Bertrand Poulain a vendu ses 120 vaches pour produire des légumes bio
Bertrand Poulain, agriculteur dans le Morbihan, est passé de l’élevage laitier conventionnel aux légumes bio vendus en filières longues et vente directe. Pour ne pas y passer trop de temps, il a investi 400 000 € dans du matériel spécifique aux légumes.
Bertrand Poulain, agriculteur dans le Morbihan, est passé de l’élevage laitier conventionnel aux légumes bio vendus en filières longues et vente directe. Pour ne pas y passer trop de temps, il a investi 400 000 € dans du matériel spécifique aux légumes.
Pendant vingt ans, Bertrand Poulain a produit du lait en conventionnel, avec en complément des volailles, puis de la viande bovine en vente directe et récemment des légumes industrie. « En 2016, deux de mes associés sont partis, explique-t-il. J’ai alors décidé d’arrêter le lait. J’en avais assez de la routine, de l’astreinte de la traite, des cours qui n’étaient pas bons. Puis en 2017, ma femme Guylène et moi avons décidé de convertir l’exploitation à la bio, suite à des demandes en viande bovine et pour découvrir autre chose et répondre aux attentes sociétales. Et en 2020, nous avons choisi de lancer la production de légumes en vente directe, en plus des légumes industrie que nous voulons aussi développer. »
85 ha de légumes
Sur 330 ha, dont 110 ha repris en 2022 et encore en conversion, 77 ha sont aujourd’hui en légumes industrie, dont 27 ha en pomme de terre plants et consommation, 25 ha en haricots verts et flageolets, 15 ha en petits pois et 10 ha en potimarron. Les pommes de terre sont vendues via la coopérative bio Douar Den. Les autres légumes sont destinés à la surgélation, dans le cadre d’Ardo en 2022, et pour partie à la vente directe pour le potimarron. « Nous cultivions déjà 15 ha de légumes industrie en conventionnel, ce qui avait permis d’investir dans du matériel de binage, précise Bertrand Poulain. Et les marges en bio sont intéressantes, de 2 500 €/ha en pois, 3 500 €/ha en haricot, 4 500 €/ha en potimarron. »
Le producteur cultive aussi aujourd’hui des légumes pour la vente directe à des magasins, collectivités… : 2 ha de carotte, 1,5 ha de poireau, 0,3 ha d’oignon, 2,5 ha de patate douce, 1 ha de choux, betterave, courges butternut et 1 ha de lentilles. Les prairies valorisées par les vaches à viande permettent au sol de se reposer entre deux légumes et de lutter contre les repousses de pomme de terre et l’enherbement.
« Le parcellaire est éclaté sur trois sites, dont un a de très bonnes terres pour les légumes. Il n’y a pas d’irrigation, peu rentable en légumes industrie. Mais si les marges s’améliorent avec la vente directe, nous allons y réfléchir. » En plus du couple, trois salariés travaillent à plein temps sur l’exploitation, complétés par une dizaine de saisonniers l’été. « Produire des légumes bio implique du travail et de la technique, note Bertrand Poulain. J’ai fait beaucoup de visites, de rencontres. »
Bien s’équiper pour gagner du temps
Dans un premier temps, le maraîcher a testé les différents légumes sur de petites surfaces, sans s’équiper, mis à part d’une herse-étrille. « La première année en carotte, nous avons tout fait manuellement sur 4 000 m². En patate douce, nous avons planté 10 000 plants à la main ! » Les cultures et les ventes se passant bien, le Gaec a donc décidé d’investir dans du matériel pour augmenter les surfaces. « En pomme de terre, j’ai d’abord travaillé en ETA via Douar Den, précise le producteur. Mais nous sommes excentrés par rapport à la coopérative. Les travaux n’étaient pas toujours faits à temps. Nous avons donc décidé d’acquérir du matériel d’occasion pour tout l’itinéraire, matériel qui sert aussi pour la carotte. Et il y avait aussi les autres légumes. Les outils existants étaient amortis, les banques n’ont pas posé de problème. »
En cinq ans, le Gaec a investi 400 000 € dans une bineuse 6 m pour haricots et flageolets, une bineuse 4 m pour le pois et les petits légumes, une bineuse carotte, une bineuse passe-pieds, un brûleur thermique, une planteuse patate douce équipée d’un semoir potimarron, une chaîne de conditionnement carotte, une chaîne de lavage poireau, une arracheuse poireau… « Ainsi, je dispose d’une bineuse par légume, ce qui permet d’être plus réactif » apprécie Bertrand Poulain.
Développer la vente directe
Les légumes représentent aujourd’hui 60 % de la marge du Gaec. Et Bertrand Poulain entend encore développer la production de légumes et surtout la vente directe qui permet une meilleure valorisation. « Les magasins spécialisés bio constatent actuellement une baisse de la consommation, mais ils sont demandeurs de produits bio locaux, assure-t-il. Nos patates douces se vendent très bien. Et nous voulons diversifier nos débouchés auprès de collectivités, de grossistes, d’une légumerie. »
Après avoir élargi sa gamme (choux pommés, choux-fleurs blancs, verts, oranges, Romanesco…), il veut par contre se spécialiser sur quelques légumes et produire ses propres plants. En 2022, il va aussi construire un bâtiment pour ses lignes de conditionnement carotte et poireau, actuellement installées dans une ancienne étable, et s’équiper de frigos pour la phase de « curing » des patates douces et la conservation des potimarrons.
La carotte, légume compliqué en bio
« Le légume le plus compliqué à produire en bio est la carotte, à cause du désherbage, note Bertrand Poulain. Des maraîchers m’en achètent car ils ne veulent pas s’embêter avec ce légume. » L’itinéraire technique implique d’abord un à trois faux-semis. Pour limiter les risques, le producteur sème ensuite ses carottes en quatre fois, d’avril à juin, avec trois indices de précocité. Quatre à cinq jours après le semis, il réalise un brûlage thermique à 2 km/h en pré-levée de la carotte.
« Il faut être très attentif, car la carotte peut lever très vite. Je mets des plaques de verre au sol pour surveiller la levée. » Il fait ensuite trois à quatre binages, tous les huit à dix jours, à 3-5 km/h, complétés par un ou plusieurs rattrapages manuels. Une fois les désherbages finis, il pose un filet anti-mouches. Les carottes sont arrachées de septembre à février, en quatre fois. Le rendement atteint 20-25 t/ha vendues en caisses de 10 kg à 1-2 €/kg.
Parcours
1996 : installation en Gaec en lait et volaille
2007-2009 : création d’un troupeau de Limousines et d’un labo de transformation
2016 : arrêt du lait
2017 : début de la conversion en bio
Label Terres de Sources
Les légumes sont vendus à dix Biocoop, des grossistes, des collectivités, sur deux marchés et à la ferme deux jours par semaine. Depuis septembre 2021, le Gaec livre aussi des pommes de terre, carottes, oignons, potimarrons et poireaux à la légumerie Tezea qui fournit des collectivités dans le cadre d’une filière Terres de Sources. Créé par l’établissement public Eau du Bassin Rennais, qui gère l’eau potable sur l’agglomération rennaise, le label Terres de Sources vise à accompagner des agriculteurs s’engageant dans la protection de l’eau.
L’agriculteur (sauf certifié bio) s’engage à ne plus utiliser les produits phytosanitaires les plus problématiques et à diminuer ses IFT et sa fertilisation azotée. Des filières sont créées dans le cadre de marchés publics des collectivités. En contrepartie de son engagement, l’agriculteur bénéficie de ces marchés et, sauf s’il est déjà certifié bio, d’un Paiement pour Services Environnementaux pouvant atteindre 3 000 €/an, voire 5 000 €/an s’il s’engage à ne plus utiliser de phytos d’ici trois ans.
Début 2022, une SCIC a aussi été créée pour fournir d’autres réseaux (transformateurs, magasins, restaurants…). 130 exploitations sont engagées dans la démarche, en pomme, légumes, lait, viande, blé noir, légumineuses… et l’objectif d’ici fin 2027 est d’intégrer 750 des 3 000 exploitations de la zone concernée. Des partenariats ont aussi été noués dans d’autres régions, le label ayant vocation à essaimer.