Arboriculture : ce qu’apportent les cultures fruitières à la société
Les services apportés par l’arboriculture à la société ont été décryptés dans une récente étude du Gis Fruits. Une première étape vers une forme de rémunération ?
Les services apportés par l’arboriculture à la société ont été décryptés dans une récente étude du Gis Fruits. Une première étape vers une forme de rémunération ?
Les bénéfices apportés par l’arboriculture ne se limitent pas à la production de fruits. Le monde de la recherche s’intéresse de plus en plus aux nombreuses contributions des écosystèmes agricoles au bien-être humain, désignées sous le terme de services écosystémiques. Dans la filière fruits, une thèse Inra/CTIFL soutenue en 2017 par Constance Demestihas a examiné cinq de ces services fournis par les vergers de pommiers (voir Prospectives « Le verger du futur », novembre 2018). Encore plus récemment, fin 2019, le Gis Fruits s’est intéressé aux services rendus par les cultures fruitières, y compris aux effets moins étudiés par la littérature scientifique. Cinq catégories de services ont ainsi été retenues : la production de fruits, l’économie et l’emploi, l’environnement, la santé et le bien-être, et le patrimoine et la culture. Cette étude a pour objectif de fournir des références techniques sur ces services. « Elle nous a permis de bien clarifier les notions de services d’un point de vue méthodologique et ainsi d’aboutir à une liste assez complète des services rendus par les cultures fruitières », souligne Sylvie Colleu (Inrae), co-animatrice du Gis Fruits, en avant-propos de la synthèse du rapport final. L’étude, pilotée par Marie-Charlotte Bopp entre octobre 2018 et juin 2019 (1), a mis à contribution de nombreux acteurs de l’ensemble de la filière. Ce travail est d’autant plus important que la France expérimente un nouveau régime d’aides aux agriculteurs, accepté par la Commission européenne il y a quelques mois : les paiements pour service environnemental (PSE), qui visent à encourager toute pratique favorable aux écosystèmes. Ce dispositif pourrait être intégré dans la future PAC en construction.
Une biomasse énergie à valoriser
La fonction première et la plus évidente des cultures fruitières est d’approvisionner la société en fruits. La filière française fournit des fruits diversifiés et de qualité, avec notamment 75 signes officiels de la qualité et de l’origine (hors agriculture biologique). Mais d’autres types de production sont mis en avant dans l’étude, en plus des fruits frais et transformés : les coproduits générés par la transformation et la production d’énergie renouvelable, biomasse notamment. Concernant cette dernière, « 700 000 tonnes de matière sèche sont générées annuellement par les vergers (troncs, branches, rameaux…), dont près de la moitié provient de l’arrachage de vergers », indique l’étude. Cette biomasse énergie, peu valorisée à l’heure actuelle, est le plus souvent brûlée en parcelle. Une piste de valorisation serait d’utiliser ce bois pour produire de la chaleur et de l’électricité. Ainsi, selon une estimation du CTIFL, 1 ha de bois de vergers arrachés peut produire une chaleur de l’ordre de 150 000 kWh/ha, suffisante pour chauffer 3 000 m² de serres de fraise pour une année. Sur un plan économique, les fruits sont des produits à forte valeur ajoutée. Au stade production, la valeur de la production fruitière en France métropolitaine s’élève à 3,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires (Agreste, moyenne 2015-2017). Cette valeur représente 4 % de la production de biens agricoles, alors que les cultures fruitières n’occupent que 0,7 % de la Surface agricole utile. Selon Agreste, un hectare de culture fruitière produit près de 14 000 euros chaque année.
La pollinisation, un des services les plus étudiés
La filière est aussi génératrice d’emplois, de la production au commerce, mais il n’existe pas d’étude quantifiant ce facteur. A une échelle plus petite, une étude de 2019 a chiffré le nombre d’emplois générés en France par la coopérative Unicoque (voir page 22). L’étude du Gis Fruits s’est intéressée à quatre services écosystémiques de régulation relatifs à l’environnement, fournis par les vergers. La biodiversité, qu’elle soit cultivée, apportée sous forme de haies ou de bandes fleuries, ou encore arrivée naturellement dans le milieu, est le « moteur » de ces services de régulation. Parmi eux, la pollinisation est l’un des plus étudiés. Pour les cultures fruitières, ce service est fourni en grande partie par les insectes pollinisateurs sauvages. La production fruitière dépend à 60 % de la pollinisation par les insectes en tonnage de fruits récoltés. Cette dépendance est associée à une forte attractivité du système verger pour les pollinisateurs : diversité d’habitats (strate herbacée, arborée, haies…) et de ressources (pollen et nectar). « Certaines espèces fruitières comme l’amandier ou le cerisier produisent abondamment du pollen et du nectar, une dizaine de kilos de pollen et jusqu’à trois tonnes de nectar sont produites par hectare chaque année », illustrent les auteurs de l’étude. L’aptitude des vergers à fournir des habitats aux pollinisateurs des vergers est ainsi quatre fois supérieure aux grandes cultures. Les autres services de régulation étudiés sont la régulation des ravageurs, celle du climat et de celle de l’érosion des sols (lire « Trois services de régulation de l’environnement »). « D’autres services comme les services de disponibilité d’azote ou du maintien et de la régulation de l’eau n’ont pas été sélectionnés mais sont traités en pomiculture dans le travail de thèse de Constance Demestihas ou en grandes cultures », précise l’étude.
Une forte contribution à la santé
Le stockage du carbone d’un verger de vingt ans est estimé entre 20 et 40 tC/ha. « Ces chiffres sont des ordres de grandeur, basés sur des hypothèses et doivent être manipulés très prudemment », nuance l’étude. Le niveau de stockage dépend fortement de la gestion des bois arrachés en fin de vie du verger. Ainsi, un brûlage au champ relâche dans l’atmosphère l’ensemble du carbone stocké tout au long de la vie du verger. La régulation de l’érosion par les vergers est un service qui n’a pas encore été évalué. Mais plusieurs caractéristiques des vergers permettent de faire l’hypothèse qu’ils contribuent à lutter contre l’érosion (lire « Trois services de régulation de l’environnement »). Sur un aspect santé, la consommation de fruits est associée à une diminution de risque de maladies, notamment cardio-vasculaires, et de mortalité. Selon une étude de 2014, chaque portion supplémentaire de fruits par jour est associée à une réduction de 6 % de la mortalité, toutes causes confondues. Enfin, la partie « patrimoine et culture » des services apportés par les cultures fruitières n’a pas pu être détaillée dans l’étude du Gis Fruits, par manque de temps et de données. Quatre services culturels ont tout de même été identifiés : la valeur patrimoniale des cultures fruitières, leurs valeurs spirituelle et symbolique (place des fruits dans la mythologie, dans les contes et légendes, dans les religions…), les cultures fruitières comme source d’inspiration pour la création artistique, et enfin les activités ludiques et touristiques autour des fruits.
(1) Rapport rédigé par Marie-Charlotte Bopp. Coordination : Dominique Grasselly (CTIFL), Françoise Lescourret (Inrae), Sylvie Colleu (Inrae)
Trois services de régulation de l’environnement
Ravageurs
Le service de régulation des ravageurs est un service rendu par l’agroécosystème verger et plus particulièrement par les ennemis naturels des ravageurs, qui sont plus ou moins favorisés par des infrastructures de l’agrosystème. Pour évaluer ce service de régulation et les fonctions écosystémiques qui y sont associées (prédation, parasitisme), diverses techniques et approches méthodologiques existent. Cependant, il n’existe pas à l’heure actuelle d’indicateur fiable et normalisé de la régulation en conditions naturelles, ce qui empêche une évaluation satisfaisante du gain économique et environnemental de ce service.
Stockage du carbone
Erosion
En France, l’érosion hydrique est responsable de la perte de 1,5 t/ha de sol chaque année. Les vergers présentent plusieurs atouts pour préserver les sols : cultures pérennes, systèmes racinaires puissants qui permettent une bonne fixation du sol, enherbement permanent sur l’inter-rang et parfois sur le rang, faible travail du sol… La régulation de l’érosion permet notamment une amélioration de la fertilité du sol, bénéfique à la production. Mais elle entraîne également une diminution des risques naturels (réduction des coulées boueuses, des inondations) et le maintien des paysages (stabilisation des versants de montagne).
Une filière créatrice d’emplois
Si l’ensemble des emplois générés par la filière fruits en France n’a encore jamais été quantifié, le rapport du Gis Fruits évoque un travail mené par l’Université de Poitiers en 2019 à une échelle plus petite : cette étude a quantifié le nombre d’emplois générés en France par l’organisation de producteurs de noix et de noisettes Unicoque. Au total, l’activité d’Unicoque génère 650 emplois : 93 emplois directs (employés), 289 emplois indirects (producteurs et fournisseurs) et 268 emplois induits (emplois liés à la consommation des ménages bénéficiant directement ou indirectement de l’activité d’Unicoque). Ainsi, pour 1 emploi chez Unicoque, 6 emplois sont générés en France. « Ce travail illustre bien une quantification de nombre d’emplois générée par une filière dont les fruits sont transformés », souligne le rapport du Gis Fruits. La filière noix et noisette, de par sa taille plus petite, est plus facile à étudier que d’autres filières fruitières. De plus, la production est fortement mécanisée et emploie donc moins de salariés. Ainsi, pour les fruits à coque, 1,3 unité de travail annuel (UTA) est employée par exploitation, contre en moyenne 2 UTA par exploitation pour l’ensemble des fruits.
Encore un manque de données
Il manque encore de nombreuses données pour quantifier les services apportés par les cultures fruitières, dans l’éventualité de la mise en place de dispositifs de rémunération comme les paiements pour services environnementaux. D’après les recherches du Gis Fruits, l’un des services les moins étudiés en France est celui de régulation de l’érosion en verger. Dans l’ensemble, les manques constatés dans l’étude sont d’ordre méthodologique pour certains services, notamment pour celui de régulation des bioagresseurs. « Le développement de nouveaux indicateurs et de nouvelles méthodes est nécessaire en amont de travaux d’évaluation des services, préconise le Gis Fruits. Enfin, comprendre les impacts de changements de pratiques sur les niveaux de services fournis est essentiel, notamment avec des approches multi-services ».
Des impacts également négatifs
Les cultures fruitières ne fournissent pas que des services et peuvent avoir des impacts négatifs, appelés aussi « dis-services ». L’étude du Gis Fruits en a considéré deux : l’impact négatif des émissions de gaz à effet de serre, décrit afin que ces émissions puissent être comparées avec le stockage de carbone ; et les effets non-intentionnels des pesticides, dont les effets sur la biodiversité peuvent impacter l’ensemble des services de régulation qui en dépendent (service de régulation des ravageurs, service de pollinisation…). « Au même titre qu’un service, un dis-service est défini par rapport à un ensemble d’acteurs, précise l’étude. Par exemple, la régulation de la faune sauvage peut être perçue comme un dis-service par les chasseurs et comme un service pour les forestiers ».