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Dakhla, au sud du sud

En quelques années, la zone de production de Dakhla, essentiellement tomate et melon, est devenue stratégique pour les opérateurs marocains. Malgré de lourdes contraintes logistiques, elle permet un approvisionnement hivernal des marchés européens.

Réputée pour ses richesses halieutiques, la région de Dakhla est devenue en l’espace d’une quinzaine d’années une zone déterminante de productions légumières du Maroc, essentiellement tomates et melons destinés à l’export. Les grands opérateurs agricoles marocains s’y sont installés en construisant un parc de serre plastique de type canarien qui avoisine aujourd’hui 600 ha. Comparée à d’autres régions du sud du Royaume, Dakhla bénéficie d’un climat plus modéré avec un nombre d’heures d’ensoleillement à 3 000 heures par an, soit 30 % de plus qu’à Agadir. Géologiquement, la presqu’île de Dakhla qui longe la côte atlantique est constituée d’une couche sédimentaire de grands coquillages fossilisés. Les sols sont pratiquement inexistants, imposant le recours à la culture hors sol. Aussi, la majorité des serres est localisée vers l’intérieur des terres dans le fond de vastes dépressions qui offrent une protection naturelle contre le vent. Celui-ci souffle sur la région pratiquement 12 mois sur 12 et permet une bonne aération des vastes blocs de serres, limitant les maladies fongiques. L’aération se fait principalement par les ouvrants latéraux des serres équipés de filets, qu’il faut toutefois fermer lorsque le redoutable chergui (vent chaud et sec) se lève ou lors de tempêtes de poussière. Ainsi, le surcoût d’installation est estimé à 60 %, d’autant que toutes les composantes et l’approvisionnement en équipements nécessitent une logistique importante. La tomate cocktail et le melon charentais vert sont sans doute les cultures qui expriment le mieux les atouts de la région (qualité, productivité, précocité) et offrent la meilleure aptitude à la valorisation. Les plantations se font dès mi-août, mais elles dépendent essentiellement des contrats avec les clients et des marchés ciblés. La production de la tomate s’étend jusqu’au mois de mai. Le melon (230 ha) a une production très précoce, dès février.

Une eau chaude, salée et fossile

Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette région classée désertique, recèle d’importantes ressources souterraines, mais malheureusement non renouvelables. De fait, tous les sites de production sont équipés en goutte-à-goutte avec des apports hydriques adaptés aux besoins des cultures pour éviter les gaspillages. L’eau fossile remonte par pression via des puits artésiens de 600 à 1 000 m de profondeur. Elle arrive en surface à 40°C dans certains endroits. Ce qui impose un refroidissement dans les bassins de stockage. Cependant, en hiver, cette chaleur est un atout assurant une température favorable autour des racines. Sa composition n’impose aucune filtration spéciale, cependant, elle est riche en soufre et présente une teneur en sel de 1,5-1,9 g/l (chlorure de sodium), soit une EC (conductivité électrique) de 2,7 à 3, voire 3,3 pour certaines exploitations, et qui augmente après l’ajout des engrais. Cette salinité a été la plus grande difficulté à surmonter pour les pionniers de cultures légumières de Dakhla. Certains avaient même investi dans des dispositifs de dessalement. Aujourd’hui, l’irrigation se fait par un mélange composé à 50 % d’eau salée et 50 % d’eau dessalée. Par la suite, les producteurs ont appris à gérer la salinité en jouant sur l’acidification de la solution fertilisante et l’ajout de produits dessalinisants. Perçue au départ comme une contrainte, la salinité une fois maîtrisée est devenue un atout qui se traduit par plus de fermeté, goût, qualité gustative, conservation, résistance à la manipulation et au transport. « Il est important de souligner que la salinité n’engendre pas une baisse de rendement. Nous n’avons pratiquement pas d’écarts de triage et pas de fruits creux, explique le gérant d’une exploitation leader dans la région. Et si l’on veut créer ces mêmes conditions de salinité dans une autre région grâce aux engrais, cela risque de coûter très cher ». Ainsi, les rendements commerciaux sont de 40 à 60 % supérieurs à ceux réalisés dans le Souss Massa, avec moins d’écarts de tri : tomate cocktail 80-90 t/ha, tomate cerise 100-110 t/ha, melon 45 t/ha, en fonction de la technicité des opérateurs. Les productions de Dakhla sont également devenues stratégiques. « Ces rendements importants et réguliers permettent de compenser la baisse de productivité de nos fermes dans le Souss en hiver (faible luminosité, basses températures, défauts de fruits), au moment de la forte demande en Europe », rajoute-t-il.

A 1 200 km de stations de conditionnement

Isolée entre Sahara et Atlantique, Dakhla a bénéficié d’un environnement phytosanitaire très favorable. Toutefois, le problème des nématodes commence à se faire sentir sur certaines parcelles de melon qu’il faut désinfecter au bout de deux campagnes de production. D’où la décision de certains groupes producteurs de se convertir en hors-sol. Alors que la région était indemne d’insectes ravageurs, certains dont la mouche blanche et Tuta absoluta se sont introduits. « Contre la mouche blanche, il faut anticiper en assurant une bonne étanchéité des serres, un bon dispositif de piégeage et un bon vide sanitaire au départ », explique le gérant d’une unité de production. Contre Tuta absoluta, le paillage intégral du sol permet également de lutter en l’empêchant de terminer son cycle de développement dans le sol. A noter qu’en raison de l’éloignement entre les différents sites de production, il n’y a pratiquement pas de risque de transmission des ravageurs, d’autant plus qu’il n’existe pas de cultures ou de plantes ornementales hôtes autour des serres. Parmi les maladies fongiques, l’oïdium est le plus redouté, du fait de l’absence d’humidité. Cependant, l’acariose est un véritable problème, favorisé par la présence de la poussière (vent permanent). « Après les grandes tempêtes, nous utilisons des souffleurs d’air pour éliminer la poussière des feuilles  », note un technicien. Certains groupes de producteurs ont opté pour la lutte raisonnée, d’autres pour la lutte intégrée avec notamment l’utilisation de pièges à phéromones pour mieux orienter la lutte, de piégeage de masse, de pièges colorés en plus des lâchers d’auxiliaires contre Tuta absoluta, la mouche blanche et le thrips. Ainsi, produire à Dakhla nécessite une organisation logistique sans faille pour éviter d’être pris au dépourvu. Il en est de même pour les intrants, les stocks de caisses, le transport… En effet, 1 200 km séparent les sites de production et les stations de conditionnement du Souss. Ici, c’est le sud du sud à 20 heures de route et deux chauffeurs, d’Agadir. Désormais, après une période d’extension où les efforts étaient concentrés sur l’augmentation des surfaces, les producteurs les plus en pointe se préoccupent d’optimiser les performances de production en rendement et en qualité.

Former et fidéliser la main-d’œuvre

Compte tenu de l’éloignement de la région, la main-d’œuvre est plus onéreuse. Chaque opérateur amène une partie de ses besoins en ouvriers, généralement de la région du Souss Massa, qu’il complète par un personnel local. Toutefois, une partie d’entre eux ont décidé de s’y installer. Les tâches, notamment dans la production de la tomate, nécessitent une formation et un bon encadrement local, compte tenu des spécificités de la production de la région. En effet, la production de tomates cerise et cocktail est bien plus exigeante en technicité et en nombre d’ouvriers. On comprend alors l’intérêt de fidéliser cette main-d’œuvre pour laquelle l’investissement en formation est important. Aussi, le personnel est logé en partie sur les sites de production et le reste dans la ville de Dakhla.

De jeunes Sahraouis s’installent

De jeunes Sahraouis ont profité de l’expérience de Rosaflor pour s’installer. Constituée de 15 jeunes entrepreneurs originaires de Dakhla, dont cinq femmes, l’Ajida (association des jeunes investisseurs pour le développement agricole) a été créée en 2015 dans le cadre d’un partenariat public-privé autour de terres agricoles relevant du domaine privé de l’Etat. Ces jeunes entrepreneurs ont fait le choix de s’adosser à la société Rosaflor, filiale du groupe Hassan Derhem, lui-même originaire de la région et parmi les premiers investisseurs dans la zone. Le groupe de jeunes producteurs sahraouis dispose de 5 ha chacun, soit 75 ha situés à Glib Jedyan, 70 km de Dakhla. Avec l’appui de Rosaflor pour la préparation des terrains et l’installation des serres, une première tranche du projet a permis de cueillir les premières tomates cerise, cocktail et melon dès octobre 2017. Une deuxième extension de 20 ha en 2018, puis une troisième de 50 ha en 2019 finalisent le projet. Celui-ci a également une importance sur l’emploi avec 300 ouvriers qui travaillent sur les 50 ha mis en culture en 2019. Les bons résultats d’Ajida ont permis à l’association d’être primée à l’occasion du Salon de l’agriculture du Maroc et la réussite de partenariat entre Rosaflor et Ajida pourrait servir de modèle dans la région et dans l’ensemble du royaume.

Les rendements importants et réguliers permettent de compenser la baisse de productivité de nos fermes dans le Souss Massa en hiver.

Article tiré d’Agriculture du Maghreb

Rédaction Réussir

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