La myrtille face à son succès
Culture récente et encore discrète en France, la myrtille bénéficie d’un fort engouement des consommateurs. Les producteurs français souhaiteraient profiter de cette opportunité en levant des freins techniques et économiques.
Culture récente et encore discrète en France, la myrtille bénéficie d’un fort engouement des consommateurs. Les producteurs français souhaiteraient profiter de cette opportunité en levant des freins techniques et économiques.
La culture de la myrtille est assez récente en France avec les premiers vergers plantés au début des années 1980. La consommation de cette baie bleue, gustative et attractive, ne fait que progresser mettant également en avant ses atouts santé. « Malgré ce marché favorable, les plantations françaises ne progressent que très lentement », constate le syndicat des producteurs de myrtilles de France. Selon le SPMF, la France compte 450 ha de myrtilles en 2016, en progression de 7 % par rapport à 2014, alors que la croissance moyenne des pays producteurs européens est de 40 % et représente 16 000 ha. L’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Roumanie ont progressé de 50 à 70 % sur la même période et jusqu’à 350 % en Ukraine (passant de 230 à 1 000 ha en deux ans).
Le goût puis le calibre
Production confidentielle, la culture de la myrtille est peu connue des techniciens en charge de développement et fait l'objet de peu de travaux d’expérimentation. De plus, le coût de plantation d’un hectare de myrtille est élevé et les producteurs sont très peu aidés en comparaison de leurs concurrents du sud de l’Europe (voir encadré). Pourtant, la myrtille peut se cultiver partout en France dans des zones exemptes de gel de printemps avec des variétés adaptées. Elle nécessite cependant des sols à tendance sableuse, riche en matière organique, acide (pH 6 maximum) et sans excès d’eau. L’implantation d’un verger requiert une disponibilité en eau permettant l’irrigation régulière. Le système d’arrosage par goutte-à-goutte est à mettre en place dès la plantation. En pleine production, l’apport moyen d’eau se situe entre cinq et sept litres par pied, jusqu’à neuf en conditions très chaudes, à fractionner en deux à quatre fois. La myrtille se cultive aussi en hors-sol donnant la possibilité de s’affranchir de ses exigences agronomiques. Le choix variétal est large avec différents types de Northern Highbush, Southern Highbush et Rabbiteyes. Il dépend essentiellement du circuit de commercialisation (vente directe, circuit court, GMS…) et du créneau de production visé. « Préférer des variétés à fruits fermes pour les circuits longs. Le goût puis le calibre sans négliger la fermeté pour la vente directe. Pour la transformation, choisir des fruits avec des qualités technologiques adaptées », précise la fiche de culture du SPMF qui mentionne comme variétés Blue Crop, Duke, Darrow, Legacy.
Différents types variétaux de myrtilles
Le type Northern Highbush (Vaccinimum corymbosum) regroupe les variétés de myrtilles habituellement cultivées en Amérique du Nord et en Europe septentrionale qui nécessitent une période de froid pour assurer leur floraison et fructification. Elles assurent une production de pleine saison avec une entrée en production lente sur plusieurs années. La taille de leurs fruits peut engendrer des coûts de cueillette élevés. L’amélioration variétale est réalisée par le secteur public (universités américaines) en s’orientant vers des fruits de plus gros calibre, croquants et sucrés. C’est ce type de fruits que l’on produit avec les variétés Southern Highbush (Vaccinimum corymbosum hybrid) dont les besoins en froid sont beaucoup plus limités et même parfois nuls (zero chill). Ces variétés peuvent être produites sous climat de type méditerranéen où la myrtille est en plein développement (Espagne, Maroc, Mexique, Pérou…). Les Southern Highbush concentrent 90 % des travaux d’amélioration variétale réalisés dans le cadre de programmes publics et par des acteurs privés qui maîtrisent la diffusion de leur obtention. Enfin les Rabbiteyes, type Vaccinimum virgatum, sont des variétés à fruit rond. Variétés hexaploïdes, elles sont plus difficiles à sélectionner. Leur période de production tardive, août-septembre, correspond actuellement à un créneau de production favorable à des prix rémunérateurs. Les critères de sélection de la myrtille s’orientent vers des variétés à gros fruits, croquants et sucrés répondant au marché de snacking et améliorant aussi les rendements de cueillette. Ces variétés s’éloignent de la myrtille sauvage pour créer un nouveau standard de fruits. « Même si les Southern Higbush sont les premiers concernés par l’amélioration génétique au regard du marché qu’ils représentent, la sélection variétale sur la myrtille est globalement en forte augmentation. La source principale de nouvelles variétés reste les USA mais ce n’est plus un monopole. De gros acteurs privés commencent à jouer un rôle prépondérant avec une tendance lourde à l’intégration verticale sur des variétés étant la propriété des marketeurs », a précisé Mathieu Billote, pépiniériste lors de la journée Fruits rouges CTIFL à Saint-Laurent d’Agny (Rhône).
20 000 à 30 000 euros par hectare
La plantation se fait généralement à partir de la fin de l’automne jusqu’au début du printemps. Les plants sont fournis en godet de 1 à 5 litres. Plus le plant est grand, plus vite il produira et plus l’enherbement sera facilement maîtrisé, surtout les premières années. « Prévoir une toile de paillage, de l’écorce ou un désherbage chimique ou manuel », précise la fiche du SPMF. Le coût d’implantation d’un verger de myrtilles est de 20 000 à 30 000 euros par hectare en comptant la main-d’œuvre. Par la suite, celle-ci représente le poids principal du coût de production, soit environ 80 % en ajoutant l’entretien de la culture, la taille, la récolte et le conditionnement. En effet, les myrtilles sont exclusivement cueillies à la main avec un rendement de 4 à 6 kg/h selon les variétés et l’âge de la plantation. « Avant de vendre 1 kg de myrtille, il faut déjà prévoir 2,40 euros de coût de cueillette », estime le syndicat.
Un effet terroir
Philippe Loridat est producteur de myrtilles en Haute-Saône, à 300 m d’altitude dans le sud du massif vosgien. Les hivers froids, les printemps gélifs et les étés chauds et secs l’ont conduit à planter une large gamme variétale. Treize variétés au total et neuf principales composent son assortiment tourné vers la qualité gustative. « Nous commercialisons notre production en direct, et même 45 % en cueillette directe auprès de clients qui connaissent et apprécient le goût de la myrtille sauvage », explique le producteur qui depuis ses débuts a fait le choix de l’agriculture biologique. « Collins est une variété semi-précoce et très aromatique. Coville et Brigitta sont également gustatives. Darrow cueillie à maturité est la plus typée », détaille le professionnel. Blue Crop et Berkeley présentent des fruits plus sucrés. « Les arômes s’expriment avec l’acidité des fruits. Le type de sol et le climat donnent un effet terroir qui joue également sur l’expression de la qualité gustative des variétés », assure le professionnel.
Un choix tardif
Côme Lapierre est responsable de la SCEA la Californie en Dordogne où trois hectares de myrtilles viennent en diversification d’un verger de 25 ha de pommier. « Nous avons fait le choix de variétés type Rabbiteyes pour assurer une production tardive », explique le professionnel. Ainsi Sky Blue et Centra Blue composent 90 % du verger dans lequel on retrouve également Blue Crop, Darrow, Sunset Blue… comme pollinisateurs et pour la vente directe. Les deux variétés permettent une récolte de mi-août à fin septembre. « C’est une période encore propice à la consommation avec une baisse des approvisionnements est donc des cours qui remontent de 20 à 40 % », précise Côme Lapierre. Ces variétés à fruit ferme de gros calibre et sucrés sont adaptées aux circuits longs de commercialisation. Elles assurent également un rendement et une vitesse de cueillette élevés. Toutefois la période tardive les expose aux attaques de Drosophila suzukii. De fait, elles nécessitent une protection sanitaire et surtout beaucoup de rigueur dans le rythme de récolte. « Nous récoltons de manière rapprochée, toutes les semaines, en maintenant toutefois la cueillette à maturité », assure-t-il.
Une récolte étalée
Michelle Mas de Feix produit des fruits rouges sur le plateau des Millevaches, à Saint-Marc à Loubaud, avec essentiellement des productions de myrtilles en plein champ et des framboises sous abri. « Nous avons planté beaucoup de variétés au départ. Mais aujourd’hui cinq retiennent notre intérêt pour la vente directe, reconnaît la productrice. Collins, Ivanhoé, Darrow, Coville et Brigitta. La gamme variétale tient compte également de l’étalement de la production et joue sur les types précoce, semi-précoce et tardif pour disposer de fruits pendant deux mois. « Même en vente directe, il faut aussi veiller à la vitesse de cueillette et éviter les variétés à trop petits fruits », prévient-elle.
Des freins au développement
« En France, le coût de plantation d’un hectare de myrtilles est élevé, environ 30 000 euros par hectare, et les producteurs français sont très peu aidés en comparaison de leurs homologues du sud de l’Europe », mentionne Caroline Barbier, présidente du syndicat des producteurs de myrtilles de France. Sans possibilité d’aides FranceAgriMer destinées à la rénovation de vergers (supprimées en 2017 et 2018 car il n’existe pas de plants certifiés UE, prérequis à l’attribution de l’aide) et sans aides JA pour les surfaces d’exploitation inférieures à un hectare, Caroline Barbier estime qu’il s’agit là de freins au développement de la production de myrtilles en France. Selon le syndicat, en Espagne, le coût de mise en place d’un hectare de myrtille est comparable mais une subvention de 24 000 euros est accordée pour un hectare et 44 000 euros pour deux. La couverture tunnel peut également être financée entre 40 et 60 % selon le dossier. « Au Portugal, les producteurs de myrtilles déposent des dossiers, incluant le plant, le matériel jusqu’à la chambre froide de 100 000 euros par hectare afin de bénéficier des aides à l’investissement qui couvrent 50 % des coûts pour les zones défavorisées », dénonce le SPMF. Le syndicat demande donc que les producteurs puissent bénéficier des fonds européens pour la rénovation de verger, le temps que la certification UE soit en place en France chez les pépiniéristes de la filière myrtille. L’objectif est de bénéficier de la croissance de la consommation en approvisionnant le marché par une production nationale. En vingt ans, la consommation française de myrtille est passée de 4 à 40 g par habitant et les importations de moins de 1 000 tonnes à plus de 7 000 tonnes entre 2007 et 2017.