Aux Pays-Bas, la bio est parfois XXL
Précurseurs d’une agriculture intensive et high tech, les Pays-Bas n’en sont pas moins une référence en matière de production de légumes bio où les exploitations sont parfois très disparates. Reportage en plein polders.
Précurseurs d’une agriculture intensive et high tech, les Pays-Bas n’en sont pas moins une référence en matière de production de légumes bio où les exploitations sont parfois très disparates. Reportage en plein polders.
Les membres du groupe de BioBrass ont rationnalisé leurs cultures... ce qui leur a permis d’aborder de nouveaux marchés
BioBrass est un groupement de cinq agriculteurs bio exploitant ensemble 3 000 ha. Wouter Dykhuis cultive notamment 75 ha de choux-fleurs et 75 ha de brocolis qu’il récolte de mai à fin novembre. Il produit également des mini-romaines, des laitues iceberg et des céleris. Son exploitation bio XXL est située à Lelystad, au coeur de la zone de production bio des Pays-Bas, au Nord-est d’Amsterdam, en pleines terres de polders, légères et sableuses. « Il y a 60 ans, c’était la mer ici ! » rappelle Wouter Dykhuis en nous recevant au beau milieu de son champ de choux-fleurs. Ce jeune agriculteur, qui vit dans la capitale hollandaise à une cinquantaine kilomètres de ses terres, n’est pas propriétaire de son exploitation. De retour d’Australie et sans travail, Wouter a commencé à travailler dans une ferme : « Puis le patron de BioBrass m’a proposé de venir travailler avec lui avant de me confier, plusieurs années plus tard, la gestion de cette exploitation. ».
Des parcelles pas assez riches en matière organique
Les quatre autres agriculteurs bio cultivent notamment pommes de terre, oignons et carottes. « Des exploitations menées à une telle échelle sont des exceptions », s’empresse-t-il de rajouter en précisant : « Nous sommes quasiment le contre-exemple de ce que représente l’agriculture bio aux Pays Bas. » Quinze salariés travaillent à BioBrass mais ils sont près de cinquante durant les six mois de récolte, surtout de la main-d’oeuvre provenant des Pays de l’Est (Roumanie, Pologne…) Cela fait 12 ans que BioBrass a débuté la production bio. D’abord sur 150 hectares. Mais à force de se développer et d’augmenter les volumes, les membres du groupe ont rationalisé leurs cultures, se sont spécialisés… ce qui leur a permis d’aborder de nouveaux marchés. Ils ont décidé de pratiquer un assolement en commun permettant des rotations beaucoup plus longues. Le chou-fleur revient ainsi tous les huit ans dans la même parcelle. « Ces rotations longues conjuguées à des parcelles bien regroupées diminuent grandement les risques de maladies », explique Wouter. Toutefois, pour le chou-fleur, ses parcelles ne sont pas assez riches en matière organique, même après une culture de luzerne de deux ans. C’est pourquoi il apporte du lisier de porc, du fumier ou des vinasses en complément pour assurer son rendement. Et pour obtenir une meilleure compétitivité tout en évitant des manipulations inutiles, il conditionne ses choux-fleurs au champ (environ 80 %) et le reste à la ferme. « Pour le céleri, c’est beaucoup plus compliqué car il nous est interdit d’épandre du lisier à cause des salmonelles », souligne-t-il. Une fois les choux-fleurs récoltés, il sème des engrais verts jusqu’aux premiers gels puis prépare ses terres avant de les laisser reposer durant tout l’hiver. Un cycle désormais bien rôdé. A quelques encablures de là, dans la région de Deventer, à l’Est d’Amsterdam, Heleen et Jopie Duijnhouwer témoignent d’une toute autre vision de l’agriculture biologique hollandaise. Ils cultivent une vingtaine d’hectares depuis 28 ans. Les légumes plein champ sont les cultures principales de l’exploitation. Huit hectares sont aussi consacrés au pâturage et six autres aux céréales sur des terres moins fertiles. Mais ces terres ne leur appartiennent pas. C’est l’une des six exploitations d’un même et unique propriétaire : « Nous sommes encore un peu dans un système féodal », lâchent-ils avec le plus grand sérieux en précisant dans la foulée que le propriétaire, grand amateur de chasse, est extrêmement attentif aux cultures emblavées de ses six exploitations !
Des difficultés de trésorerie en permanence
L’exploitation d’Heleen et Jopie est la seule des six conduite en bio avec une maîtrise technique indéniable. Même si cette année, ils concéderont avoir été désemparés devant une invasion de chenilles, tant sur les salades que sur les choux ! Dans la rotation qu’ils ont voulue la plus longue possible, il y a toujours une parcelle implantée en trèfle. Au bout de deux ans, elle est aussitôt coupée et le trèfle enfoui dans le sol à raison de 15 tonnes de matière fraîche/ha avec une adjonction supplémentaire d’un digestat de méthanisation. C’est ainsi que le couple limite l’introduction de fertilisants extérieurs. Une fois l’engrais vert broyé et enfoui, la parcelle de choux est implantée avant des salades et du maïs pour terminer par une culture d’épeautre. « La plantation de salades s’étend de début mars à fin août pour des récoltes jusqu’au début du mois d’octobre », précise Jopie. Chaque semaine, ils commercialisent environ 2 000 têtes de laitues feuilles de chêne rouge vendues en moyenne 70 centimes d’euro l’unité (hors emballage), 2 000 têtes de laitues, des scaroles (1,5 euro/kg) ainsi que des romaines naines. Même si la grande majorité des légumes est commercialisée par l’intermédiaire des nombreux circuits spécialisés, le couple pratique également la vente à la ferme. « Cette vente directe représente environ le cinquième de nos rentrées d’argent », témoigne Heleen qui supervise la gestion de l’exploitation. Comme beaucoup d’autres producteurs, elle pointe du doigt « les difficultés de trésorerie auxquelles ils sont confrontés en permanence. On doit acheter nos plants et attendre plusieurs mois avant de vendre nos premières salades… Sans compter que nos clients payent parfois à deux ou trois mois ! ».
Thierry Becqueriaux
« Les conventionnels se remettent en cause »
Aux Pays-Bas, la bio ne faiblit pas. « A Amsterdam, les ouvertures de supérettes sont régulières », témoigne Wouter Dykhuis, qui estime que le fossé existant entre les conventionnels et les bio disparaîtra progressivement. « Dans cinq à six ans, il est fort probable que nous ayons les mêmes coûts de production que les conventionnels », prédit-il. Les changements de comportements sont perceptibles : principalement situés au nord du pays, les agriculteurs conventionnels commencent à modifier leurs pratiques. « Hier, ils mettaient choux-fleurs sur choux-fleurs. Mais face à la recrudescence des maladies et les baisses de rendement, ils commencent à prendre en compte l’importance des rotations », conclut-il.
Un marché à un milliard d’euros
Au début des années 2000, le marché de l’alimentation bio était de l’ordre de 340 millions d’euros, chiffre monté à 420 millions en 2005, 752 millions en 2010 et plus d’un milliard en 2013. Côté distribution bio spécialisée, le nombre des magasins est encore restreint avec 365 points de vente, du supermarché de chaîne à l’indépendant, en passant par la supérette franchisée. Les principaux magasins sont liés à trois grossistes : Udea qui distribue à l’enseigne Ekoplaza (70 supermarchés), Natudis (28 points de vente en 2014), Odin à l’enseigne Estafette (environ une vingtaine de magasins).
Sources :
Service Europe et International du Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt de FranceBio Linéaires
EN CHIFFRES
L’agriculture bio encore marginale
1 412 exploitations bio sur 63 931 exploitations agricoles aux Pays-Bas, soit 2,2 %
49 000 ha certifiés en bio, soit 2,7 % de la SAU néerlandaise
40 % des exploitations certifiées bio représente des exploitations avec pâturages
28 ha de taille moyenne pour les exploitations bio