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Ils ont pris des risques… calculés

Cinq agriculteurs se sont lancés dans la grande culture et les légumes de garde en mode bio. Depuis cinq ans, le chemin accompli est considérable.

Travailler autrement est inscrit dans les gènes de la Bioteam

Le pari engagé par ces cinq paysans du Cambrésis (59) était plus que risqué ! Pourtant, ils ont osé tenter la grande aventure en 2011. Se lancer dans l’agriculture biologique de plein champ en plein coeur d’un territoire où prédominent les grandes cultures paraissait totalement insensé. Force est de constater qu’en peu de temps leur projet a mûri, s’est construit et consolidé progressivement jusqu’à attirer de nouveaux membres. Ils viennent tout juste de poser les fondements juridiques de la Bioteam. Ce groupement réunit désormais les 460 ha des cinq exploitations agricoles du canton de Gouzeaucourt (59), hier l’un des plus grands centres de production endivière de France. « Au départ, on avait envie de travailler autrement. Nous nous sommes tournés vers le bio. A l’époque, on pensait que c’était un effet de mode. Mais cinq ans après, nous sommes convaincus que c’est tout à fait autre chose », témoignent Véronique Cany et Sébastien Lemoine, les chevilles ouvrières du projet, respectivement âgés de 45 et 50 ans. « Notre choix n’a pas été guidé par les calculs économiques », rajoutent-ils. Et si leurs profils respectifs sont atypiques, tous possèdent une grande ouverture d’esprit sur le monde extérieur.

Casser les codes et oser le travail collectif

Véronique Cany est à l’origine du projet. Elle avait senti « qu’il y avait quelque chose à faire sur un plan local ». Elle y associe aussitôt son mari, à la tête d’une entreprise d’espaces verts. Cette formatrice à l’Institut Agricole de Genech a repris les 60 ha de l’exploitation familiale en 2002. « En 2011, nous avons pleinement réfléchi à notre projet », insiste-t-elle. Même si, cinq ans plus tard, elle admet qu’« elle ne serait pas partie si elle avait eu des prêts JA à rembourser. On a pris des risques sécurisés ». Car les initiateurs de la Bioteam ont bien mesuré les risques d’une telle aventure. Ils se sont lancés parce que « leurs conjoints avaient déjà leurs propres activités ».

Pour impulser de nouvelles dynamiques, ils sont conscients qu’ils ont dû casser les codes établis, imaginer de nouveaux rapports entre producteurs, oser le travail collectif et les échanges de terres… et surtout entraîner derrière eux de plus jeunes producteurs motivés, séduits par ces nouveaux schémas.

Investir dans l’immatériel peut être décisif

Leur première session de formation achevée, ils se sont formés « aux modèles industriels bio du Benelux », ont visité une exploitation du Loiret et se sont même entourés d’un conseiller belge privé, spécialiste de la production bio de carotte de plein champ… puis se sont lancés après avoir « levé certaines craintes ». « On a réfléchi tout de suite aux légumes de plein champ ("légumes de garde") comme les carottes, les betteraves rouges ou les oignons. Chacun a commencé par convertir six hectares », expliquent-ils. « On a un peu bricolé au départ », reconnaît malgré tout Sébastien Lemoine, installé sur 77 ha depuis 1996. En effet, après avoir utilisé du matériel d’occasion, fait appel aux ETA, etc., il a fallu très vite donner une plus grande cohérence au projet. Ils se sont donc rapprochés de la Cuma voisine (celle de Villers-Plouich), mais surtout ont fait appel à un coach, Joseph Vandenbroucke. « En agriculture, on hésite souvent à investir dans l’immatériel, mais cela peut être décisif. Avec le coach, on anticipe les conflits et on possède une meilleure vision de notre projet commun. Notre coach nous aide à prendre du recul », assurent-ils. Le groupe dépose également un dossier de Groupement d’intérêt économique et environnemental (GI2E) qui sera l’un des cinq premiers dossiers du Nord-Pas de Calais a être agréé par le ministère de l’Agriculture en 2015.

« Madame Pôle Emploi de Gouzeaucourt »

La Bioteam a sûrement bousculé, mais elle a également séduit. C’est ainsi que le groupe a été à l’initiative de la création d’un groupement d’employeurs en 2014 avec à l’origine huit adhérents. Il permet de pallier les problèmes de main-d’oeuvre rencontrés dans le canton. Avec 4 000 heures en 2014, 10 000 en 2015 et 17 000 heures prévues en 2016, le groupement répond vraiment à un besoin !

Avec ses 60 salariés répertoriés au fichier, il est devenu désormais incontournable. Quant à Véronique Cany, elle est depuis, considérée comme « la Madame Pôle Emploi de Gouzeaucourt » ! « Tout se fait désormais par le bouche-à-oreille, car les gens ont besoin de travailler, reconnaît-elle avec une certaine fierté. En une journée, on arrive à mobiliser 24 personnes pour désherber un champ d’oignons d’un hectare ! » A tel point que les agriculteurs conventionnels y font appel pour des travaux comme la suppression des betteraves montées, la récolte de pommes de terre ou le bâchage d’endives. Pour la Bioteam, les projets futurs ne manquent pas : développer de nouvelles activités « qui enrichiront le collectif », créer une équipe de salariés compétents en production légumière, développer les circuits commerciaux, investir sur le suivi technique…

Mais l’une des principales étapes des deux prochaines années est bien de passer 266 ha en bio d’ici à deux ans « tout en veillant à ce que chacun puisse développer ses propres expertises au service du groupe ». La voie est désormais tracée… mais la Bioteam sait d’ores et déjà que le chemin sera long et encore semé d’embûches !

« Je suis un passeur »

« Je suis celui qui permet aux gens de réguler leurs relations entre eux », témoigne Joseph Vandenbroucke, qui assume le rôle de coach à la demande du groupe. Cet ancien formateur intervient à plusieurs niveaux. Il aide tout d’abord chacun à trouver sa place dans le groupe, mais aussi suscite chez eux la vision de ce qu’ils veulent entreprendre. Enfin, il interpelle sur les moyens d’y parvenir. « Pour que le groupe vive, il doit être ouvert aux autres », précise-t-il. Il persuade l’ensemble des membres que « chacun doit pouvoir aller à son propre rythme ». Et à l’issue de chaque réunion, « ils ont une feuille de route sur les chantiers qu’ils doivent mener. Je suis là pour poser le cadre, pour que les gens puissent grandir et avancer ensemble. Je les accom-pagne surtout pour qu’ils puissent gagner en autonomie et qu’à terme ils puissent se passer de moi ». Il faut surtout qu’ils prennent du recul sur leur quotidien. « Mais au bout du compte, je ne serai qu’un passeur », conclut-il.

Vraie ou fausse concurrence ?

La Bioteam ne se développe pas sans bousculer l’ordre établi. Les structures régionales bio – auxquelles ils adhérent et où ils ont pris des responsabilités (Gabnor, Norabio) – observent leur développement avec quelques inquiétudes. La Bioteam aurait-elle l’intention de concurrencer les circuits en place ? « Nous voulons travailler en réseau avec les structures qui font leurs preuves », martèlent ceux qui ont impulsé de nouvelles activités dans leur Cuma. « On les a incités à acheter du matériel carotte, des planteuses et des arracheuses de pommes de terre, du matériel oignon… Depuis quelques années, la Cuma a investi 300 000 à 400 000 euros/an dans des matériels performants et spécifiques à l’agriculture biologique » qui ne sert qu’aux adhérents bio. Sous l’impulsion de la Bioteam, les responsables de la Cuma ont préféré développer de nouvelles activités : un signe fort d’ouverture. Depuis, le groupe sollicite d’autres Cuma régionales en développant le travail inter-Cuma, ce qui permet à la Bioteam de disposer d’un matériel le plus adapté et le plus performant possible en limitant d’autant les heures de désherbage.

PARCOURS

2011 Démarrage de la conversion bio

2013 Premières surfaces de légumes emblavées (carottes et betteraves rouges). Mise en place d’une équipe commune de désherbage

2014 Structuration du groupement d’employeurs

2015 Répartition des risques sur plusieurs légumes. Investissements dans du matériel performant.

2016 Structuration juridique des dynamiques en cours

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