Équipements agricoles : six questions à se poser avant de réinvestir
Comment préserver la santé financière de son exploitation et continuer à investir ? À l’heure d’un investissement, un certain nombre de points doivent être réfléchis pour éviter les erreurs de gestion et les mauvaises passes. Les réponses avec des experts du sujet.
Comment préserver la santé financière de son exploitation et continuer à investir ? À l’heure d’un investissement, un certain nombre de points doivent être réfléchis pour éviter les erreurs de gestion et les mauvaises passes. Les réponses avec des experts du sujet.
Les prix des céréales sont au plus haut et les chiffres d’affaires risquent de grimper : pour beaucoup, il sera alors tentant de renouveler son parc matériel, surtout si de bonnes affaires se présentent. Mais est-ce une bonne idée ?
1 COMMENT ÉVALUER LE BIEN-FONDÉ D’UN PROJET D’INVESTISSEMENT ?
Pour savoir si un projet d’achat de matériel est fondé, l’idéal est de commencer par établir la liste de tous les investissements en cours et à venir, sur trois ou cinq ans, en leur attribuant un ordre de priorité. Un véritable plan d’investissements en somme. « Cette étape de planification des investissements est très importante et peut permettre d’éviter de saturer sa capacité de remboursement avec des investissements qui ne seraient pas essentiels, alors que d’autres plus vitaux pour l’exploitation restent à réaliser », explique Romain Érard, conseiller d’entreprise chez AS Cefigam 55. « Cette stratégie permet de lisser les investissements dans le temps et de ne pas lier le niveau des investissements au niveau de revenu », complète Jean-Marie Lett, directeur marché conseil au CDER.
2 QUEL EST VOTRE OBJECTIF ?
« L’agriculteur doit d’abord savoir où il veut aller », rappelle Anne Deprez, directrice du territoire Caux Seine Albâtre au CER France Seine Normandie. Si ce n’est déjà fait, il doit connaître ses objectifs, définir son projet, identifier ses forces et ses faiblesses, cerner les menaces et opportunités de son environnement. « Le raisonnement des investissements ne doit plus se faire seulement sous l’angle financier mais de manière plus globale : il faut investir utile. L’essentiel est de s’interroger sur le pourquoi de l’investissement », détaille Anne Deprez.
Ce projet permet-il d’être plus efficace ? De baisser ses coûts de revient ? D’augmenter la productivité des chantiers ? D’améliorer le confort de travail ? De diminuer la pénibilité du travail, pour soi ou pour ses salariés ? Le but peut également être de générer de la valeur ajoutée ou de se diversifier, via une nouvelle production, ou de se différencier, en intégrant des labels (bio, HVE, label bas carbone…). Ou bien s’agit-il de faire évoluer ses pratiques culturales vers un plus grand respect de l’environnement ? « Cette phase de réflexion en amont est primordiale et doit permettre d’améliorer la performance globale de l’entreprise », assure la spécialiste.
3 TOUS LES BOULONS ONT-ILS DÉJÀ ÉTÉ SERRÉS ?
Cette réflexion peut permettre d’identifier des leviers insoupçonnés. Ils peuvent modifier nettement les habitudes de travail avec pour conséquence d’améliorer les revenus. « La mécanisation, c’est 30 % des charges totales d’une exploitation et 50 % de ses charges de structure », rappelle Jean-Marie Lett. « C’est le poste de charges le plus important d’une exploitation. C’est aussi celui qui laisse le plus de marge de manœuvre. » Sur ce poste, les écarts sont encore importants.
« Sur une exploitation type de Champagne crayeuse non diversifiée, donc relativement homogène en matière de productions, les charges de mécanisation sont en moyenne à 420 euros/hectare. Or, un quart d’entre elles ont des charges de mécanisation égales à 287 euros/hectare et un autre quart des charges de mécanisation moyennes de 597 euros/hectare. L’écart est de 300 euros de l’hectare pour faire la même chose ! », détaille l’expert. Un chiffre à comparer au revenu agricole moyen de la région, qui est de 280 euros/hectare.
4 COMMENT ÉVALUER LES CONSÉQUENCES DE L’INVESTISSEMENT SUR LA SANTÉ FINANCIÈRE DE L’EXPLOITATION ?
La clé, c’est l’EBE, l’Excèdent brut d’exploitation. « Il doit être recalculé en intégrant les impacts du projet lié à l’investissement », précise Anne Deprez. Si l’agriculteur monte un bâtiment de stockage qui lui permet de mieux valoriser sa production, il faut l’intégrer en boni. » Il faut également rajouter les annuités nouvelles. La prise en compte de ces éléments détermine la capacité à emprunter, via la Capacité d’autofinancement de l’exploitation (CAF).
« En régime de croisière, sur une exploitation de polyculture, l’idéal est de rester sur un ratio CAF/produit brut supérieur ou égal à 10 % pour conserver une marge de sécurité », relève Romain Érard. Si le projet de l’exploitant remet en cause le système d’exploitation, une réévaluation plus fine de l’EBE s’impose. Les conseillers d’entreprise maîtrisent cet exercice. « Désormais, nos études prévisionnelles devront prendre en compte des baisses de rendements au moins deux années sur cinq, pour être en mesure d’apprécier la plus grande fréquence des aléas climatiques », indique Romain Érard.
Autre point clé : le niveau d’endettement. « Un taux d’endettement inférieur à 45 % ne posera pas de problème majeur pour financer l’investissement », rappelle Romain Érard. Bien sûr, ce ratio ne s’applique pas à de jeunes installés. « Avant un investissement, ne pas faire le point sur sa situation financière est une erreur, relève Anne Deprez. Si les ratios de l’entreprise le permettent, il faut d’abord diminuer le niveau des crédits à court terme et les éventuelles dettes fournisseurs ou constituer de l’épargne de précaution. »
Objectif : se prémunir des fluctuations de revenus en augmentant sa capacité de résistance. Si la trésorerie est excédentaire, on peut aussi envisager d’autofinancer une partie de l’investissement. « Les taux très bas poussent à emprunter la totalité de l’investissement mais en autofinancer une partie reste une mesure de bonne gestion », rappelle la spécialiste du Cerfrance. Cela permet de réduire son endettement.
On peut aussi gérer sa trésorerie différemment. « Quand on achète un tracteur 100 % à crédit, la partie qu’on devrait autofinancer peut-être placée sous forme d’épargne de précaution, qui sera réinjectée plus tard dans l’entreprise en cas de besoin », conseille Jean Marie Lett.
5 LE COÛT DE L’INVESTISSEMENT EST-IL JUSTIFIÉ ?
Au risque de paraître simpliste, reste une question de base : l’investissement peut-il être réalisé à moindre coût ? Combien avez-vous fait faire de devis ? « En achetant de l’occasion plutôt que du neuf on peut renouveler du matériel sans détériorer sa santé financière », rappelle Anne Deprez. Avez-vous aussi étudié d’autres solutions comme le recours à une ETA ou à une Cuma ? Selon la surface et les caractéristiques de votre exploitation, c’est parfois un calcul sans appel. Mais tout dépend là encore des objectifs de l’exploitant. Un agriculteur reste maître de son entreprise.
6 INVESTIR POUR LIMITER LE POIDS DES IMPÔTS ET COTISATIONS MSA EST-IL JUDICIEUX ?
Le renouvellement du matériel agricole a longtemps été favorisé par un seuil d’exonération de plus-values fiscales. Cet effet, lié au niveau de chiffre d’affaires de l’exploitation, s’estompe aujourd’hui. Fixé à 250 000 euros par an, il est fréquemment dépassé avec l’agrandissement des exploitations. « La charge nouvelle générée par l’investissement fait mécaniquement baisser le poids des cotisations sociales et de l’impôt », confirme Anne Deprez. Mais attention : ces économies ne paient jamais l’intégralité de l’investissement ! « L’économie de charges sociales et fiscales couvre au maximum 55 % du coût total de l’investissement. C’est plutôt la cerise sur le gâteau d’un projet qu’une fin en soi », souligne la spécialiste.
D’autant qu’il existe d’autres solutions pour gérer une question fiscale, comme la déduction pour épargne de précaution (DEP) ou le choix d’assujettir son entreprise à l’impôt sur les sociétés (IS) plutôt qu’à l’impôt sur le revenu (IR). Cette option limite les prélèvements des entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices, ce qui est souvent le cas des exploitations agricoles.
L’EBE pour quoi faire ?
Pour calculer la capacité de remboursement de votre exploitation, il faut d’abord estimer votre EBE futur en tenant compte de l’évolution de la conjoncture et de toutes les conséquences de l’investissement sur les résultats. Cet EBE doit couvrir vos prélèvements privés et les annuités existantes. Il doit aussi permettre de consolider la trésorerie. Cette différence entre le revenu disponible et les besoins de l’exploitation détermine votre capacité à rembourser de nouvelles annuités. En général, la part de l’EBE qui sert à rembourser les annuités ne doit pas être inférieure à 50 %. Attention toutefois à conserver une marge de sécurité, en cas de coup dur ou d’investissement imprévu.