" Un premier essai concluant "
Kevin Morel a mis en place l’an dernier le pâturage tournant dynamique pour deux lots de génisses, puis un lot de broutards. Il réitère cette année, mais son parcellaire morcelé est un frein pour le généraliser à l’ensemble de ses lots.
Kevin Morel a mis en place l’an dernier le pâturage tournant dynamique pour deux lots de génisses, puis un lot de broutards. Il réitère cette année, mais son parcellaire morcelé est un frein pour le généraliser à l’ensemble de ses lots.
« Une vache allaitante doit être nourrie le plus longtemps possible d’herbe pâturée. Je trouve choquant et amoral le fait de donner à des bovins des céréales qui pourraient être utilisées pour l’alimentation humaine », revendique Kevin Morel, éleveur à Vroil dans l’Est de la Marne, aux confins de la Meuse, sur une exploitation reprise voici quatre ans.
Fort de ses convictions, il les met en application pour son cheptel. Équitablement partagée entre herbe et cultures, son exploitation possède quelques prairies avec du potentiel. Elles sont malheureusement scindées en plusieurs îlots cernés par des cultures et obligent à recourir à la bétaillère pour déplacer la plupart des lots. « Pour la partie céréales, je suis un inconditionnel du semis direct et du semis sous couvert. Je m’informe beaucoup sur internet et via les réseaux sociaux. C’est ainsi que j’ai découvert le pâturage tournant dynamique (PTD). »
Des infos glanées sur internet
Les deux premières années qui ont suivi son installation, ses Charolaises étaient conduites en pâturage continu, avec un cheptel scindé en 7 à 8 lots dont la dimension était calée sur la taille des parcelles. « Je faisais ce que j’avais toujours vu faire chez mon père et dans les fermes de la région. » À savoir une mise à l’herbe courant avril, avec ensuite des animaux qui ont pléthore d’herbe en mai et juin. Puis, souvent, la nécessité d’aller puiser dans les stocks pour affourager en pâture. « Avec des infos glanées sur internet, j’ai voulu mettre en place le PTD sur mon exploitation. J’ai bidouillé seul dans mon coin et je me suis lancé au printemps 2015. Mais la dimension des paddocks était mal calculée. Cela n’a pas fonctionné. J’ai laissé tomber. » Mais, comme cette conduite l’intéressait, Kevin Morel a suivi une formation avec le cabinet Pature Sens fin 2015. « Le redécoupage de ma première parcelle a été organisé avec eux. Shane Bailey m’a également suggéré des évolutions dans la conduite de mon cheptel : d’abord utiliser les meilleures parcelles pour les animaux à fort besoin. Il m’a également incité à sevrer mes veaux fin juin, soit deux mois plus tôt que d’habitude, plutôt que de les laisser avec les mères en cours d’été alors qu’il n’y a plus d’herbe. »
Au cours de l’hiver 2016, sa meilleure pâture — 17 hectares en fond de vallée formant comme un grand rectangle — a été redécoupée dans la longueur avec du fil lisse hypertendu, de façon à former huit couloirs de 40 mètres de large et 800 mètres de long, avec un pieu d’acacia de chaque côté en tête de ligne puis un piquet en fibre de verre tous les 25 mètres. Autant de piquets qui donnent un repère pour calculer la dimension de chaque paddock selon la ressource disponible et l’importance du lot, dans la mesure où chaque rectangle de 25 x 40 mètres fait 10 ares.
« J’ai mis à l’herbe, le 12 mars, 38 génisses de 1 an (29 Charolaises et croisées Limousines nées sur l’exploitation et 9 Aubrac achetées). Contrairement à ce que je craignais, elles se sont vite habituées à ce changement quotidien de paddock. La première semaine a été compliquée, mais en dix jours le rythme était pris. J’avais une appréhension dans la mesure où mes génisses ne connaissaient que le pâturage continu et n’étaient guère habituées à la clôture électrique. " Parquées avec un fil avant et un fil arrière, les vaches du lot a été déplacées quotidiennement. « Si toutes mes parcelles étaient comme celle-là, ce serait un régal que de mettre en place du PTD à l’échelle de l’ensemble de mon exploitation. » Kevin reconnaît s’être fait peur début avril. « J’avais peu d’herbe d’avance. Puis mi-mai, j’en avais trop ! J’ai donc inclus dans la rotation mon lot de 7 génisses de 2 ans à l’engrais, jusque-là en pâturage continu. Je les ai fait passer les premières sur les paddocks qui, le lendemain, étaient pâturées par les 38 génisses de 1 an. »
Printemps détrempé puis été desséché
Qui plus est, entre la mise à l’herbe et le 25 juin, il a plu pratiquement tous les jours. « Certains matins, la surface du paddock était noire. Je me faisais vraiment peur. Mais 25 à 30 jours après, ça repoussait bien. À l'automne, on distinguait à peine les zones piétinées, et cet hiver on ne voit pratiquement plus rien. » Le 10 juillet, les 7 génisses à l’engrais ont été placées sur une parcelle semée au printemps avec un mélange basé sur la chicorée et le plantain, avec un mélange de semences associant, pour 10 kg, 4 kg de chicorée, 4 kg de plantain, 2 kg de trèfle blanc et 2 kg de trèfle violet. Elles l’ont utilisé jusqu’au 16 août, date de leur départ pour l’abattoir. Elles pesaient de 350 à 380 kilos de carcasse et ont été notées 3 en état d’engraissement. L’un dans l’autre, leur poids carcasse a été inférieur de 20 kilos au lot de l’année précédente engraissé en ration sèche, mais leur ration a été nettement moins coûteuse. « Leur GMQ a d’abord été pénalisé par le printemps trop humide puis par une mauvaise transition alimentaire entre la prairie permanente et le mélange chicorée + plantain », précise Kevin Morel.
Une fois ces 7 génisses vendues et alors qu’il n’était pas tombé une goutte depuis la fin juin, cette même parcelle a été utilisée en pâturage tournant jusqu’à début octobre par le lot de 30 broutards sevrés quelques semaines auparavant. « Je les ai vendus début octobre à des poids vifs compris entre 340 et 360 kilos. Le plus vieux approchait les 11 mois. Ils n’étaient pas très lourds mais ils ont été nourris de façon très économique avec uniquement du lait et de l’herbe. "
En cours d’automne, pendant que les génisses de 18 mois à 2 ans pâturaient des dérobées, les laitonnes fraîchement sevrées ont utilisé la prairie de 17 hectares jusqu’à mi-novembre. « À l’automne, des pluies ont permis quelques repousses. J’avais de quoi les faire pâturer jusqu’à Noël, mais j’avais des problèmes pour les abreuver car l’eau gelait dans les tuyaux. »
Cette année, l’ambition est de conduire en PTD le lot de génisses de 1 an (42 têtes), 17 génisses de 2 ans à l’engrais, quelques vaches de réforme et, si possible, un lot de vaches suitées. Tout convaincu qu’il est de l’intérêt de cette technique, Kevin Morel reconnaît qu’il ne pourra pas la généraliser à l’ensemble de ses lots. « Mon premier handicap, ce sont ces parcelles morcelées dont plusieurs font moins de 3 hectares. Avec 70 hectares de culture, mon emploi du temps est aussi tendu de début juillet à mi-août. Certaines journées, je n’ai pas le temps de faire tourner plus de trois lots. Si j’avais moins de céréales et davantage de pâture bien regroupées, tous mes lots seraient en pâturage tournant. »
Utiliser davantage de dérobées pour la pâture
Foin, enrubannage de dérobées, paille et pulpe surpressée représentent la base de l’alimentation hivernale du troupeau de Kevin Morel. « Après la moisson, je sème des couverts fourragers (avoine, vesce, trèfle d’Alexandrie, pois fourrager) sur une quinzaine d’hectares derrière des céréales. Je les récolte fin septembre-début octobre. Selon le bon vouloir des pluies de l’été, j’enrubanne entre 2 et 4 tonnes de matière sèche par hectare. Ce sont des fourrages riches en MAT. Jusqu’à 19 %. Pour les vaches suitées je les distribue à raison d’environ 6 kgMS/tête/j en complément de la pulpe surpressée et de paille en libre service. »
Pour les années à venir, l’ambition est d’utiliser davantage de dérobées, et pas uniquement pour les stocks. Déjà, l’an dernier, les génisses de 18 mois ont utilisée 5 hectares de couvert composé d’une association tournesol + radis + phacélie + lin entre un pois de printemps et un blé. « Ce mélange a été peu concluant, mais ce principe du pâturage de dérobées avec d’autres espèces est à approfondir. Dans une exploitation comme la mienne, il pourrait être davantage utilisé. » L’idée est d’y avoir recours afin de passer plus sereinement le déficit en herbe, de plus en plus fréquent entre le 1er août et le 15 septembre.
« Pour avoir des dérobés suffisamment hauts à cette période, je ne vois pas d’autre solution que le semis sous couvert. » Mais, avec des sols limono-argileux où le pourcentage d’argile oscille entre 15 et 40 %, les parcelles sont sensibles au piétinement en conditions limitantes. Elles doivent aussi être libérées suffisamment tôt pour ne pas hypothéquer le devenir de la culture qui suivra. Cette année, Kevin a prévu de semer en mars une orge de printemps dans laquelle il ajoutera au semis une association chicorée + trèfle. « Je compte pouvoir commencer à l’utiliser deux à trois semaines après la moisson. »
Gestion de l’eau
Avec le pâturage tournant dynamique, la gestion de l’abreuvement est à analyser en amont. Il faut forcément amener l’eau aux animaux, mais le fait qu’ils n’aient pas à marcher pour aller boire favorise leur prise d’état et la bonne répartition des bouses et de l’urine, seuls fertilisants apportés. "J’ai une ligne de tuyau de 25 mm qui passe toutes les deux lignes de fils high-tensil, précise Kevin Morel. Tous les 100 mètres, un raccord dessert quatre paddocks. L’abreuvoir est très facile à déplacer pour suivre l’avancement des lots." Dans une parcelle, l’eau est branchée sur le secteur. Dans l’autre, une pompe solaire va la puiser dans un ruisseau. Elle remplit une citerne posée sur une remorque et copie le principe du « château d’eau ». Avec une parcelle plane, la pression s’est, l’an dernier, avérée à peine suffisante. « J’ai prévu de surélever un peu ma remorque pour donner davantage de pression », conclut l'éleveur.
70 vaches principalement des Charolaises et quelques Aubrac à l’essai. Vêlage de novembre à décembre, vente de broutards et finition de toutes les femelles.