Les nouveaux arguments des endiviers
L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne est « une très bonne surprise » pour des endiviers désormais en bien meilleure position pour se défendre en mars prochain. Retour sur un procès-fleuve encore loin d’être refermé.
L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne est « une très bonne surprise » pour des endiviers désormais en bien meilleure position pour se défendre en mars prochain. Retour sur un procès-fleuve encore loin d’être refermé.
La Cour de cassation devrait se prononcer en mars 2018 sur le très complexe dossier des endiviers (cf. FLD Hebdo du 23 novembre). Les dix-sept organisations (économiques et syndicales) avaient été condamnées le 6 mars 2012 « pour avoir maintenu des prix minima pendant quatorze ans entre des producteurs d’endives et leurs OP ». Il leur était notamment reproché d’avoir mis en place « un plan global de gestion de marché afin de soustraire la fixation du prix des endives au jeu normal de la concurrence ».
Sarah Subremon, rapporteur général du dossier à l’Autorité de la concurrence, incriminait une « entente complexe et continue » allant jusqu’à évoquer « le cartel de l’endive » et précisant « qu’heureusement il y a eu l’action de la GMS pour protéger le consommateur des hausses de prix ». De quoi mettre les endiviers KO debout. Ces derniers décident de faire appel et de ne pas céder à la demande d’abandon de l’Autorité de la concurrence en contrepartie d’une réduction de l’amende. « La décision de l’Autorité de la concurrence a été extrêmement violente », soulignait Me Pierre Morrier, avocat de l’Association des producteurs d’endives de France (Apef), faisant allusion à cette amende extrêmement lourde de 3,9 M€, quand on la rapporte aux chiffres d’affaires des OP et AOP incriminées. Mais les autorités françaises avaient décidé de faire de cette bataille, un dossier emblématique, les endiviers se retrouvant malgré eux l’instrument d’un débat sur « le bon point de curseur à mettre entre Pac et concurrence ».
Questions préjudicielles
Ouvert en 2007, à un moment où l’Autorité de la concurrence s’intéresse de près à l’agriculture et à l’agroalimentaire, le dossier posait de multiples questions. « C’est le résultat d’un conflit de normes entre, d’une part la première Pac où l’État intervenait directement sur les marchés, et d’autre part, une politique de concurrence naissante au moment de la libéralisation des marchés », estimait, en juin dernier, Me Pierre Morrier.
Le 15 mai 2014, la Cour d’appel de Paris annule la condamnation, mais l’Autorité de la concurrence se pourvoit en cassation… qui en appelle à la Cour de justice de l’Union européenne-CJUE (voir l’historique du dossier ci-contre).
Le 8 décembre 2015, la CJUE est saisie de deux questions préjudicielles par la Cour de cassation. Dans le droit, celles-ci permettent en effet à une juridiction nationale d’interroger l’échelon européen sur l’interprétation ou la validité du droit de l’UE dans le cadre d’un litige dont cette juridiction est saisie. Son objectif est « de garantir la sécurité juridique par une application uniforme du droit communautaire dans l’ensemble de l’Union européenne ».
La première des questions concernait la possibilité pour les organisations de producteurs et les associations de producteurs de « régulariser les prix à la production » en vertu des règlements OCM fruits et légumes successifs adoptés depuis 1972. « Peut-elle s’interpréter comme la faculté pour ces organismes de fixer de manière concertée un prix minimum ? », s’interroge la Cour de cassation.
La seconde question avait trait à la conciliation des objectifs de la Pac visés à l’article 39 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) avec celui du maintien d’une concurrence effective sur les marchés de produits agricoles.
De nouveaux arguments
Remises le 6 avril 2017, les 28 pages de conclusion de l’avocat général avaient été jugées excessivement sévères par la profession et leurs avocats. En effet, pour Nils Wahl, avocat général de la CJUE, « une concertation sur les prix, sur les quantités produites et sur la transmission d’informations commerciales sensibles entre OP ou AOP, voire à l’intérieur d’une entité non chargée par ses membres de la commercialisation de produits, ne saurait échapper à l’application du droit de la concurrence ». Une douche froide, pour tous ceux qui menaient le combat depuis dix ans. Et un avis sévère qui laissait perplexes toutes les parties mises en cause.
Nouveau rebondissement le 14 novembre dernier : l’arrêt rendu par la CJUE est considéré par la profession « comme plutôt favorable ». D’une part, parce que la Cour reconnaît sans ambiguïté la primauté des objectifs de la Pac sur le droit de la Concurrence, reconnaissant ainsi implicitement que les marchés agricoles ne sont pas des marchés comme les autres. Et d’autre part, parce que « le caractère indispensable des informations stratégiques pour la réalisation de certaines missions, tout comme la coordination des volumes pour remplir l’objectif de régularisation des prix à la production afin d’assurer un revenu équitable au producteur ou une certaine forme de coordination de la politique tarifaire est également souligné », faisait observer l’Apef dans un communiqué. « De ce point de vue là, c’est une évolution très significative de l’approche juridique du dossier », notait Me Morrier.
« On va revenir à la Cour de cassation [NDLR : qui doit statuer sur le devenir de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 mai 2014] avec de nouveaux arguments en espérant très clairement sauver tout ou partie de ce dossier, ce qui était quasiment impossible au lendemain des conclusions de l’avocat général », expliquait l’avocat de l’Apef à FLD.
Lire la suite du dossier : Cure de jouvence pour l'endive
Dix années de procédure
12 avril 2007 : Perquisition de la DGCCRF dans les locaux des endiviers situés à Arras ainsi que dans les locaux du Celfnord.
Octobre 2010 : Dans un rapport de 80 pages, l’Autorité de la concurrence publie les griefs à l’encontre des endiviers.
15 novembre 2011 : Procédure contradictoire au siège de l’Autorité à Paris au terme de laquelle toutes les parties sont entendues.
6 mars 2012 : Les endiviers français sont condamnés « pour avoir maintenu des prix minima pendant quatorze ans entre des producteurs d’endives et leurs OP » (NDLR : 1998-2012).
15 mars 2012 : Les endiviers saisissent la Cour d’appel de Paris.
Février 2013 : Le dossier est plaidé devant la Cour d’appel de Paris.
15 mai 2014 : Arrêt de la Cour d’appel de Paris qui annule la condamnation des endiviers pour entente.
Juin 2014 : L’Autorité de la concurrence se pourvoit en cassation, la Cour d’appel de Paris n’étant pas allée jusqu’à trancher entre l’application du droit commun de la concurrence et la réglementation agricole européenne.
8 décembre 2015 : La Cour de cassation saisit la Cour de justice de l’Union européenne de deux questions préjudicielles. Elle devra se prononcer sur l’articulation entre droit de la concurrence et Pac et préciser les marges de manœuvre possibles des OP et AOP dans le cadre de l’OCM.
31 janvier 2017 : Plaidoirie des quatre cabinets d’avocats qui accompagnent les endiviers.
6 avril 2017 : Nils Wahl, avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne, remet ses 28 pages de conclusions qui condamnent largement les endiviers français rendus coupables d’ententes.
14 novembre 2017 : Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.