RECONNAISSANCE
Au nom de la Rove
Petite par sa taille mais grande par sa renommée, la brousse du Rove obtient enfin son AOC. Une récompense qui rejaillit aussi sur cette race de chèvres.
Dix ans de démarches auprès de l’Inao et de l’administration pour faire reconnaître la singularité de ce petit fromage conique qui se déguste très frais, nature ou aromatisé. L’AOC n’entrera en vigueur qu’une fois la décision publiée au Journal officiel, mais les éleveurs peuvent d’ores et déjà clamer officiellement la reconnaissance et la protection de leur produit. « Quand on a débuté, on ne pensait pas qu’on en prendrait pour aussi longtemps ! », s’exclame Luc Falcot, un des sept producteurs de l’AOP, vice-président de celle-ci et président de l’Association pour la promotion de la chèvre du Rove. « Nous avions entrepris la démarche avec les autres producteurs de brousse en pensant demander seulement une IGP mais, devant la singularité de notre produit, l’Inao nous a vivement recommandé de nous tourner vers l’AOC ». En effet, la brousse du Rove se distingue de multiples manières des autres fromages français.
Une chèvre qui valorise les plantes de la garrigue
D’abord, par la géographie de sa production, entre mer et montagne, principalement dans les Bouches-du-Rhône, dans le sud du Vaucluse et l’ouest du Var. C’est la zone de pousse naturelle du pin kermès, dont raffolent les chèvres, et la présence de cet arbre particulier induit celle de toute la flore qui, une fois ingérée par les chèvres, parfumera le lait et le fromage. La deuxième particularité, ce sont bien sûr les productrices même du lait donnant ce petit fromage. Les chèvres du Rove, originaires du petit village du même nom, à l’ouest de Marseille, reconnaissables à leurs grandes cornes torsadées, forment une race rustique, adaptée au terrain accidenté et au climat sec du territoire. Les buissons épineux, le thym et le pin sont extrêmement bien valorisés par ce type de chèvre qui, en dépit de sa faible production — autour de 250 kg par an — donne un lait très riche. « En moyenne, notre lait est à 49 de matière grasse et 34,80 de matière protéique et ce, pour nous qui sommes en monotraite », détaille Luc Falcot, qui élève une centaine de chèvres du Rove avec sa compagne Magali.
Un cahier des charges parmi les plus stricts d’Europe
Le cahier des charges de l’AOC, un des plus stricts d’Europe, a été rédigé d’un commun accord entre les huit éleveurs de l’époque. « Nous avions les mêmes pratiques, nous étions sur la même longueur d’onde, témoigne Luc Falcot. La vraie difficulté a été de coucher sur papier nos techniques d’élevage et surtout de fabrication, vu qu’il s’agit d’un savoir-faire plutôt transmis à l’oral ». En effet, le processus de fabrication de la brousse du Rove est bien particulier, puisque le lait n’est pas emprésuré mais chauffé à 89 °C puis refroidi. Lorsqu’il atteint 69 °C, le fromager incorpore quelques gouttes de vinaigre, soit 0,1 à 0,2 % du volume de lait. Le vinaigre va faire floculer le lait, ou brousser comme on dit ici, c’est-à-dire que les protéines du lait vont se regrouper en flocons. Ceux-ci vont être déposés dans les petits moules coniques dont la forme est également spécifiée dans le cahier des charges. « On obtient une saveur d’une qualité exceptionnelle mais qui n’est pas standardisée ni standardisable, puisque tout dépend de la végétation ingérée et du stade de lactation de la chèvre », précise l’éleveur de Cuges-les-Pins. Le premier objectif de l’AOC réside d’ailleurs dans cette impossibilité de standardisation, puisqu’il s’agit avant tout de protéger le produit contre les imitations industrielles qui ont vu le jour depuis de nombreuses années, profitant de la célébrité sans cesse accrue de la brousse.
Les commandes triplent, il n'y a jamais de stock
« On a retrouvé dans le commerce des fromages appelés brousse fabriqués à partir de lait de vache ou même de lait en poudre », s’indigne le vice-président de l’AOC. La production est cependant très limitée, les éleveurs n’ont quasiment jamais de stock et la brousse du Rove est majoritairement consommée sur ce petit territoire méridional. « Nous n’avons pas vocation à agrandir la production mais nous avons quelques projets d’installation en ce moment. Le produit attire les chevriers et futurs chevriers et beaucoup d’éleveurs se retrouvent dans ce mode de production », continue Luc Falcot. C’est le cas d’Eric Prioré qui a repris une exploitation de chèvres du Rove en 2014. « Mon prédécesseur était déjà dans la démarche de l’AOC et c’était une évidence de continuer sur cette voie, explique l’éleveur de 50 ans. La brousse du Rove fait partie du patrimoine de Marseille, ça fait partie de mon histoire ». Avec le lait de ses 101 chèvres, Eric Prioré fabrique au minimum 200 brousses par jour mais depuis l’obtention de l’AOC, c’est pour lui « tous les jours la folie. Je vends sur les marchés, en Amap et dans la grande surface de ma commune et certaines commandes ont doublé, voire triplé, depuis l’année dernière », explique cet ancien ouvrier du BTP qui a ressenti le besoin urgent de changer de métier il y a quelques années.
Vivre de la nature, dans la nature
Il n’a peut-être pas choisi le métier le plus simple, mais c’est pour lui une passion de vivre de la nature et dans la nature, d’autant que cette passion lui permet de vivre et même d’embaucher un salarié qui garde les chèvres sur les parcours et fait la traite du soir. Les éleveurs sont tenus de faire pâturer les chèvres toute l’année, sur un parcours gardé ou non, et ce parcours doit représenter 80 % de l’autonomie alimentaire des chèvres. Les concentrés doivent être garantis sans OGM et le cahier des charges prévoit que la complémentation doit se faire avec des céréales simples, sans additifs. Les chèvres ne doivent pas être dessaisonnées et la reproduction est naturelle. « Le point noir du tableau, c’est l’accès au foncier, alerte Luc Falcot. Nous avons beaucoup de parcours, environ un à deux hectares par chèvre, mais pour s’installer il faut un terrain viabilisé et cela coûte cher ». Autre sujet d’inquiétude, l’arrivée du loup dans la zone. Les éleveurs ne sont pas équipés pour se défendre et quand bien même, avec six heures de parcours par jour, beaucoup de choses peuvent se passer. Mais pour l’heure, Luc Falcot et les six autres éleveurs sont confiants en l’avenir de leur chère brousse du Rove !