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Une filière de cuirs de qualité émerge en Périgord vert

Des éleveurs se sont engagés à remplacer les barbelés par des fils lisses et traiter les parasites externes, en contrepartie d'une plus-value : produire localement des cuirs de qualité.

CWD a fabriqué 7500 selles en 2014. Chaque selle nécessite une peau entière de veau (cuir souple) et une demi-peau de vache (cuir dur). Du cuir tanné avec des substances végétales.
CWD a fabriqué 7500 selles en 2014. Chaque selle nécessite une peau entière de veau (cuir souple) et une demi-peau de vache (cuir dur). Du cuir tanné avec des substances végétales.
© B. Griffoul

L'un des fleuron français de la sellerie de sport est basé à Nontron en Dordogne. La société CWD équipe six des dix plus grands cavaliers du monde. Des selles et accessoires d'équitation haut de gamme (de 3300 à 4700 € la selle selon les modèles) fabriqués avec les meilleurs cuirs et un chiffre d'affaires réalisé pour moitié à l'exportation et en particulier aux États-Unis. Mais les cuirs de belle qualité nécessaires à la fabrication de ces équipements sont également convoités par les industries du luxe (Hermès, LVMH...). Face aux géants du luxe, qui, souvent, ont acheté des tanneries pour sécuriser leur approvisionnement, même les selliers ne fabriquant que du haut de gamme passent au second rang. CWD s'est donc fortement engagé, aux côtés d'autres partenaires, pour lancer un projet expérimental de création d'une filière locale de cuirs de qualité. Circonscrit au territoire du Périgord Vert (nord de la Dordogne), il regroupe plusieurs acteurs de la filière cuir : les tanneries de Chamont qui fournissent CWD et deux abattoirs (Ribérac et Thiviers). Labellisé Pôle d'excellence rurale (PER) par l'État, soutenu par les collectivités territoriales et animé par CWD, ce projet expérimental, qui doit durer quatre ans (2014 - 2017), a pour but d'améliorer la qualité des cuirs issus d'élevages de la zone. En France, les cuirs sont réputés de très mauvaise qualité : seulement 10 % des peaux sont de premier choix alors que, dans des pays comme l'Irlande ou l'Allemagne, 65 % des cuirs sont utilisés par l'industrie du luxe. La différence ? Dans ces pays, les éleveurs sont rémunérés sur la qualité des peaux. En France, les principaux défauts sont provoqués par les clôtures en fil de fer barbelé, les parasites externes (poux et teigne) et les coutelures en abattoir (entaille de la peau lors du dépeçage).

Une plus-value de 40 euros par peau

« L'expérimentation vise à mettre en évidence tous les problèmes que l'on peut rencontrer afin de pouvoir proposer au terme des quatre ans un plan d'actions pour obtenir des peaux de qualité », explique Julie Magne, animatrice du projet. Vingt-quatre éleveurs participent à cette démarche réservée à des naisseurs - engraisseurs (veaux sous la mère et gros bovins) faisant abattre au moins trente bêtes par an. Ils ont signé une charte qualité, qui les engage à mettre en oeuvre des actions pour éliminer les défauts constatés sur les cuirs. En contrepartie, ils bénéficient d'une plus-value de 30 euros par peau payée par CWD. Les adhérents du groupement Univia, majoritaires, reçoivent 10 euros supplémentaires de leur structure. Le sellier s'était fixé l'objectif de financer 1200 peaux par an. Avec les vingt-quatre éleveurs recrutés pour l'expérimentation, c'est finalement un potentiel de 1 700 peaux qu'il a sous la main. D'autres transformateurs de cuirs de qualité sont implantés en Périgord Vert (Hermès, Repetto...). Certains se sont dits intéressés par la démarche mais n'ont pas souhaité s'engager financièrement vis-à-vis des éleveurs. « On a tellement mené d'actions sur le cuir avec peu de résultats qu'ils peuvent douter de la possibilité d'améliorer la qualité par une action volontariste », veut croire Pascal Duvaleix, directeur d'Univia.

Remplacement des barbelés par du fil lisse

Premier engagement des éleveurs : éliminer toutes les sources de blessures potentielles, notamment les barbelés. Le PER cuir, qui cumule plusieurs financements (Europe, région, département), subventionne à 50 % le remplacement des barbelés par des clôtures à fil lisses. Le Gaec Aimont fut le premier à signer la charte dès 2013. Il détient un cheptel de 120 Limousines et engraisse 70 bêtes par an (vaches et génisses), vendues directement à des bouchers. Disposant d'un agrément pour faire abattre, il vend lui-même ses peaux à la tannerie locale (77 EUR pour les gros bovins, 80 EUR pour les veaux) et perçoit donc le supplément de CWD. « Nous avons refait six kilomètres de clôture. Environ 85 % de l'exploitation était déjà clôturé avec du fil lisse, sinon je ne l'aurais pas fait, explique Jean-Luc Aimont. Le plus long, c'est le démontage des barbelés emprisonnés dans des haies de buissons. » Dans les bâtiments, peu de travaux ont été nécessaires, plutôt des meulages d'aspérités par-ci par-là ou des réparations de cornadis. « Dans le couloir de contention, je vais doubler les planches avec une bande de caoutchouc pour éviter les échardes, poursuit l'éleveur. J'ai acquis le réflexe d'éliminer tout ce qui peut occasionner des blessures. » Dans les parcelles, les ronds de buissons sont broyés. L'écornage n'est pas obligatoire mais fortement recommandé.

Traiter les poux et vacciner contre la teigne

Deuxième engagement des éleveurs : lutter contre les parasites externes. Ils doivent faire vérifier annuellement leur cheptel par un vétérinaire et traiter selon le diagnostic établi. La prévention est de première importance car les lésions sur la peau sont définitives. « J'ai mieux cadré les traitements contre les poux, détaille-t-il. Je traite une fois par mois [deltaméthrine] les bêtes en engraissement et, lors des fortes chaleurs », indique Jean-Luc Aimont. Pour la teigne, les choses s'avèrent un peu compliquées  : « On ne la voit pas arriver à l'oeil nu. Je vais sans doute devoir vacciner les veaux à la naissance. Mais, la vaccination a un coût assez élevé. »
L'analyse de la qualité des cinq cents premières peaux, collectées avant que les éleveurs n'aient mis en place toutes les améliorations préconisées, montre l'étendue du travail à réaliser ; elles ne sont quasiment pas exploitables. Mais, des progrès sont déjà notables pour les peaux des veaux qui ont bénéficiés de ces mesures. Les abattoirs sont également engagés par la charte qualité (réception des animaux, dépeçage, conservation des peaux...). Jean-Luc Aimont  espère que cette nouvelle filière périgourdine de cuirs de qualité sera capable « au terme des quatre ans, de concurrencer les Allemands et les Irlandais et de perdurer ». « Il faudra du temps pour parvenir à la qualité recherchée, mais nous espérons obtenir de bons résultats », veut croire Alexandra Bordonado, responsable du stock chez CWD. Un cuir local et tracé, les industries du luxe n'ont qu'à bien se tenir.

Prévention de la teigne par la vaccination

« En cas de constat d'infestation de teigne par un vétérinaire, tous les animaux non immunisés du cheptel doivent être vaccinés [avec Bovilis Ringvac] », prévoit la charte qualité. « La teigne est ressortie chez pas mal d'éleveurs du PER cuir que nous suivons, explique Elodie Dumas, vétérinaire conseil à la coopérative d'élevage Copeldor. Le cas du Gaec Aimont est un peu particulier car les animaux sortent : les lésions dues à la teigne ont tendance à régresser avec le soleil. Nous avions des doutes sur la présence de teignes mais elle a été confirmée par les cuirs. En veau sous la mère, les lésions sont plus caractéristiques. » Si la vaccination de l'ensemble du cheptel est parfois recommandée, son coût élevé nécessite d'affiner le protocole au cas par cas selon la pression d'infection, les lots ou bâtiments touchés... La vaccination demande « une gymnastique pas forcément facile pour prévoir les rappels, calculer les doses au plus près, gérer les flacons..., mais elle fonctionne très bien», assure Élodie Dumas. Les animaux sont immunisés à vie. La désinfection des bâtiments fait également partie du dispositif de lutte.

L'expérimentaion menée doit permettre d'inventer la traçabilité des peaux

La traçabilité des peaux est un des points clés de la mise en place de cette filière locale de cuirs de qualité. « Les éleveurs sont très demandeurs de retour d'informations pour améliorer les pratiques d'élevage et les protocoles de traitement des parasites externes », souligne Julie Magne, animatrice du projet. Les informations seront également communiquées aux vétérinaires. Et, la traçabilité sera nécessaire, après la phase d'expérimentation, pour rémunérer les éleveurs en fonction de la qualité des peaux. C'est la première fois que cela se fait en France. « Nous nous sommes rendus compte que ce que nous pensions n'être qu'un problème d'organisation, était finalement assez compliqué à mettre en oeuvre. Il faut faire correspondre le numéro national d'identification et le numéro d'abattage, mais aussi trouver des moyens plus visuels que des numéros pour distinguer les animaux du PER cuir des autres », explique Julie Magne. L'éleveur doit coller une pastille jaune sur le passeport de l'animal. À l'abattoir, ceux du PER cuir sont traités ensemble et les peaux  identifiées par une boucle. Elles sont réceptionnées une fois par mois par la tannerie locale et marquées (par micro-percussion) avec le numéro d'abattage. Pour faciliter un peu plus encore le tri visuel des animaux à l'abattoir, les éleveurs vont devoir coller un macaron sur leur dos.

« Enfin un retour financier à l'éleveur » observe Pascal Duvaleix, directeur d'Univia

« Cela fait des dizaines d'années qu'on parle de l'intérêt de produire des cuirs de qualité, mais on est resté très longtemps sur de la rhétorique. Pour la première fois, on a une démarche, certes expérimentale, mais à la fois vertueuse et équilibrée, qui permet d'encourager les bonnes pratiques des éleveurs. Vertueuse, parce qu'on met en oeuvre des pratiques d'amélioration de l'élevage qui ont un effet à la fois sur le bien-être des animaux, la qualité du cuir et leurs performances. Équilibrée, parce qu'on a enfin un retour financier significatif à l'éleveur. La prise en compte du bien-être des animaux, rendue très visible par le remplacement des barbelés par du fil lisse, donne une image positive de l'élevage. L'autre point important sur lequel nous avons progressé, c'est sur la traçabilité des cuirs. On peut les classer et remonter l'information à l'éleveur pour qu'il puisse cibler son effort et être rémunéré par une plus-value. Après la phase expérimentale, il faudra voir comment entrer dans une phase de développement qui puisse être profitable à un maximum d'éleveurs. »

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