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Alimentation saine et durable
Comment adapter son offre à un consommateur qui se veut nouvel omnivore ?

Une table-ronde de l’Institut for a Positive Food a mis l’accent sur les solutions possibles : travailler sur l’acceptabilité de nouveaux produits ou recettes, proposer des innovations en termes de praticité, mais surtout mettre le consommateur (ou le convive) en présence répétée de cette nouvelle offre afin de le familiariser. Et cela demande aux enseignes et aux cantines des “sacrifices” économiques et d’espace.

L’Institut for a Positive Food a organisé un webinaire le 13 décembre et a débattu des solutions pour adapter et faire accepter l’offre pour une alimentation saine et durable à un consommateur “nouvel omnivore”. Avec notamment les interventions de : Philippe Legrand (membre du conseil scientifique de l’Institut for a Positive Food et directeur du laboratoire de Biochimie & Nutrition humaine à Agrocampus-Ouest/Inserm) ; Agnès Giboreau (directrice de la recherche à l’institut Paul Bocuse) ; Céline Laisney (directrice du cabinet de veille et de prospective AlimAvenir) ; et Karine Sanouillet (directrice de l‘agence Respire en conseil et stratégie).
© Capture d'écran FLD/Institut PF

Comment adapter l’offre à une alimentation plus saine et plus durable ? Végétaliser l’offre est-elle la (seule) solution ? Alors que le consommateur semble passer d’un omnivore “classique” à un “nouvel omnivore”, plus flexitarien, voire végétarien ou vegan, plus attaché au local, à la santé, quelles solutions distributeurs, marques et autres opérateurs peuvent-ils proposer ? Ces questions ont été au cœur d’un débat en webinaire de l’Institut for a Positive Food, le 13 décembre.

Acceptabilité d’une alimentation saine et durable : l’effet “plat du jour”

Le comportement alimentaire dépend de plusieurs facteurs : le mangeur, les aliments et le contexte. Agnès Giboreau, directrice de la recherche à l’institut Paul Bocuse, analyse : « Pour pousser à une alimentation saine et durable, il faut donc prendre en compte les représentations sociales et les acceptations (les interdits religieux, les discours sur l’alimentation…) mais aussi des éléments de contexte de repas comme l’ambiance, la décoration, le personnel qui accompagne… » Agnès Giboreau évoque ainsi l’effet “plat du jour” (stratégie de nudge marketing) : lorsque le plat par défaut est végétarien, il a tendance à être plus choisi (à 60 % face à un plat de viande contre 34 % lors d’un choix libre).

« Enfin, l’acceptabilité d’un aliment repose sur l’expérience sensorielle. Il faut faire évoluer les recettes en utilisant des épices et des herbes !, conseille Agnès Giboreau, directrice de la recherche à l’institut Paul Bocuse. Car cet ajout permet de réduire de 50 % la teneur en sel sans compromettre l’appréciation de plats à base de légumineuses. »

Des distributeurs engagés mais opportunistes

Le consommateur est soumis à de nombreuses influences externes et internes quant à ses habitudes et choix alimentaires : situation économique et sociale, médias, ONG, offres des marques, etc.

« De par leur positionnement entre producteurs, marques et consommateurs, les distributeurs ont un rôle fondamental par le choix de leur offre alimentaire, insiste Karine Sanouillet, directrice de l‘agence Respire en conseil et stratégie. Ils sont sincèrement engagés par conviction, dans une vision pour leurs produits frais et leurs MDD. Mais ils y voient aussi un moyen de répondre aux attentes d’un nouveau segment de consommateurs, dès les années 70-80, qui représentent la moitié des consommateurs en 2021. C’est aussi un positionnement d’enseigne, un moyen de se démarquer des concurrents à travers la marque propre et désormais la RSE. Une offre plus saine et durable permet aussi souvent un prix mix et des marges plus élevés. Enfin, cela va dans le sens de plus de dialogue avec le monde agricole pour des partenariats de long terme et permet de bénéficier de nouvelles propositions de produits disponibles. »

Offre d’alimentation saine et durable : un marché du végétal qui n’attire pas tant que ça

Le bio n’a plus ses preuves à faire. Il représente désormais un marché de 12 Md€, moitié par la GMS, moitié par la distribution spécialisée. « Le bio est une manière pour la GMS de prendre une part importante à la transition alimentaire », analyse Karine Sanouillet. Le vrac est une autre manière gagnante, anti-gaspi et économies car juste quantité, c’est un marché en croissance à déjà 1,3 Md€.

En revanche le végétal, sur lequel tout le monde s’est emballé, dans la mouvance de transition écologique, de bien-être animal et de santé, semble rester une niche. « Le végétal est encore assez absent des offres et des stratégies RSE des enseignes, estime Karine Sanouillet. Je pense que c’est parce que c’est un système encore difficile pour le monde agricole, qui est le principal partenaire des GMS. Et l’appétence des consommateurs pour ce type de produits a déçu. Ainsi, on a vu une accélération sur l’offre des boissons végétales avec des surfaces linéaires allouées rapidement doublées mais la bascule avec le consommateur ne s’est pas fait et devant le manque de rentabilité au mètre linéaire, l’offre est retombée. C’est un sujet plus complexe qui va au-delà du prix. »

Renouveler la présentation de nouveaux produits pour les faire reconnaître : perte de temps, d’espace et d’argent à court terme pour une rentabilité future ?

Sur quel délai de temps une enseigne doit donc accepter de laisser ces nouveaux produits prendre de la place en linéaire pour se faire connaître et accepter des consommateurs ? Karine Sanouillet conseille ainsi : « Il faut aussi pousser la communication des marques sur cette nouvelle offre si on veut pousser la bascule des achats. Plus on est en contact avec un produit, plus on s’y habitue et on aura tendance à l’acheter. »

De la même manière que dans les rayons, à la cantine, dans le contexte de menus végétariens, il va falloir accepter une part de gaspillage alimentaire -et donc des pertes économiques- le temps de faire connaître et reconnaître ces produits parfois inconnus comme les légumineuses, les légumes, met en garde Agnès Giboreau.

Offre alimentaire et de cuisine : innover pour apporter de la praticité

70 % des Français aiment cuisiner mais un tiers déclarent avoir rarement le temps de le faire (50 % chez les 18-34 ans). Et la moitié des Français disent manquer d’inspiration pour préparer le repas (66 % des 18-34 ans) selon une enquête YouGov de novembre 2021. « Ce sont donc des freins majeurs mais aussi des solutions à creuser pour se diriger vers une alimentation saine et durable », estime Céline Laisney.

La directrice du cabinet de veille et de prospective AlimAvenir évoque ainsi un panel de nouvelles solutions en développement :

- le batch cooking (le fait de cuisiner en une fois tous ses repas de la semaine), avec des acteurs qui donnent des idées recettes. Exemple de l’interprofession des légumineuses Terres OléoPro sur son site internet (ou Interfel qui le fait aussi).

- les kits ou paniers repas. « Très développé dans le reste de l’Europe (HelloFresh) et surtout aux Etats-Unis, la tendance commence à prendre en France avec par exemple le leader Quitoque qui a été racheté par un gros acteur, Carrefour ». Il s’agit souvent de produits frais, locaux [« se “sain-plifier les courses] mais le prix (de 5 à 9€ par personne) et l’abonnement sont des contraintes. Certaines enseignes (Monoprix…) proposent désormais en rayon ces kits. Aux Etats-Unis, HomeChef vient de réaliser un chiffre d’affaires de 1 Md$ en magasins.

- les kits repas doublés à l’électroménager comme Cookéo ou M. Cuisine mais le coût de l’équipement, même en baisse, n’est pas à la portée de tous les foyers.

- les plats cuisinés frais. « Les plats cuisinés sont un secteur en restructuration avec des recettes simplifiées, des ingrédients plus sains… Au sein de cette catégorie émerge par ailleurs une nouvelle offre, celle de plats frais en DLC ultra-courtes, comme Seazon. Les freins restent le prix, l’abonnement et l’éthique face aux emballages plastique.»

- une approche par la recette au sein de l’e-commerce, avec des applications comme Jow qui permettent de sélectionner des recettes selon ses critères et génèrent automatiquement une liste de courses et la possibilité de se faire livrer via les enseignes partenaires. L’appli Innit va encore plus loin en faisant le lien avec l’électroménager connecté (four connecté).

- la livraison de repas par des start-up dédiées (FoodChéri) ou de vrais restaurants, avec une offre repensée pour être plus saine, durable. « Par exemple FoodChéri ne propose plus de plat à base de cabillaud, bœuf et avocat en raison de leur impact environnemental. Il affiche aussi le Nutri-score et l’Eco-score sur ses plats. »

- des innovations de produits en termes de praticité et de goût avec des mélanges prêts en 5-10 min et souvent des prix très abordables ; et un travail sur le goût avec des aides culinaires, sauces et épices, comme les épices pour légumineuses de Ducros, ou la start-up allemande Just Spices innovante dans les mélanges d’épices qui vient d’être rachetée par le géant Kraft Heinz le 10 décembre.

« Demain nous irons vers une hybridation de toutes ces solutions selon la praticité. Cela a déjà commencé avec les restaurants et la livraison, les dark kitchen… », estime Céline Laisney.

Trop végétaliser l’alimentation : gare aux carences !

Philippe Legrand, membre du conseil scientifique de l’Institut for a Positive Food et directeur du laboratoire de Biochimie & Nutrition humaine à Agrocampus-Ouest/Inserm, met en garde : il y a un curseur à placer entre protéines animales et végétales. En Europe, la source de protéines vient de l’animal pour 2/3 et du végétal pour 1/3, mais les enjeux de durabilité, de bien-être animal, etc. pousse à passer à un apport 50/50.

Mais Philippe Legrand avertit : « Attention à vouloir trop végétaliser l’alimentation, on risque des carences. En termes d’acides aminés [quantité et assimilabilité plus que diversité], les protéines végétales ne peuvent assurer le même score chimique que les protéines animales. De plus, les sources de protéines animales sont aussi source d’autres nutriments indispensables : vitamine B12, D et A, fer, zinc, iode, DHA (omega-3), ces nutriments dont l’omnivore actuel est déjà carencé ou en manque. Passer de l’omnivore au “nouvel omnivore”, plus flexitarien, oui ! mais à affiner par la science et pas par les modes et les tendances, et cela passe par une adaptation adéquate de l’offre. »

Végétaliser son alimentation : les substituts, bons pour la santé mais bons pour la planète ?

Enfin, Céline Laisney souligne un nouveau point de débat : au-delà de leur acceptabilité, ces nouveaux produits de forme nouvelles protéines (insectes, micro-algues) sont-ils vraiment durables ? « Pratiques ? oui ! Avec un intérêt nutritionnel ? Oui ! Mais en termes d’analyse de cycle de vie, pour le moment, rien n’est établit. Donc avant de mettre le paquer pour promouvoir cette offre auprès du consommateur, il faudrait d’abord vérifier tout ça. »

Et de préciser : « La végétalisation de l’alimentation ne passe par les substituts. Je pense qu’en France, ce n’est pas ce segment qui va le plus se développer. Il y a des choses plus brutes, plus simples. »

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