Myrtille : l’opportunité de la culture hors-sol
L’engouement des consommateurs pour la myrtille est une opportunité pour cette culture à haute valeur ajoutée, que ce soit en diversification d’une gamme fruits rouges ou en produit unique. Reste à franchir la barrière de ses exigences agronomiques très restrictives. La culture hors-sol le permet.
L’engouement des consommateurs pour la myrtille est une opportunité pour cette culture à haute valeur ajoutée, que ce soit en diversification d’une gamme fruits rouges ou en produit unique. Reste à franchir la barrière de ses exigences agronomiques très restrictives. La culture hors-sol le permet.
Les Français consomment de plus en plus de fruits rouges, de framboises mais aussi de myrtilles. L’attractivité de la petite baie bleutée est incroyable. Les chiffres de la consommation donnés lors du dernier Italian Berry Day lors de Macfrut 2021 en octobre dernier en Italie sont extraordinaires. Deux millions de tonnes de myrtilles consommées au niveau mondial dont 650 000 t en Europe, avec un potentiel de croissance énorme au vu du niveau de la consommation encore faible et de l’attractivité de ce fruit : seulement 0,8 kg/hab/an de myrtille consommée en Europe contre 1,6 kg de fraise et 12,6 kg de banane.
« Nous sommes en train de passer d’un produit de niche à un produit de grande consommation », commentait Andrea Pergher, Fall Creek Farm lors de ce rendez-vous. La France n’est pas à l’écart de cette tendance. Selon l’étude réalisée par le CTIFL pour le Groupe de réflexion « Petits Fruits rouges », les achats de fruits rouges se sont accélérés de + 20 % en volume et + 40 % en valeur sur les trois dernières années (données 2020).
Eviter les sols basiques et compactants
« La taille de la clientèle de la myrtille a doublé en cinq ans et les volumes achetés aussi », commentait Anne Duval-Chaboussou, référente Fruits rouges CTIFL dans Prospectives « Petits fruits rouges d’avenir ». Cet engouement de consommation profite essentiellement aux myrtilles d’importation car même si certaines initiatives récentes témoignent d’un intérêt croissant pour ce fruit rouge, elles masquent un très (trop) faible développement de la production française. Pourtant malgré des exigences pédoclimatiques particulières, les possibilités de production de myrtille existent.
En effet, la culture de la myrtille est réservée à des sols acides, riches en matière organique, drainants et aérés. Le pH Kcl doit être compris entre 4 et 5,2, l’optimum étant un pH de 4,8. « La myrtille a un système racinaire faible qui n’a pas la capacité de se développer en sol lourd. Il faut donc aussi éviter les sols compactants qui l’affaiblissent », mentionne Julien Rocherieux, consultant spécialisé chez Agrosome. Elle est donc traditionnellement cultivée sur les massifs aux sols acides comme les Vosges, l’Alsace, le Massif Central, le Centre et plus récemment dans les Landes.
Les échanges entre sol et substrats
Mais l’attrait du marché de la myrtille passe au-dessus de ces contraintes agronomiques, d’autant que climatiquement la myrtille peut se produire partout en France, avec même des intérêts d’avance ou de retard de production selon les régions et les variétés choisies. Reste à s’affranchir du sol, la technique que l’on peut qualifier de « hors-sol dans le sol » consiste à creuser une tranchée, la remplir d’un substrat et confectionner une butte afin de disposer d’un volume de substrat, acide et drainant, adéquat à la culture.
Pour cultiver les myrtilliers sur des buttes de 30 à 50 cm de hauteur, il est alors nécessaire d’incorporer de 100 à 300 m3/ha d’écorces ou de bois broyé. Une autre technique, proche de la culture en buttes, pratiquée en Suisse, est de cultiver les myrtilliers dans des tranchées remplies de sciure ou de bois broyé composté, avec rajout de sciure ou de bois tous les deux à trois ans, ou encore dans des tranchées de 20 à 30 cm de profondeur recouvertes de buttes de 20 cm de haut. Dans les deux cas, des apports de soufre peuvent également être réalisés pour acidifier le sol (150 kg/ha, 60 g/m linéaire pour la culture sur butte) si le substrat n’a pas été acidifié.
L’irrigation doit aussi être prévue dès la plantation. Pour lutter contre les adventices et prévenir l’érosion dans la culture en butte, un paillage organique ou plastique est généralement posé mais la fertilisation minérale ou organique solide est alors plus difficile. Cette technique n’est qu’une alternative au sol. Selon Julien Rocherieux, elle nécessite de déplacer de gros volumes de substrat, les échanges entre sol et substrats existent toujours et elle génère d’importantes contraintes lors du remplacement de la culture.
Un haut potentiel de rendement du sol
La culture hors-sol en containers est donc la solution radicale pour s’affranchir du sol. Si celle-ci paraît innovante en France, puisqu’il s’agit de la première espèce fruitière pérenne cultivée en hors-sol en verger, elle est déjà très développée au Pérou, au Chili, au Mexique, au Maroc mais aussi au Royaume-Uni, aux Pays Bas, en Suisse. La culture se pratique en containers de 35 à 45 litres alimentés par un réseau d’irrigation goutte-à-goutte et parfois posés sur une bâche paillage (au moins sur le rang).
« Même si le coût de la mise en place de la culture, 3 000 à 4 000 plants/ha, est importante, elle évite tout le travail de préparation du sol et simplifie toute l’étape de plantation », confie Julien Rocherieux. Par la suite, des économies peuvent également être réalisées sur les intrants avec 30 à 50 % d’économie d’eau et jusqu’à 70 % de fertilisants. Cultiver en hors-sol facilite également la récolte avec une conduite d’arbres mieux maîtrisée facilitant l’accès aux fruits, plus de fruits à ramasser améliorant la vitesse de cueillette, et des conditions de travail améliorées (sol plat) notamment lorsque la culture est abritée par des filets et/ou des brise-vent. Dans la durée, la culture hors-sol permet de maintenir un haut potentiel de rendement dans la même parcelle avec le remplacement des plants affectés.
Cultiver en hors-sol facilite la récolte avec une conduite d’arbres mieux maîtrisée
Un modèle économique qui fonctionne
Selon de nombreux témoignages, la culture de la myrtille en hors-sol est un modèle économique qui fonctionne. Elle représente une opportunité de diversification et/ou d’élargissement de la gamme fruits rouges à l’échelle d’une exploitation ou d’un groupement de producteurs. Le niveau d’investissement est d’environ 50 000 euros/ha en plein air, plus 20 à 25 euros/ha de système de protection (filet) pour sécuriser la culture.
Le hors-sol apporte une nette amélioration de la vigueur des plantes avec une entrée en production très précoce, parfois dès l’année suivant la plantation, et une rapide montée en production au cours des trois premières années. Les 10 t/ha sont atteints dès la 3e année alors qu’il faut attendre cinq à six ans en sol. L’incertitude peut porter sur la longévité de la culture qui peut atteindre 25 à 30 ans en sol. Mais certains pays pratiquent la culture en containers depuis 12 à 15 ans sans affection et maintiennent de haut niveau de rendement. La stabilité des propriétés physico-chimiques des substrats semble être une clé de cette réussite.
Trois modes de culture de la myrtille
1/En sol, le myrtillier exige des sols acides à pH Kcl entre 4 et 5,2. L’optimum étant un pH de 4,8, mais aussi des sols riches en matière organique, drainants et aérés. La production est également possible avec un pH plus élevé (6 à 6,5), à condition que le sol soit dépourvu de carbonates. Toutefois, au-delà d’un pH de 5,5, les plantes sont le plus souvent chlorotiques et moins productives.Choisir le bon substrat
Le choix du substrat est important. « L’idéal pour la culture des myrtilliers en containers est un substrat constitué de fractions de tourbe blonde calibrée et dépoussiérée, de fibres de coco et coco peat et de perlite, estime Mathieu Billotte, des Pépinières Multibaies dans Prospectives « Petits fruits rouges d’avenir ». La myrtille étant très sensible à la conductivité, il est important que le coco ait été lavé et neutralisé. L’écorce de pin est par contre peu adaptée pour une culture longue car elle se composte dans le temps et produit des particules fines qui limitent le drainage ».
Assez souvent, les substrats associent un tiers de tourbe blonde, un tiers de perlite et un tiers de fibres de coco et coco peat. On trouve aussi des substrats constitués à 100 % de fibres de coco et coco peat. Le choix du pot est également fondamental, que ce soit en termes de volume (pour assurer la croissance du plant et la stabilité du plant adulte tout en limitant l’investissement), que de conception (évacuation du drainage, le myrtillier étant très sensible à l’asphyxie racinaire). De nombreux fournisseurs proposent désormais des substrats spécifiques pour la myrtille, optimisés en termes de pH, structure, matière organique.
Myrtille en pot
La myrtille hors-sol étonne par son développement
Dans le Sud-ouest, quatre producteurs adhérents à la coopérative Cadralbret se sont lancés dans la culture de myrtille hors-sol en 2018. « Les projets ont été étudiés et accompagnés par le groupement. Pour trois des adhérents déjà producteurs de fraise hors-sol, il s’agit d’une diversification de l’activité fruits rouges, pour le quatrième c’est une alternative à une production horticole », explique Philippe Bruand responsable technique de Cadralbret. La pédologique peu favorable des coteaux de Néracais et les visites peu convaincantes de plantation en sol ont rapidement orienté les investisseurs vers la culture en pot. « Les plants d’un an ont été mis en pépinière dans des pots de 10 litres en octobre pour être élevés un ou deux ans. Mais devant leur vigueur et leur développement, ils ont été rapidement plantés en containers de 50 l dans un mélange « spécial myrtille » de tourbe blonde, de poudre de coco et perlite pH 4,3 », explique le technicien.
Des points clés de la maîtrise du coût
La culture a été mise en place avec un écartement de 3 m entre-rang et de 1 m entre plant sur la ligne de plantation, soit 3 300 plants/ha. Les variétés choisies, Blue gold, Duke, Legacy et Blue Crop visent un calendrier précoce avec des récoltes à partir de mi-juin afin de bénéficier de la main-d’œuvre saisonnière de la fraise présente sur les exploitations et d’éviter les dégâts sur fruits par Drosophila suzikii. « En 2020, la première récolte a eu lieu sur trois semaines avec deux à quatre tonnes/ha récoltées. Celle de 2021 a été affectée par le gel de fin avril et des épisodes ventés juste avant la récolte entraînant la chute de fruits. Certaines parcelles ont produit 6 t/ha mais le potentiel était beaucoup plus important », commente Philippe Bruand.
La taille d’hiver de 2020-2021 a permis de structurer les plants après que les producteurs ont participé à une formation. L’objectif est de rendre les fruits plus accessibles et d’un meilleur calibre pour améliorer la vitesse de cueillette avec un port de plante plus érigé et plus équilibré. Pour les producteurs et les techniciens qui se sont lancés dans l’aventure, la myrtille est une culture nouvelle et intéressante. « Nous avons agréablement été surpris par la vitesse de développement des plants et du potentiel de production dès la seconde année. Mais, même en hors-sol, le désherbage des pots est une tâche à prendre en compte », souligne Philippe Bruand. Les intempéries subies cette année montrent également l’intérêt de filet de protection sur cette culture pérenne à valeur ajoutée. Selon le technicien, l’organisation du chantier de récolte et le conditionnement, puisque les myrtilles sont ramassées en vrac puis triées et emballées en station, sont des points clés de la maîtrise du coût et de la rentabilité de cette culture.