Peut-on produire sans pesticides ?
Une étude prospective portée par l’Inrae sur une agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050 vient d’être publiée. À la question : est-il possible de produire sans pesticides chimiques, notamment des fruits et légumes, la réponse est oui, mais à certaines conditions.
Une étude prospective portée par l’Inrae sur une agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050 vient d’être publiée. À la question : est-il possible de produire sans pesticides chimiques, notamment des fruits et légumes, la réponse est oui, mais à certaines conditions.
Par ses stratégies « De la ferme à l’assiette » et « Biodiversité », l’Union européenne a fixé comme objectif de réduire l’utilisation de pesticides chimiques (1) de 50 % d’ici 2030. Controversée, cette finalité est à l’origine d’un intense débat quant à sa faisabilité. Les pesticides ont en effet un rôle majeur pour protéger les cultures. « Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, les pesticides ont permis d’améliorer et de stabiliser les rendements et la qualité des produits, constate Claire Meunier d’Inrae. Mais comme la protection des cultures se base majoritairement sur ces pesticides, cela entraîne l’apparition de résistances et d’une “course à l’armement”. » S’y ajoute la nécessité de réduire l’impact des pesticides chimiques sur l’environnement et la santé humaine. Enfin, les politiques européennes de réduction des pesticides ont eu jusque-là des effets limités. « Pour aller plus loin, il faut une autre approche, prospective, disruptive, sur le long terme, analyse Claire Meunier. Et cette approche doit être participative et intégrer toutes les chaînes de valeur alimentaires, car les systèmes de cultures sont des composantes des systèmes alimentaires. »
Le rôle majeur des consommateurs
Pendant deux ans, 144 experts européens ont été mobilisés pour explorer la possibilité d’une agriculture sans pesticides chimiques en 2050 à l’échelle européenne. Les experts ont identifié six modes d’action pour protéger les cultures sans pesticides : le biocontrôle, la lutte physique, la gestion temporelle par les pratiques culturales, la gestion spatiale de la diversité intraparcellaire, la gestion des paysages et la sélection variétale. S’y ajoute l’épidémiosurveillance qui détermine la mise en œuvre d’un ou plusieurs modes d’action. Un résultat clé de l’étude prospective est qu’une protection efficace des cultures sans pesticides chimiques doit associer plusieurs leviers : la diversification des cultures dans le temps et l’espace, le développement du biocontrôle et des bio-intrants, une sélection variétale adaptée, des agroéquipements et outils numériques, ainsi que les moyens de suivi de la dynamique des bioagresseurs et de l’environnement. « Un autre point clé est que, par la modification de leurs régimes alimentaires, les consommateurs ont un rôle considérable à jouer dans la transition vers une agriculture sans pesticides chimiques », insiste Claire Meunier. Des politiques publiques cohérentes, agricoles et alimentaires, sont également essentielles, ce qui suppose notamment une transformation de la PAC, ainsi que des accords commerciaux aux frontières de l’Union européenne, qui garantissent le développement de marchés sans pesticides chimiques.
Plusieurs systèmes sont possibles
Trois scénarios ont été établis, avec leur trajectoire de transition et la quantification des impacts sur la production, la consommation, l’usage des terres, les échanges commerciaux, les émissions de gaz à effet de serre (GES)… Quatre études de cas ont été réalisées pour tester et illustrer ces scénarios. Le premier scénario, « Marché global », se base sur les technologies numériques et le renforcement de l’immunité des plantes grâce aux intrants exogènes et aux robots. Des standards internationaux garantissent que les produits alimentaires proviennent d’une agriculture sans pesticides. Les chaînes de valeur sont très concentrées et capitalisées. Les exploitations sont spécialisées et ont investi dans la robotisation et le numérique grâce à des capitaux extérieurs. Les variétés résistantes, le biocontrôle, les stimulateurs de défense des plantes sont très développés. La PAC accompagne la transition par une forte conditionnalité des aides à la non-utilisation de pesticides. L’UE est importatrice nette et le régime alimentaire reste tendanciel. La baisse des émissions de GES est de 8 %.
Le deuxième scénario, « Microbiomes sains », repose sur l’exigence d’une alimentation saine, sans pesticides, avec plus de fruits et légumes, céréales, légumineuses et moins de produits animaux. Les accords commerciaux de l’UE ont introduit des clauses de réciprocité en matière d’environnement et de santé. La protection des cultures consiste à renforcer les fonctions, ainsi que la diversité des micro-organismes du sol, et à améliorer l’adaptabilité aux stress, avec des pratiques culturales spécifiques (amendements organiques, diversification, rotations, couverts végétaux…), l’inoculation de micro-organismes, la sélection variétale, les régulations biologiques via les auxiliaires… L’UE devient exportatrice nette. La baisse des GES émis est de 20 %.
Nouvelle politique agricole
Le troisième scénario, « Paysages emboîtés », né de demandes pour une alimentation locale et la préservation de l’environnement, repose sur des paysages complexes et diversifiés basés sur les régulations biologiques. La production est vendue en circuits courts et longs. Une partie est échangée entre régions européennes pour assurer à tous des aliments sains et diversifiés. La protection des cultures s’appuie sur les régulations biologiques au niveau des paysages et des sols, avec peu d’intrants exogènes, la sélection participative, la réintégration de l’élevage sur les exploitations, la diversité des cultures dans l’espace et le temps, la prophylaxie. Pour la gestion des adventices, la stratégie consiste à trouver un compromis entre les pertes de récolte et les services assurés au niveau du paysage. Une nouvelle politique européenne remplace la PAC et rétribue les services écosystémiques. L’UE a fixé des taxes élevées sur les importations qui proviennent de cultures qui ont recours à des pesticides, et mis en œuvre des clauses miroirs pour limiter fortement les importations. Ainsi, l’Europe devient exportatrice nette et la baisse des émissions de GES atteint 37 %.
Baisse de 50 % par an des IFT en ZRP
Le collectif Nouveaux Champs regroupe 500 producteurs, dont 450 de fruits et légumes, pour 50 entreprises et 25 000 t commercialisées en Zéro résidu de pesticides (ZRP). Si l’inflation et la tendance de la grande distribution au resserrement des gammes sont peu favorables au développement des volumes, le collectif continue sa progression avec l’élargissement de sa gamme. Aux fruits et légumes frais se sont récemment ajoutés des légumes surgelés, des herbes aromatiques, ainsi qu'aujourd’hui des petits pois et haricots verts en conserve. « Cet élargissement de la gamme augmente la visibilité du ZRP en rayon », souligne Julie Sabourin, animatrice du collectif. Depuis sa création, la démarche permet en moyenne une baisse de 50 % par an des IFT chimiques des producteurs. En 2022, le collectif a aussi lancé un projet afin de mesurer l’impact des pratiques mises en place sur la biodiversité et la vie des sols.
Trois stratégies de protection sans pesticides chimiques
Stimuler l’immunité des plantes
Le renforcement de l’immunité peut se faire directement grâce aux stimulateurs de défense des plantes, aux biostimulants, ainsi qu'à travers la sélection de variétés résistantes. Mais l’immunité des plantes peut aussi être renforcée indirectement, en jouant sur les interactions avec les micro-organismes du sol et avec d’autres cultures ou par l’introduction de plantes de service.
Renforcer les interactions avec les micro-organismes
L’holobionte des plantes cultivées est constitué des plantes hôtes et des communautés microbiennes qui vivent sur les cultures et dans le sol. Il est possible d’optimiser les interactions entre les plantes hôtes et ces micro-organismes par des pratiques culturales qui améliorent la vie du sol par le choix des cultures, des inoculations de micro-organismes ou la sélection variétale.
Concevoir des paysages complexes
La protection des cultures peut être améliorée en renforçant les régulations biologiques, grâce à l’augmentation de la biodiversité et de l’agrobiodiversité à tous les niveaux, de la parcelle au paysage, dans l’espace et dans le temps (rotations des cultures). L’idée est de créer un paysage complexe mais adapté au contexte local et à son évolution, conçu comme une mosaïque modulable de cultures diversifiées, intégrées dans une matrice fixe d’habitats naturels et semi-naturels qui représentent 20 % de la surface.