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Étude de l'Inra
Les gains de productivité en élevage ont bénéficié à l'aval 

Le recul du revenu des éleveurs au cours des 35 dernières années confirme qu’ils sont les grands perdants de la répartition des gains de productivité en élevage bovins viande. Les bénéficiaires en ont majoritairement été les acteurs de l’aval de la filière. 

«Il y a deux ans, nous avons réalisé un travail sur l’évolution de l’efficience des systèmes de production bovins viande et sur le revenu des éleveurs du réseau charolais suivi par l’Inra. Nous avons alors constaté que le revenu en euros constants des exploitants n’évoluait pas. Il avait même tendance à diminuer. Il nous a donc semblé important de nous intéresser tout d’abord, en partenariat avec l’IESEG de l’Université de Lille, aux déterminants de la formation des gains de productivité globale. Nous avons utilisé une méthode permettant de décomposer la valeur de l’ensemble des produits et charges de l’exploitation agricole entre deux années, en une variation de prix et de volumes, car qui dit volume identique entre deux années ne dit pas forcément prix identique d’une année sur l’autre. Puis nous nous sommes attachés à évaluer la répartition du surplus économique lié aux gains de productivité globale et aux variations de prix, entre les différents agents économiques - vétérinaires, banques, propriétaires fonciers, fournisseurs, clients… - en contacts directs avec les exploitations », explique Patrick Veysset, de l’Inra de Clermont-Ferrand-Theix.

35 ans d’accroissement de la productivité du travail

Ce travail a été effectué sur 35 années, de 1980 à 2014, sur des exploitations d’élevages bovins allaitants charolais du réseau Inra de Clermont-Ferrand-Theix, suivies sur le long terme. Ainsi, les données de 168 exploitations présentes au moins deux années consécutives entre 1980 et 2014 ont été analysées, soit un total de 3 071 observations et une moyenne annuelle de 88 exploitations. La présence d’un échantillon constant de 24 exploitations sur l’ensemble de la période étudiée est également à noter.

Durant toutes ces années, le modèle de développement des exploitations bovins viande a été centré sur l’augmentation de la productivité du travail, alors que la productivité des autres facteurs régresse. « On observe en effet au fil des années une hausse régulière des capitaux (forts investissements dans les bâtiments et surtout dans le matériel), du foncier (extensification des surfaces fourragères et stagnation du rendement en céréales) et des consommations intermédiaires (aliments, engrais, carburants, services…) pour un même niveau de production. La croissance constante et continue de la productivité du travail permise par les progrès techniques a ainsi contribué à masquer la détérioration de l’efficience technique du système de production et à rendre les systèmes de production bovins viande de plus en plus énergivores. Avec l’augmentation de la taille des exploitations, on s'est dirigé vers la simplification des pratiques au détriment de la valorisation des ressources de l’élevage (génétique, production fourragère…) », détaille Patrick Veysset.

Chute du revenu des exploitants

Au final, le surplus global de productivité s’est accru à un rythme faible de +0,16 % par an. Le surplus économique total se chiffre quant à lui à 87 830 € cumulé sur cette période de 35 ans. Ce gain économique ne provient qu’à hauteur de 15 % des gains de productivité globale des élevages bovins. Il résulte majoritairement des différentes aides compensatoires (57 %) via une très forte augmentation des soutiens publics directs. Autres constats importants : la chute du revenu des éleveurs et la baisse de prix des produits agricoles ont principalement profité à l’aval, captant 88 % du surplus économique. De 1980 à 2015, en euros constants, le prix des bovins payé aux producteurs a chuté de 40 %, alors que le prix de la viande bovine achetée par les consommateurs a augmenté de 25 %. Donc aucun profit non plus pour les consommateurs. « Toutefois, même si l’aval de la filière bénéficie de 88 % des gains économiques, on ne constate pas pour autant de profit particulier puisque l’Observatoire de la formation des prix et des marges note dans son dernier rapport que le résultat courant avant impôts des entreprises de transformation des filières viande bovine demeure très faible et que la marge nette du rayon boucherie des grandes et moyennes surfaces est négative. Si l’on se base sur l’euro alimentaire (on part de l’euro dépensé par le consommateur et on remonte la filière), on remarque que la baisse des prix des bovins s’est diluée au sein de la filière, par l’augmentation du nombre d’acteurs, de services et de la segmentation. De plus, les entreprises d’abattage et de transformation ont dû s’adapter à de nouvelles contraintes réglementaires, sans pour autant que cela se traduise par des gains de productivité », remarque l’ingénieur.

Enrayer la chute de valeur ajoutée créée par l’élevage

La baisse du revenu des éleveurs indique clairement qu’ils sont les principaux perdants dans cette évolution de la répartition des gains de productivité. Et cette tendance s'est, qui plus est, encore accrue depuis 2006. « L’éleveur travaille plus, pour un revenu égal, voire inférieur. Des questions se posent sur le modèle de production bovins viande, et ce d’autant plus à l’heure de la transition énergétique. Ces exploitations de grande taille sont énergivores. Ne faut-il pas revenir à des exploitations de taille moindre mais avec une gestion technico-économique et agro-écologique plus performante ? Certes, jusqu’à présent la PAC n’engageait pas à aller dans ce sens. La dégressivité des aides, notamment l’aide aux bovins allaitants, ainsi que le paiement redistributif freineront peut être l’agrandissement… Autre point, quand on parle de répartition de la valeur ajoutée créée par l’élevage au sein de la filière, ne faut-il pas penser contractualisation ? Réinventer la coopération sur des filières plus courtes, c’est peut-être une solution pour les éleveurs, en captant une partie des services prenant de plus en plus de place dans la consommation alimentaire », conclut Patrick Veysset.

D’autres travaux laissent présager les mêmes conclusions sur le plan national.

texte enlevé fin du chapeau : , tandis que l’État aura été le principal financeur de la baisse du prix des produits agricoles.

Etude présentée aux Rencontres recherches ruminants 2016.
Des éleveurs, grands perdants de la répartition des gains de productivité

Typologie des exploitations de l’étude

Les 168 exploitations charolaises suivies dans le cadre de l’étude sont de grande dimension. Entre 1980 et 2014, à main-d’œuvre quasi constante, elles se sont agrandies en surfaces (+64 %) et troupeaux (+71 %), ce qui a permis un doublement de la production de viande. Le capital d’exploitation (hors foncier) s’accroît de 47 % en euros constants. La conduite des surfaces fourragères (SFP) est restée peu intensive (chargement 1,17 à 1,19 UGB/ha SFP) et basée sur l’herbe. Le type de bovin produit a fortement évolué sous la pression de la demande (marché italien) en passant de cycles longs (bœufs et génisses gras vendus entre 30 et 36 mois) à une production de maigres plutôt alourdis vendus entre 10 et 12 mois.

« Couplées à une très forte augmentation des aides publiques perçues, liées aux réformes successives de la politique agricole commune (PAC), ces évolutions structurelles et productives ont tout juste permis de maintenir le revenu des éleveurs. Ces évolutions observées sur ce réseau Inra-charolais sont tout à fait comparables à celles constatées sur les exploitations professionnelles bovins viande du Réseau d’information comptable agricole (Rica) statistiquement représentatives des exploitations françaises. »

Des évolutions variables suivant les réformes de la PAC

La période de 35 années a été divisée en trois sous-périodes relatives aux différentes réformes de la PAC, soit de 1980 à 1992 (13 ans), de 1993 à 2005 (13 ans) et de 2006 à 2014 (9 ans). Chaque période a été marquée par différents événements.

De 1980 à 1992 : Sur cette période, le surplus économique total généré a notamment été favorisé par les gains de productivité des facteurs de production (efforts techniques des éleveurs), une baisse des prix des consommations intermédiaires (baisse du prix du pétrole) et une augmentation de la participation de l’État (instauration de la PMTVA et de la PSBM). Ce gain économique a été capté à 94 % par l’aval de la filière sous forme de baisse des prix. Le revenu des éleveurs chute légèrement.
De 1993 à 2005 : Le gain économique au cours de cette période est quasiment exclusivement financé par l’État (aides aux cultures, compléments aux systèmes extensifs, revalorisation de la Prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA), de la Prime spéciale aux bovins mâles (PSBM) et des contrats territoriaux d'exploitation (CTE). La productivité des facteurs de production diminue tout comme le prix des produits agricoles. Les exploitants investissent par ailleurs dans des bâtiments et de nouvelles chaînes de récolte, stockage et distribution de fourrages générant des consommations de carburant supplémentaires. Toutefois le revenu des éleveurs augmente.
De 2006 à 2014 : Entre 2006 et 2014, le surplus économique généré est le plus faible des trois périodes. Il est financé à hauteur de 61 % par les éleveurs, par la baisse de leur revenu. Hausse de la productivité du travail, recul des aides publiques, hausse du prix des céréales (et donc du prix des aliments concentrés achetés) et baisse légère des prix des bovins sont les principaux constats de cette période.

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