de serre (GES) en partant du verger jusqu’au consommateur, en intégrant ainsi le débouché de la transformation. Dix vergers, dont deux bio, ont été étudiés par le biais de l’Analyse du cycle de vie (ACV) : deux vergers précoces (Gala), quatre tardifs (Pink Lady®), un intermédiaire (Golden), un verger de Golden dédié à l’industrie et un verger utilisant la variété tolérante tavelure Juliet. Leur durée de vie était de 20 à 30 ans et les rendements de 44 à 80 t/ha. Un verger de référence a aussi été créé à partir de quatre des vergers, pour étudier l’impact de différents leviers.
Plusieurs leviers cumulables
Les émissions de GES des vergers étudiés varient de 51 à 136 g eq. CO2/kg (« équivalent CO2 » par kilo) de pomme (87 g eq. CO2/kg de pomme pour le verger de référence). Les vergers bio, du fait de rendements inférieurs, ont des émissions plus élevées au kilogramme de pomme, mais sont meilleurs sur d’autres indicateurs, notamment la biodiversité. La mécanisation représente 46 à 75 % des émissions. La taille, l’éclaircissage, la récolte, la manipulation des filets en représentent 15 à 39 %, l’application des produits phytosanitaires 8 à 29 % et les autres opérations (tonte, préparation du sol, broyage…) correspondent à 10 à 37 %.
Les chercheurs ont étudié douze leviers pour réduire ces émissions. Une plateforme électrique réduit les émissions de 20,4 %, le système Stop & Start de 8,2 %. « Blue Whale incite les producteurs à s’équiper de plateformes électriques et du système Stop & Start », précise Emmanuelle Terrien, animatrice RSE chez Blue Whale. Bien qu'encore à l’étude, la pulvérisation fixe réduit les GES de 8 %, la fertirrigation de 4,6 %. Couvrir le sol de légumineuses diminue les émissions de 3,6 %, choisir une variété tolérante à la tavelure de 3,3 %, pratiquer l’écoconduite de 2 %.
Autres pistes de considération : installer un variateur sur la pompe d’irrigation (émissions réduites de 0,3 %, consommation électrique réduite de 15 %), remplacer l’engrais minéral par un engrais organique (-1,5 %). « La réduction varie de 0,3 % à 20,4 % et les leviers sont cumulables », précise Ariane Grisey, du CTIFL. Actuellement, le niveau d’adoption de ces leviers est assez faible, d’au mieux 10 % pour la fertirrigation et de seulement 5 % pour l’écoconduite et 1 % pour les couverts de légumineuses. « La faisabilité technique et économique varie selon les leviers, » note Ariane Grisey. « Il y a des freins de coût, de temps, de manque de références… »
Importance du transport
Le CTIFL a calculé les émissions de GES liées aux circuits de commercialisation. Les hypothèses étaient un transport de 1 km du verger aux bâtiments, de 30 km de l’exploitation à la station, neuf mois de stockage, un trajet de 283 km jusqu’à la plateforme logistique, puis de 30 km jusqu’au magasin et enfin de 7 km dans la voiture du consommateur, avec un poids des pommes dans ses achats de 8 %. Les postes les plus émetteurs sont, premièrement, le transport du magasin au domicile, qui représente plus de 40 % de l’impact carbone (0,22 kg eq. CO2/kg de pomme, avec de grosses variations selon la distance), puis l’emballage, responsable de 20-30 % des émissions (0,09 kg eq. CO2/kg) et enfin le verger, responsable de 15-20 % des GES (0,09 kg eq. CO2/kg émis, stockage du carbone).
Vient ensuite le trajet de la station à la plateforme logistique, avec là aussi de gros écarts selon la distance. « Le transport pèse beaucoup sur l’empreinte carbone des pommes, » souligne Claude Coureau, du CTIFL. « En passant le taux de chargement des camions de 50 % à 80 %, il y a plus de 25 % de gain sur l’impact carbone. » Et d’autres améliorations aussi sont possibles : remplacer le camion par le train ou le bateau, passer du gazole à l’électrique, mieux remplir les camions (multi-produits), avoir un approvisionnement plus local des plateformes, éviter les retours à vide…
Investissements et bonnes pratiques en station
Les émissions des stations sont de 40 g eq. CO2/kg de pomme. Des améliorations sont possibles avec les variateurs de vitesse, l’isolation des chambres froides, la haute pression flottante, la récupération de chaleur sur le groupe froid… On peut noter comme autres leviers également : asservir les ouvertures de porte, la ventilation et le dégivrage à la production de froid, fermer les couloirs, augmenter de 1 °C la température des chambres froides, réduire les fuites d’air comprimé… Un point essentiel est aussi l’origine de l’électricité. Alors qu’avec le charbon, les émissions sont de 1 kg CO2/kWh, elles ne sont que de 0,06 kg CO2/kWh avec le nucléaire. « Pour les mêmes pratiques, on peut avoir des bilans très différents selon le mix énergétique », souligne Claude Coureau.
Des améliorations encore possibles
Des évolutions sont déjà mises en œuvre. « Début 2023, nous avons réduit notre consommation d’énergie de 15 %, grâce au photovoltaïque, en augmentant l’épaisseur des panneaux sur les derniers investissements, ou encore en arrêtant les tunnels de séchage gaz, » indique Jacques Malagié, directeur de la coopérative Vergers d’Anjou, adhérent de Blue Whale. « Mais nous ne maîtrisons pas le mix énergétique de la France. » Et bien sûr, un levier essentiel est la réduction des emballages. « L’empreinte carbone des pommes est limitée par rapport à d’autres secteurs de l’agriculture, mais des améliorations sont encore possibles », conclut Xavier Le Clanche, responsable de la démarche Vergers écoresponsables. « Ce travail permet de prioriser les actions à mener, » estime Vincent Coulomb, de l’Ademe. « Il faut aussi informer le consommateur qui a un poids très important. Il y a une volonté politique de faire aboutir l’affichage environnemental en alimentation d’ici fin 2023. »
L’analyse du cycle de vie
Les émissions de GES ont été calculées par l’Analyse du cycle de vie (ACV). « C’est une méthode transparente et normalisée, utilisée dans Agribalyse et qui servira pour l’affichage environnemental », précise Ariane Grisey, CTIFL. La méthode comprend 18 indicateurs, dont l’impact sur le changement climatique (empreinte carbone). Au verger, elle prend en compte tous les intrants (fumure organique, minérale, produits phytosanitaires, plants, énergie… ), leur processus d’application (tracteurs, outils, carburants) et tout ce qui sort de la parcelle (produit principal, coproduits, émissions de N2O, NO3-, P, pesticides, érosion…). Deux outils ont été utilisés : Mean d’INRAE pour la collecte et le calcul des émissions directes de GES, et SimaPro, le logiciel d’ACV.
Augmenter le stockage du carbone : « Broyer et réincorporer plutôt que brûler »
Le projet GreenGo de l’Ademe a permis de calculer le stockage du carbone assuré par un verger au bout de 20 ans. Le stockage par les arbres fruitiers est de 10 à 30 tonnes carbonne par hectare (t C/ha), le stockage par le sol de 3 à 6 t C/ha et celui des haies qui entourent les vergers de 5,5 t C/ha, soit au total 20 à 40 t C/ha. Après conversion, un verger moyen sur 20 ans emmagasine donc 96 t eq. CO2/ha, dont 51 t dans les arbres, 9,3 t liées au bois de taille s’il est enfoui dans le verger et 35,7 t dans le sol. En parallèle, les émissions du verger (c'est-à-dire l'entretien) sur 20 ans sont de 84 t eq. CO2/ha. « Mais le brûlage des arbres en fin de vie émet 13,3 t eq. CO2/ha, soit 11 à 23 % des émissions du verger, » signale Ariane Grisey. « Il faudrait broyer les arbres et les réincorporer au sol plutôt que de les brûler. » L’ANPP a créé un groupe de travail pour étudier les possibilités de réduction des GES liées à la fin de vie des arbres, via le broyage et/ou la filière bois énergie.
44 % des impacts en transformation
Les emballages logistiques et de vente représentent 44 % des émissions, la distribution et l’amont agricole 23 % chacun. « Au-delà de son empreinte carbone, l’emballage représente plus de 30 % des impacts pour 8 indicateurs sur 16 de l’Analyse du Cycle de Vie des pommes, » souligne Pauline Audois, du centre technique CTCPA. « Son éco-conception est donc essentielle, en termes d’épaisseur et de composition pour qu’ils soient recyclables. »
L’optimisation de la distance et du taux de chargement du verger à l’usine est également importante, le transport du verger à l’usine ayant un impact équivalent à celui de la production des pommes. Enfin, la transformation elle-même ne représente que 7 % des impacts, liés surtout à la consommation de gaz et électricité et à la gestion des déchets. Même si elle est peu contributrice, des actions sont possibles pour réduire la consommation d’énergie et mieux gérer les déchets à l’usine. Les chercheurs ont étudié l’impact carbone d’une compote, représentative des principales références de compotes vendues en portions individuelles. Ses émissions sont de 0,9 kg eq. CO2/kg de compote.