Didier Guillaume : « Je veux promouvoir cette filière et l’aider à faire sa transition vers l’agroécologie »
Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, a répondu aux questions communes des rédactions de Réussir Fruits & Légumes et de FLD. Retrouvez sa perception de la filière et ses réponses aux attentes d’amélioration de la compétitivité des entreprises et des débouchés de la filière fruits et légumes.
Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, a répondu aux questions communes des rédactions de Réussir Fruits & Légumes et de FLD. Retrouvez sa perception de la filière et ses réponses aux attentes d’amélioration de la compétitivité des entreprises et des débouchés de la filière fruits et légumes.
Le Sival, salon de l’arboriculture, des cultures légumières et végétales, va regrouper les professionnels du secteur des fruits et légumes. Comment percevez-vous cette filière spécialisée ?
C’est une filière d’excellence qui est confrontée à de nombreux défis aujourd’hui. La France est le 4e producteur de légumes dans l’Union européenne et il y a près de 40 000 exploitations qui sont engagées pour produire des fruits et légumes de qualité. Je veux promouvoir cette filière et l’aider à faire sa transition vers l’agroécologie. Vous avez finalisé un plan de filière dans un temps imparti très court. Et je ne peux que soutenir les engagements forts que vous y prenez, notamment sur des questions où nos concitoyens ont de fortes attentes. Les questions de la montée en gamme des productions et de la sortie des produits phytosanitaires sont essentielles, notamment pour les fruits et légumes, qui sont consommés parfois sans presque aucune transformation. Nous devons faire preuve d’ambition sur ces questions.
Les producteurs de fruits et légumes se sont mobilisés contre la suppression du TODE. Y aura-t-il des aménagements particuliers ?
Conscient des difficultés pour vos filières Fruits et Légumes, le Gouvernement a proposé des modalités d’atténuation de la sortie du dispositif TODE, pour donner le temps aux réformes entreprises de produire pleinement leurs effets (loi EGA, fiscalité agricole, modalités de remboursement de la TICPE sur le gazole non routier…). Ainsi, un dispositif d’atténuation sur deux ans, proposé par le Gouvernement et renforcé sur proposition des parlementaires de la majorité, a été largement adopté, en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) (en date 22 novembre 2018, ndlr). En 2019 et 2020, l’emploi de main-d’œuvre occasionnelle agricole bénéficiera d’exonération plus forte que dans d’autres secteurs ou que pour d’autres catégories de salariés agricoles. Cela représente un effort budgétaire de 105 M€ en 2019 et 80 M€ en 2020. Pour mémoire, en 2019 les exploitants agricoles employeurs de main-d’œuvre percevront, en outre, l’allégement des charges salariales au titre du CICE, soit près de 335 M€. L’ensemble de ces mesures visent à garantir la compétitivité de vos filières.
Quelles sont vos propositions pour maintenir la compétitivité des exploitations fruitières et légumières ?
La compétitivité de nos exploitations passera par l’innovation et la montée en gamme. Il est illusoire de penser que nous réussirons à être compétitifs sur le coût du travail face à nos concurrents sauf à remettre en cause le SMIC, ce que personne ne souhaite. La bataille de la compétitivité passe davantage par l’innovation comme la mécanisation et la robotisation et surtout par la montée en gamme. Le recours aux signes officiels de qualité et d’origine (IGP, AOP, bio…) doit être renforcé, comme le propose le plan de filière. Pour aider nos filières à réussir ces transitions, les outils du Grand plan d’investissement seront mobilisés. Il faut aussi mobiliser toutes les énergies dans des projets alimentaires territoriaux et se saisir de l’objectif de 50 % de produits bio, locaux et écologiques dans la restauration collective en 2022.
Après les néonicotinoïdes, l’usage du métam-sodium est supprimé par l’Anses, sans délai ni solution de remplacement. Quelles sont vos propositions pour faire face à ce type de « situation franco-française » (dixit les professionnels) qui génère de nombreuses impasses techniques ?
Tout d’abord, il convient de souligner que les mesures permettent de préserver la santé publique mais également la viabilité des filières agricoles. Les enjeux sanitaires et environnementaux mais également sociétaux sont très forts, et le fait que la France soit aux avant-gardes est indispensable compte tenu de la place de l’agriculture dans notre pays et des attentes de nos concitoyens. En ce qui concerne le métam-sodium, tout d’abord, la France n’est pas le seul pays européen à avoir pris des mesures, loin de là. Les pratiques agronomiques, en particulier les pratiques de rotations, constituent la principale méthode compatible avec les principes de l’agro-écologie, pour abaisser les populations de parasites en dessous de leur seuil de nuisibilité. Votre institut technique dédié, le CTIFL, doit travailler avec la filière pour rechercher d’autres solutions.
La régularité de production et d’approvisionnement du marché des fruits et légumes est directement rattachée à l’usage de l’eau et à l’irrigation. Quelles actions doivent mener les producteurs, les collectivités territoriales et le gouvernement pour améliorer la capacité et la gestion des ressources en eau ?
J’ai eu l’occasion de le dire lors du lancement du volet II des Assises de l’eau. La question de la construction de nouveaux moyens de stockage de l’eau excédentaire en hiver, lorsqu’ils sont utiles et nécessaires, pour contribuer à relever le défi collectif du changement climatique, ne doit pas être taboue. Le Gouvernement a proposé une méthode : celle des projets de territoire pour la gestion de l’eau, qui sera précisée et adaptée pour être mise en œuvre dès 2019 dans les territoires. Il faut désormais que tous les acteurs se l’approprient. Les Assises seront l’occasion de conforter cette approche, et de partager les bonnes pratiques à respecter pour la réussite de ces projets.
Lors des EGA, la filière des fruits et légumes a souvent été citée en exemple, notamment par le président Macron à Rungis. Elle a promis d’aller encore plus loin avec un plan de filière ambitieux mais craint de ne recevoir aucun financement (ou pas assez) : le fléchage des 5 Md€ du plan d’investissement a-t-il évolué ?
Le Grand Plan d’Investissement doit permettre d’accompagner les exploitations agricoles et les entreprises agroalimentaires mais il n’est pas fait pour répondre aux besoins de financement des interprofessions. Le GPI accompagnera les investissements de l’amont (transition environnementale, instruments financiers) et de l’aval. Quand un agriculteur a un débouché sécurisé et valorisé, il lui est beaucoup plus aisé de se transformer. Il faut avoir une vision territoriale des investissements industriels nécessaires (silos de stockage, trituration, abattage/découpe, logistique) et non spécialisé par filières. Sur les EGA, l’Etat a fait sa part, il faut que les professionnels se mobilisent également.
D’autre part, le CTIFL devrait être amputé de 1,90 M€ sur les 4 M€ qu’il reçoit des fonds Casdar. Où en est-on ?
Il y a une volonté forte du Gouvernement de restaurer l’équilibre de nos finances publiques, c’est une question de responsabilité. L’ensemble des ministères sont mis à contribution. Ces efforts s’accompagnent aussi d’une volonté de simplifier la vie des entreprises en supprimant les petites taxes affectées. Il n’y a pas de volonté politique de pénaliser vos filières. Par exemple, en 2018, pour la filière Fruits et Légumes, 28 projets ont été financés pour un montant de subvention de 4,93 M€, soit près de 48 % des financements disponibles sur la partie expérimentation du CASDAR.
Le bio est un axe de développement de l’agriculture française. Quels sont les moyens à mettre en œuvre pour faire face à la demande croissante des consommateurs ?
L’agriculture biologique française est au cœur de mon action. Avec le programme Ambition Bio, c’est 1 Md€ pour faire de la France un leader en Europe et une place réservée en restauration collective. Pour accompagner le programme Ambition Bio 2022, trois leviers financiers seront particulièrement mobilisés : le renforcement des moyens consacrés aux aides à la conversion avec 200 M€ de crédits Etat ; 630 M€ de fonds FEADER, auxquels s’ajouteront les autres financements publics, et à compter de 2020, un apport de 50 M€ par an par la redevance pour pollutions diffuses (RPD) ; un doublement du fonds de structuration « avenir bio » géré par l’Agence bio, porté progressivement de 4 à 8 M€ par an ; une prolongation et une revalorisation du crédit d’impôt bio de 2 500 € à 3 500 € jusqu’en 2020.
N’y a-t-il pas d’autres solutions que le bio pour arriver à une agriculture durable, rentable et en phase avec les attentes du consommateur ?
La différence fondamentale est que l’agriculture biologique est un signe officiel de qualité et d’origine qui repose sur un cahier des charges partagé au niveau européen et un système de contrôle et de certification indépendant. C’est un signe distinctif fort qui permet d’assurer la transparence vis-à-vis du consommateur, basée sur un cahier des charges rigoureux et un système de contrôle associé. Toutefois, les autres démarches sont intéressantes et doivent être valorisées dès lors qu’elles s’inscrivent dans la transition agroécologique. Par exemple, le réseau des 3 000 fermes DEPHY témoigne de la faisabilité de déploiement de solutions alternatives aux produits phytopharmaceutiques dans des fermes pratiquant l’agriculture dite conventionnelle. La mise en valeur de ce type de démarche relève de la certification environnementale des exploitations agricole, via le logo HVE. Le ministère et les filières travaillent pour le valoriser, en complément de l’agriculture biologique.
La filière fruits et légumes a souvent l’impression de ne pas être entendue. En particulier, l’intermédiation éprouve des difficultés à être reconnue comme interlocuteur par les pouvoirs publics. Pourtant, les grossistes assurent 90 % des approvisionnements de la restauration collective, un secteur primordial pour le développement de la consommation de fruits et légumes. Que cela vous inspire-t-il ?
Nous souhaitons renforcer la place des interprofessions dans la structuration des filières : elles ont acquis une responsabilité forte dans le cadre des EGA. Les interprofessions ont vocation à représenter l’ensemble des maillons d’une filière. C’est parfois un équilibre difficile à trouver mais auquel il faut veiller. En complément, la loi EGALIM comporte des dispositions favorisant la montée en gamme des approvisionnements de la restauration collective, avec l’objectif de 50 % de produits bio, sous signe de qualité ou locaux d’ici 2022. De nombreux fruits et légumes sont bien entendu éligibles à ces catégories et le plan de filière des fruits et légumes est à saluer, qui fait de la montée en gamme un axe stratégique de son développement. Au-delà de ces cadrages nationaux, ce sont les initiatives locales qui permettent véritablement d’avoir les solutions adaptées aux spécificités des territoires, de leurs habitants et de leur tissu économique, au travers des projets alimentaires territoriaux. Les grossistes peuvent prendre toute leur part dans cette dynamique de projets.