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La framboise relève le Dephy

En identifiant les leviers pour supprimer l’utilisation des produits phytosanitaires, le réseau Dephy Framboise mené par la Chambre d’agriculture de Corrèze permet de maintenir un IFT(1) très bas, parfois à zéro. La démarche est à conforter avec une meilleure prise compte de la biodiversité.

En quinze ans, la production de framboise en Corrèze s’est convertie à la culture sous abri dont plus de la moitié en culture sur substrat. Elle représente aujourd’hui un peu plus de 40 ha et 500 tonnes produites par une cinquantaine d’entreprises. Depuis 2012, onze d’entre elles, dont une conduite en agriculture biologique, font partie du réseau Dephy Ferme Framboise animé par Karine Barrière, Chambre d’agriculture de Corrèze, dont le but est de réduire et sécuriser l’usage des produits phytosanitaires. « Le groupe est constitué de producteurs volontaires. L’ambition est de les aider à optimiser leurs pratiques et à tester les méthodes alternatives qui émergent du travail collectif. Les résultats serviront par la suite à tous les autres producteurs », explique l’ingénieur. Dans le cas de Dephy Ferme Framboise, l’objectif est de maintenir un IFT bas et de produire des framboises sans résidu sur fruits. « Nous sommes partis de pratiques très disparates. Certains producteurs étaient entre sept à neuf traitements sur une campagne, alors que d’autres avaient un IFT à zéro. Dans une première étape, il a été assez facile de réduire le nombre d’interventions en transposant certaines méthodes », témoigne Karine Barrière. Ainsi, l’IFT moyen du groupe Dephy Ferme Framboise est passé de 3.24 à 2.07 en 4 années. La plus forte baisse a été réalisée sur les herbicides avec des suppressions, et/ou une simple réduction d’usage, et plus de tolérance sur la présence d’herbe dans les abris.

Gêner la dynamique des populations de pucerons

Contre les ravageurs, le groupe a identifié les leviers d’actions possibles pour supprimer l’utilisation des produits phytosanitaires. « Les principaux ravageurs sont les pucerons, notamment au printemps », mentionne Karine Barrière. Deux espèces peuvent être présentes dont le Puceron vert du framboisier, Aphis idaei apparaît à l’extrémité des tiges et des hampes florales. Restant agglomérés en colonie, sa régulation à l’aide d’auxiliaires, chrysopes et coccinelles, est assez simple. Toutefois, ses apparitions précoces au printemps peuvent être impactantes en l’absence des prédateurs qu’il faudra introduire rapidement. L’achat et les lâchers d’auxiliaires (larves de syrphe, d’hémérobes et de chrysopes) sont possibles. Mais les producteurs de Dephy Ferme Framboise ont aussi fait le choix de favoriser l’installation de la faune auxiliaire environnante parfois très abondante dans l’éco-système protégé des exploitations corréziennes, voire de l’introduire dans les abris comme chez Yolande et Jean-Paul Delmas. Le Grand Puceron vert du framboisier, Amphorophora idae est beaucoup plus problématique de par la grande mobilité de ses individus aptères qui se déplacent sur la plante et même du sol vers les plantes. Chez Mireille et Thierry Durand, producteurs à Varetz, il est présent de manière prépondérante sur la variété Tulameen. Le couple teste de nouvelles stratégies de protection pour le maîtriser avec différentes modalités d’introductions d’auxiliaires : efficiences de ces derniers, fréquences d’introductions (nombre de lâchers) et d’intensité (nombre d’individus) ; ou encore l’emploi de savon noir. « Cette dernière technique pourrait présenter un certain intérêt mais elle nécessite encore d’expérimenter les volumes et les concentrations ainsi que la stratégie d’application », commente Karine Barrière. L’utilisation de préparations naturelles peu préoccupantes à base d’huiles essentielles est également testée. Leur application a pour objectif de gêner la dynamique des populations de pucerons et de freiner leur développement. Elle présente des contraintes d’utilisation liée à la température (à plus de 15 °C) et au volume. « Ces produits seront évalués dans des conditions de production sur les fermes du réseau Dephy avec différents protocoles », assure la technicienne.

Renforcer la biodiversité sur les exploitations

L’acarien, Tetranicus urticae, est présent dans les cultures et leur niveau de population peut poser problème à l’automne. Les températures estivales et la faible hygrométrie sous abris favorisent ce ravageur. De fait, la gestion du climat dans l’abri fait partie de premières mesures de prévention. L’objectif est de limiter l’élévation de la température avec une aération importante et de maintenir un niveau d’hygrométrie élevé grâce à l’enherbement des inter-rangs et/ou l’utilisation de la brumisation. « Il est important d’introduire des auxiliaires dès la détection de premiers foyers pour limiter le développement du ravageur et aussi favoriser l’installation des auxiliaires », explique Karine Barrière. Pour cela, lorsque le ravageur est repéré, Amblyseius californicus est apporté dans la culture sous forme de sachet assurant une libération progressive des individus ou sous forme de lâcher en apport direct dans la végétation si la présence du ravageur est déjà forte. « Même avec une population faible de ravageurs, Amblyseius californicus qui se nourrit aussi de pollen, peut survivre dans la culture », mentionne la spécialiste. Autre auxiliaire prédateur d’acarien, Amblyseius persimilis est plus utilisé en situation de rattrapage sur une population de ravageurs déjà bien installée. Si l’objectif de Dephy Ferme Framboise est de maintenir un niveau bas d’IFT, il est également d’améliorer les conditions d’introduction des auxiliaires et l’efficience de la protection biologique intégrée dont le coût peut être important. « Notre plus gros défi est de renforcer la biodiversité naturelle sur les exploitations, de faciliter son maintien et son transfert sur les cultures », conclut Karine Barrière.

(1) Indice de fréquence de traitement

« Les auxiliaires autochtones paraissent plus opérationnels »

Depuis sept à huit ans, Yolande et Jean-Paul Delmas n’utilisent plus de produits de traitement pour protéger les 5 000 m2 de culture hors-sol de framboise. Une démarche volontaire déterminée par la réduction du nombre et de la possibilité d’utilisation des produits phytosanitaires mais aussi la volonté de ne plus être à leur contact, et surtout l’éveil de Yolande à l’observation et à la préservation de la faune auxiliaire autochtone. Les producteurs installés à Yssandon font donc partie du réseau Dephy Ferme Framboise de la Chambre d’agriculture de Corrèze. « Dans un premier temps, l’utilisation de produits plus respectueux des auxiliaires a permis l’installation naturelle de Stethorus », explique Yolande Delmas. En observant ces petits coléoptères prédateurs de la famille des Coccinellidae, dont les larves et les adultes consomment principalement les acariens, la productrice a cherché à les maintenir l’hiver dans la serre. Ainsi, en fin de culture, elle remplit un palox de feuilles avec la présence de tous les stades de l’auxiliaire et le laisse dans la serre. « Dès les premiers jours d’ensoleillement, les adultes sortent pour recoloniser la nouvelle végétation », explique-t-elle. Après de nombreuses observations régulières, l’agricultrice passionnée a aussi constaté la présence d’autres prédateurs, coccinelles et syrphes, venus de l’extérieur pour consommer les pucerons déjà présents sur les framboisiers. Yolande a donc commencé à prélever cette faune inféodée au site pour protéger ses cultures, notamment le petit puceron vert. Désormais, l’agricultrice réalise des captures d’adultes de syrphes et de coccinelles dans une parcelle d’orties toute proche, ou installe directement des bouquets d’orties chargés de pucerons (spécifique à l’ortie !) mais aussi de larves d’auxiliaires. « Les auxiliaires autochtones paraissent plus opérationnels mais la méthode n’est toutefois pas garantie car la nature n’est pas toujours synchrone avec la culture, comme cette année. Cela demande du temps d’observation mais aussi de la tolérance en sachant accepter quelques dégâts mais nous n’avons jamais eu de perte de récolte significative », constate-t-elle. La période la plus critique est au printemps. Cette année, Yolande et Jean-Paul Delmas ont introduit des larves de syrphes achetées auprès d’un fournisseur, faute de présence dans l’environnement naturel proche, mais en tant que passionnée, Yolande a su capturer plus de 300 coccinelles lors d’un séjour près de Montpellier et les a introduites dans sa serre où leurs larves ont mis peu de temps à être en pleine action. En remarquant la présence de perce-oreille dans les foyers de pucerons, l’agricultrice envisage aussi de les introduire dans sa serre. Pour favoriser l’installation et le maintien de cette faune bienfaisante, les producteurs ont également modifié leur système de production. « Nous produisons Kwenza, une variété remontante en double production, avec des rangs de cultures alternés entre plantation de première année et de seconde année. Ceci permet de conserver en permanence des plantes et de la végétation dans la serre pour le maintien des auxiliaires, un relais entre les cultures est assuré », explique Jean-Paul qui a été contraint de différencier les circuits d’irrigation pour les deux stades de plantes.

Des règles contre Drosophila

Contrairement à la fraise, les préjudices causés par les attaques de la mouche Drosophila suzukii peuvent être limités sur la production de framboise à condition de respecter quelques règles essentielles. La première consiste en une gestion régulière des récoltes avec des passages tous les deux jours. Les fruits doivent être ramassés au stade « fruit clair ». Tous les autres fruits, oubliés ou déformés, doivent également être récoltés, enlevés de la parcelle et détruits. Dès la récolte, les colis doivent être placés en chambre froide pour freiner le développement des larves de Drosophila. La chaîne du froid doit être maintenue jusqu’à la livraison client. Il est important d’éviter au maximum le stockage des fruits et l’allongement du temps de commercialisation.

Des producteurs engagés dans Dephy

Mireille et Thierry Durand

Pour Mireille et Thierry Durand, l’enjeu est de maîtriser la productivité et baisser l’utilisation des produits phytosanitaires aphicides. Différentes stratégies de protection sanitaire ont été testées dans le cadre et grâce au réseau Dephy. Aujourd’hui, ils travaillent à la végétalisation de leur site de production et prévoient de planter 100 mètres (sur 3 m de large) de haies composées de végétaux assurant le maintien de la faune auxiliaire à proximité des abris (noisetier, aubépine, églantier, saule, lierre…).

Jean-Pierre Faurel

Impliqué dans le réseau Dephy Ferme Framboise, Jean-Pierre Faurel a basé la protection de ses cultures sur l’amélioration de la biodiversité dans ses abris et aux alentours, et sur la tolérance de quelques dégâts. Ce qui lui permet d’avoir un IFT à zéro. Mais la démarche volontariste et vertueuse engendre aussi l’apparition et l’installation de nouveaux ravageurs comme l’altise présente jusqu’alors dans ses cultures de façon ponctuelle et limitée, et qui aujourd’hui devient préjudiciable.

Jean-Paul Chappoux

Pour Jean-Paul Chappoux, l’observation de ses cultures est primordiale pour réagir vite et bien. Il a choisi de baser sa protection en employant l’introduction d’auxiliaires dès l’apparition des premiers ravageurs (sur le créneau estival) et en améliorant l’efficience des applications sanitaires lorsqu’il en est contraint. Pour cela, il utilise un « UBV », appareil permettant de traiter avec des volumes faibles de bouillie sans personnel dans la serre. Ce qui sécurise l’opérateur et ses collaborateurs.

 A lire aussi : Des PNPP pour la framboise

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