Surcoûts énergétiques
Flambée de l’énergie : quels impacts sur la filière du commerce des céréales ?
La croissance exponentielle des cours du pétrole et du gaz, et de leurs produits dérivés, enregistrée l’année dernière devrait perdurer en 2022.
La croissance exponentielle des cours du pétrole et du gaz, et de leurs produits dérivés, enregistrée l’année dernière devrait perdurer en 2022.
2021 a vu les cours du pétrole et du gaz s’envoler (cf. graphique), entraînant dans leur sillage ceux des carburants et de l'électricité. Les raisons sont multiples : la reprise des économies après les confinements liés à la pandémie de Covid-19 ; la politique de régulation de la production d’or noir par de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et leurs alliés de l'Opep+ ; le regain de tensions géopolitiques entre pays producteurs de gaz (avec le conflit Russie-Ukraine), voire entre pays producteurs et consommateurs (dépendance des pays européens au gaz russe). L’Europe, dont un tiers de son approvisionnement vient de Russie, estiment que le gaz est une arme diplomatique qui permet à Moscou d’obtenir gain de cause dans plusieurs dossiers, dont « le lancement du nouveau gazoduc russo-allemand Nord Stream 2 », explique l’AFP.
Le renchérissement de l’énergie (carburant, gaz, électricité) a des conséquences directes sur l’activité des entreprises des filières agri-agro, qui se traduisent par une hausse des coûts de fonctionnement. Au niveau de l’amont agricole, les trois principaux postes concernés par la hausse des cours de l’énergie sont le transport, le travail du grain et les intrants.
Hausse des coûts de transport
« Concernant le transport, les surcoûts sont proportionnels au prix du carburant, dans une dynamique de coûts globaux qui ne vont pas en diminuant », s’inquiète François Gibon, délégué général de la Fédération du négoce agricole (FNA).
« Avec une hausse de plus de 30 % constatée sur le gasoil sur une année, le prix du carburant continue de flamber. Ce constat est également une réalité pour les véhicules roulant au gaz avec une hausse de 400 % », constate l’Organisation des transporteurs routiers européens (Otre) dans un communiqué en date du 26 janvier. Et c’est sans oublier « l’augmentation en moyenne de 3 % des tarifs autoroutiers au 1er février 2022 », ajoute, le 1er février, l’association professionnelle.
Si « les véhicules lourds circulent principalement sur les réseaux autoroutiers ou assimilés (38 % sur le réseau non concédé de voies rapides et 35 % sur le réseau concédé payant) », « de plus en plus d’entreprises se retrouvent contraintes et forcées de faire le choix de circuler sur le réseau national ou secondaire, pour réduire leurs coûts d’exploitation », explique Otre, avec les problématiques de congestion des axes secondaires de circulation et de sécurité routière.
Un travail des grains plus onéreux
Quant au travail du grain, la hausse des prix de l’énergie a un impact à la fois sur le déplacement des grains dans les installations et sur leur séchage. D’autant que l’on s’inscrit dans un contexte où « le travail du grain cette campagne se voit intensifier par l’hétérogénéité de la qualité de la récolte (nettoyage, calibrage, allotement…) et un taux d’humidité des céréales plus élevé qu’à la normale (besoins de séchage plus importants) », précise François Gibon.
Mais les surcoûts engendrés ne sont, actuellement, pas quantifiables, le travail du grain n’étant pas terminé. Ceux liés au séchage des grains seront « proportionnels au volume de gaz acheté sur le marché spot, une partie des besoins étant couverts par nos contrats pluriannuels à prix fixe », remarque le délégué général de la FNA.
Des engrais azotés plus chers
La progression des cours de l’énergie a également un impact indirect sur le raffermissement tarifaire des intrants agricoles, qui plombent les trésoreries des agriculteurs. Et en premier lieu, les engrais azotés, obtenus par la combinaison de l'azote de l'air et de l'hydrogène provenant du gaz naturel, qui sont par ailleurs pénalisés par des coûts logistiques exorbitants.
« Si les producteurs de grandes cultures (céréales et oléoprotéagineux) peuvent compenser cette augmentation des dépenses par des recettes plus élevées, en lien avec le haut niveau des cours des grains cette campagne, il n’en est pas de même en arboriculture et en maraîchage où le produit généré par les ventes reste inférieur au coût de production », commente François Gibon.
Vers une économie et un verdissement des énergies consommées
Dans ce contexte de hausse des coûts de l’énergie, les entreprises tentent de limiter leurs consommations et de verdir leurs approvisionnements. Des démarches déjà engagées dans le cadre de leur politique RSE. Sur le volet de la logistique, des réflexions sont entreprises dans le cadre de la transition écologique, notamment sur les carburants verts pour les camions, qui possèdent un double intérêt économique et environnemental.
Par ailleurs, concernant le séchage des grains, les entreprises de négoce modernisent leurs séchoirs. Mais, selon une étude de FranceAgriMer, les investissements sur les infrastructures du travail des grains sont aujourd’hui limités. « Ainsi travaillons-nous à l’intégration de ces travaux de rénovation des silos dans le grand plan d’investissement d’avenir, France 2030, le premier plan fondateur de France relance », déclare François Gibon. En temps normal, les coûts de séchage à la charge de l’agriculteur s’élèvent entre 20 €/t et 30 €/t selon le taux d’humidité du grain. « Concernant les organismes stockeurs, si ces derniers ont pu intégrer dans leur prix de vente du grain la hausse des coûts de l’énergie nécessaire à leur séchage sur les marchés de niche, il n’en est pas de même sur les marchés à l’exportation où l’offre et la demande déterminent les niveaux de prix », souligne le délégué général de la FNA.
Quid de l’évolution de l’énergie en 2022 ?
« Quant à l’évolution des prix de l’énergie en 2022, aucun acteur de la filière ne va parier sur la baisse des coûts énergétiques. Il faut s’attendre à une tendance durable de progression des coûts de l’énergie », estime François Gibon.
En témoigne la décision des vingt-trois membres de l'alliance de l'Opep+ qui ont décidé, le 2 février, de garder le rythme prudent d'augmentation de leur niveau total de production de 400.000 barils par jour pour le mois de mars, rapporte l’AFP. Et ce, alors que les réserves commerciales de pétrole brut aux États-Unis ont également reculé de façon inattendue en semaine 4, selon les chiffres publiés le même jour par l'Agence états-unienne d'information sur l'énergie (EIA). « L'attente dominante est que le marché (...) continuera à se négocier à un niveau élevé sur le pétrole, car il existe de réelles insuffisances de l'offre à court et à long terme », a déclaré, le 3 février à l’AFP, Louise Dickson, analyste pour Rystad Energy.
Quant au gaz, « les tensions géopolitiques entre la Russie et l'Ukraine se sont accrues » et peuvent notamment avoir un effet sur l'évolution des prix du gaz russe importé par l'Europe, craint Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), selon une dépêche de l’AFP en date du 3 février.
Et la dirigeante de la BCE de conclure : « Les nuages géopolitiques qui planent sur l'Europe, s'ils devaient se matérialiser, auraient certainement un impact sur les prix de l'énergie, et toute la structure des prix. Et cela aurait également un impact sur la croissance en raison de la réduction des revenus, de la consommation. L'impact économique serait certainement significatif ».