Poireau : suivre des règles de décision pour lutter contre le thrips
Si le thrips du poireau est présent dans tous les bassins de production de poireau, ce n’est pas en intervenant systématiquement qu'on le maîtrise le mieux. Des règles de décisions peuvent servir à limiter les attaques et/ou les traitements.
Si le thrips du poireau est présent dans tous les bassins de production de poireau, ce n’est pas en intervenant systématiquement qu'on le maîtrise le mieux. Des règles de décisions peuvent servir à limiter les attaques et/ou les traitements.
Les dégâts de thrips sont récurrents dans les différents bassins de production. Ils sont à l’origine de dépréciations commerciales importantes qui se traduisent par une perte de rendement de l’ordre de 20 %, et d'une moindre qualité du feuillage. Cette dégradation du feuillage entraîne une baisse des prix de vente que l’on peut estimer également à 20 %, voire une perte totale de production en cas de forte pression. « Les lots thripsés sont sources de difficultés de valorisation et de commercialisation des productions de poireaux et synonymes de manque à gagner significatif à la production par rapport à un produit de qualité supérieur », mentionne une fiche réalisée par le Sileban sur ce ravageur. Compte tenu de la période d’activité essentiellement estivale du thrips, l’impact sur les cultures varie fortement en fonction des cycles de production. Les variétés précoces en production d’été ou d’automne sont les plus exposées au risque car elles ne laissent pas de possibilité d’élimination des symptômes par l’émission de nouvelles feuilles. « Sans la mise en œuvre de mesures de protection efficace, en s’appuyant notamment sur un pilotage de l’irrigation adapté, la qualité du feuillage pourra être nettement dépréciée. La période à protéger est longue », indique Bruno Pitrel.
Protéger les feuilles présentes à la récolte
« En effet, toutes les variétés n’expriment pas les mêmes dégâts à population égale », ont mentionné Lucile Bertillot et Christophe Fleurance de la Chambre d’agriculture du Loir-et-Cher lors d’une Journée poireau, organisée par le semencier Bejo en décembre dernier. « Cette variabilité peut s’expliquer par la différence d’attractivité des variétés mais aussi par la différence de sensibilité du feuillage », commentent les spécialistes. Selon leurs travaux de synthèse des essais 2017-2018-2019 réalisés dans le Loir-et-Cher, les dégâts ne sont pas uniquement corrélés à la population de thrips mais également à la sensibilité variétale. « Le choix des variétés est un des leviers de lutte contre les thrips », assurent-ils. La stratégie de protection en est un autre : il s’agit de protéger les feuilles présentes à la récolte. Ainsi, le suivi cinétique de l’évolution du feuillage réalisé pour le bassin Centre-Val-de-Loire par les techniciens montre que pour la variété Krypton les cinq premières feuilles du plant ont totalement disparu après le 25 septembre. Pour Keeper, les feuilles apparues avant le 21 août ont disparu à partir de mi-novembre et Pluston les feuilles apparues avant le 21 août ont disparu à partir du 10 novembre.
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De fait, les essais réalisés en 2018 dans le cadre d’un projet porté par le Sileban et financé par France Agrimer montrent qu’un décalage du début de la protection, en commençant fin août au lieu de mi-juillet, n’a pas d’incidence sur les dégâts foliaires liés aux thrips à la récolte. « Les essais 2019 de ce projet ont montré la présence d’Aeolothrips, prédateurs de thrips, jusqu’à fin août », mentionnent les spécialistes. Aeolothrips intermedius a besoin dans son régime alimentaire de protéines florales en plus de celles procurées par ses proies habituelles (larves de thrips) pour assurer sa reproduction. Pour atteindre sa maturité sexuelle, l’adulte consomme donc des tissus floraux qu’il trouve sur des arbres et des plantes herbacées, avec une préférence pour les légumineuses. Les larves ont un comportement essentiellement prédateur. Toujours dans la région du Loir-et-Cher, les tests de stratégies de lutte selon les températures réalisés dans cette campagne montrent qu’il n’est pas nécessaire d’intervenir lorsque les températures sont supérieures à 30°C. De même en 2018, l’évaluation des stratégies de lutte au sein du groupe Dephy Ferme « Légumes de Sologne » révèle l’apparition du thrips début juillet et une chute naturelle des populations du ravageur courant juillet jusqu’à mi-août n’affectant pas le feuillage restant à la récolte. « Ce n’est pas en intervenant systématiquement que l’on maîtrise le mieux le thrips », commentent Lucile Bertillot et Christophe Fleurance.
Une faible présence de la faune auxiliaire
En région Normandie, l’activité des auxiliaires en culture est radicalement différente. Sur l’ensemble de la période critique, c’est-à-dire de juillet à octobre et sur deux années d’expérimentation (projet Gestiphyto 2016-2017), la présence d’Aoelothrips dans les cultures de poireaux a été négligeable, y compris en l’absence de traitements insecticides. Des dispositifs de captures (pièges à cornets) positionnés en culture ont confirmé une très faible activité de ces auxiliaires. « Si ces résultats sont très opposés à ceux obtenus dans le Loir-et-Cher, ils n’en restent pas moins représentatifs des différents bassins de production du département de la Manche. Dans les conditions régionales, nous ne pouvons pas réellement compter sur l’activité des auxiliaires au sens d’un impact sur la régulation du niveau de pression en thrips », indique Bruno Pitrel. « Encore actuellement dans le cadre du réseau BSV, les suivis en cultures de poireaux confirment une très faible présence de la faune auxiliaire », précise Marie-Laure Blanc, de Fredon Normandie.
Irriguer pour contrôler la pression
Les mesures prophylactiques ont toutes leurs importances. Le BSV Auvergne-Rhône-Alpes mentionne ainsi que lors du choix de la parcelle, il faut éviter un précédent direct d’un allium en année n-1, ainsi que sur les parcelles voisines. Les sols très humides ou très secs peuvent également avoir un effet sur la pression de population primaire en gênant la nymphose. Les pluies ou les irrigations peuvent aussi permettre de « lessiver » les individus et contrôler la pression présente. Il peut alors être préconisé un bassinage, technique qui consiste en des irrigations fréquentes avec de faibles volumes, par exemple trois apports quotidiens de 1,5 à 2 mm répartis sur l’ensemble de la journée. L’utilisation de desséchants (dessiccation de la cuticule des insectes à corps mous), comme l’huile essentielle d’orange douce à 60 g/l, est également envisageable. « Si la pratique du bassinage peut être considérée techniquement comme une référence, des irrigations bien positionnées peuvent aussi permettre d’accentuer la mortalité naturelle des thrips et d’améliorer significativement l’efficacité des programmes de lutte. C’est une méthode qui permet d’agir en rupture du cycle de reproduction de l’insecte et ainsi d’interrompre la multiplication des populations. En région Normandie, les années chaudes ne sont pas faites pour réduire l’activité des thrips mais peuvent au contraire engendrer une génération supplémentaire », indique Bruno Pitrel.
Des règles de décision « Thrips »
Dans le cadre du projet Ecophyto 2 Vik’Leg, le Sileban a travaillé sur la règle de décision « Thrips » sur poireaux construite dans le cadre du projet Dephy Expé Carottes.
En 2018, sur trois parcelles de producteurs, situées dans trois bassins de production, a été mise en œuvre la règle de décision de traitement avec les trois mêmes outils. En premier, le modèle Inoki (CTIFL) qui permet de visualiser, grâce des indications culturales (date de plantation) et météorologiques, le cycle de vie du thrips et surtout les pics de vol afin de positionner les traitements de manière plus efficace. En deuxième, des observations régulières en parcelle des dégâts avec un appui technique sur place (technicien d’OP ou Fredon). Et enfin, un piège connecté dans chaque parcelle afin d’avoir une visualisation de la dynamique de population et d’éprouver en condition de terrain l’intérêt du piège. Cet outil d’aide à la décision (OAD) a déjà été testé en 2017 par le Sileban en culture de poireau (gestion du thrips) et de carotte (gestion de la mouche). « Pour le thrips, le piège a montré des résultats intéressants, les comptages suivaient bien la cinétique de vol du thrips », mentionne la synthèse des essais. « Attention toutefois, les résultats 2017 n’ont pas été confirmés par la suite et n’ont pas permis de valider une bonne pertinence de l’outil pour estimer les vols », précisent les expérimentateurs du Sileban. Les décisions ont ainsi été prises selon les mêmes données et la même règle. Les résultats ont été bons sur la parcelle du bassin du Mont-Saint-Michel avec un accueil favorable du marché, malgré des traces de piqûres plus marquées que sur les poireaux de la pratique « producteur ». « Les traitements thrips ont été presque deux fois moins nombreux que sur la pratique « producteur » en comparaison avec 2017, année à pression thrips équivalente à 2018 », précise Pauline Boutteaux, animatrice du projet Vik’Leg. Dans le nord-est du Cotentin (Val de Saire), les résultats sont également encourageants avec une nette diminution de l’IFT insecticides en 2018 sur un poireau d’hiver tardif. Sur la côte ouest de la Manche, le bilan est plus mitigé avec des poireaux marqués par le thrips à la récolte. Sur ce bassin, la qualité des plants au moment de la plantation est apparue primordiale. En effet, les plants utilisés par le producteur étaient issus de sa propre production et étaient déjà infestés par le thrips au moment du repiquage. Les premiers résultats obtenus grâce à l’utilisation de cette règle de décision sont encourageants et une démarche similaire a été reconduite en 2019 avec l’objectif supplémentaire de simplifier la règle de décision, notamment en matière d’observation en parcelle afin de la rendre opérationnelle pour un producteur. Les premières observations tendent à confirmer les bons résultats de 2018.