Phosphore : quelle efficacité pour les engrais censés le rendre plus assimilable ?
Des sociétés proposent des fertilisants à base de phosphore « biodisponible », devant améliorer la nutrition des cultures en cet élément. Les instituts techniques se montrent prudents sur l’intérêt de ces formes d’engrais.
Des sociétés proposent des fertilisants à base de phosphore « biodisponible », devant améliorer la nutrition des cultures en cet élément. Les instituts techniques se montrent prudents sur l’intérêt de ces formes d’engrais.
Le phosphore du sol peut être difficile à absorber par les plantes, même s’il est présent en quantité. La faute à sa faible mobilité et à certains antagonismes entre éléments du sol. Pour rendre ce phosphore (P) plus facilement assimilable par les plantes, des sociétés d’engrais proposent des produits spécifiques. Le groupe Timac Agro a constitué une gamme d’engrais à base de "Top-Phos", « une nouvelle molécule phosphatée, complexée et biodisponible pour la plante. » Il met en avant cette nouvelle forme « pour répondre à un problème de rétrogradation du phosphore dans les sols à pH acide où l’élément se complexe rapidement avec les hydroxydes de fer et d’aluminium, le rendant peu assimilable par les plantes. »
Timac Agro présente des résultats favorables à son engrais. « Sur blé tendre, nous observons en moyenne une amélioration du rendement de 5,7 q/ha, sans dilution du taux de protéines avec Top-Phos (à 35 U/ha P) en comparaison d’un témoin minéral P ou PK (à 60 U/ha P). Dans nos suivis sur colza d’hiver, l’application de Top-Phos à 40 U/ha P au semis, comparé à un témoin P ou PK à 70 U/ha P, entraîne une amélioration du rendement de 2,5 q/ha en moyenne. » Selon la société, le retour sur investissement est positif dans une large majorité des situations.
Des résultats d’essais non probants selon Arvalis
Autres engrais, la gamme Phoxen comporte des produits commercialisés par Fertiline (filiale d’InVivo). « Phoxen est conçu pour valoriser chaque unité de phosphore grâce à une technologie innovante, présente la société. La matière active Avail, de Verdesian, entrant dans la composition, est un copolymère qui désactive le pouvoir fixateur du sol et facilite l’absorption du phosphore par les plantes. » Fertiline met en avant un rendement de 105,1 % avec la technologie Phoxen émanant de 33 essais fournisseurs, par rapport aux témoins sans Phoxen.
Arvalis a testé l'engrais Top-Phos. « Les résultats n’ont pas été pas probants, présente Grégory Véricel, Ingénieur R & D en fertilisation à l’institut technique. D’après nos observations, il n’y a pas d’amélioration du rendement du blé par rapport à une fertilisation avec un engrais phosphaté classique apporté à la même dose de P dans des conditions majoritairement calcaires où l’on aurait pu s’attendre à un effet intéressant. Si, en théorie, la technologie mise en avant par ces engrais est séduisante avec la protection du phosphore contre la rétrogradation, elle semble s’avérer inefficace dans la pratique. Mais la formulation que nous avions testée dans nos essais - Top-Phos Duo M22 – n’est plus commercialisée aujourd’hui. » Diverses formulations sont proposées à la gamme Top-Phos comportant différents équilibres d’engrais P et K et avec une technologie qui reste la même.
Des engrais plus chers que les fertilisants classiques
Concernant le produit Phoxen, le polymère à très forte charge négative capte les cations dans l’environnement immédiat du granulé d’engrais. Ce sont autant de cations qui ne vont pas se lier aux ions phosphates et donc ne pas le « bloquer » dans le sol. « L'additif agronomique homologué contenu dans les engrais de notre gamme Phoxen améliore la biodisponibilité du phosphore et augmente les rendements à dose équivalente de phosphore par rapport à un engrais classique », affirme Yohan Merieau, directeur de Fertiline. Arvalis n'a pas testé cet engrais. Toutefois, Grégory Véricel émet des doutes pour les les situations de sol calcaire saturé en ions Ca2+, où « l'effet de l'additif sera probablement insuffisant en neutralisant qu'une partie de ces ions Ca2+. » Selon Luc Champolivier, spécialiste de la fertilisation à Terres Inovia, « la forme d’engrais vient au second plan dans les recommandations de nutrition phosphatée des cultures. Par ailleurs, le coût de ces engrais est à considérer, plus chers que des fertilisants classiques. »
Au-delà des formes d’engrais, les apports de phosphore sur colza auront lieu aux semis (en localisé ou en plein), voire avant et avec des quantités à définir selon l’état du sol. Pour Grégory Véricel, « le moyen le plus efficace pour limiter la rétrogradation du P dans des sols sensibles à ce phénomène semble encore d’apporter du phosphore tous les ans (et non de grosses quantités tous les 3-4 ans), autant que possible proche du semis des cultures. » Autre solution pour les sols acides, le chaulage qui permet de remonter le pH et de lever les blocages de P. En revanche, dans les sols calcaires, le pH ne peut guère être modifié.
Des sols calcaires et très acides piègent le phosphore
De manière générale, les phénomènes de « blocage » de phosphore dans les sols sont avérés avec des phénomènes de précipitation de l’élément, notamment dans les sols calcaires par le calcium ou dans des sols acides par l’aluminium ou le fer. « L’efficacité des engrais phosphatés y est faible avec entre 0 et 15 % du P apporté par un engrais absorbé par la culture, évalue Grégory Véricel, d’Arvalis. Le reste vient enrichir le stock du sol sous des formes plus ou moins disponibles pour les cultures plus tard. » Il réside de nombreuses zones d’ombre sur les flux de P entre compartiments disponibles et peu disponible du sol. Les ions phosphate ne sont pas absorbés de manière irréversible sur les particules minérales du sol ou sur les cations mais peuvent se libérer et réalimenter progressivement la solution du sol appauvrie en phosphate par les prélèvements des plantes. « Cette vitesse de réapprovisionnement des sols semble dépendre du type de sol, informe le spécialiste d’Arvalis, mais les connaissances restent encore limitées dans ce domaine. »