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Efficience alimentaire
Les élevages herbagers n'affament pas la planète

L’alimentation des animaux d’élevage est régulièrement accusée de spolier une partie des ressources susceptibles d’être utilisées pour l’alimentation humaine. Une étude réalisée par le GIS Élevages demain contribue à rétablir la part des choses.

Non, les élevages herbagers n’affament pas la planète ! À côté de leur rôle de « recycleur » pour valoriser différents coproduits non utilisés pour l’alimentation humaine (drèches, pulpes, tourteaux…), ils permettent d’utiliser bien des surfaces en herbe inconvertibles.
© F. d'Alteroche

Dans le contexte de hausse de la démographie et donc de la demande alimentaire mondiale, les productions animales font débat. Elles sont régulièrement mises à l’index, car accusées de « détourner » pour l’alimentation des animaux d’élevage une partie des céréales et protéines végétales qui pourraient être utilisées pour l’alimentation humaine. Si cet argument est recevable pour certaines céréales, il ne l’est plus pour la plupart des autres produits végétaux utilisés pour alimenter des animaux d’élevage.

Les herbivores, et en particulier les ruminants, ont la capacité à mettre en valeur des surfaces sur lesquelles il n’est de toute façon pas possible d’envisager de faire pousser autre chose que de l’herbe. Sur ces territoires souvent difficiles (zone de montagne, parcours, prairies pentues ou humides…), l’absence de troupeaux d’herbivores signifierait ni plus ni moins se passer de ces surfaces pour la production d’aliments (lait ou viandes) directement utilisables par l’homme. Dans bien des campagnes françaises, une disparition des élevages de ruminants se traduirait par l’arrivée de la friche ou, autre éventualité, par le retour de la forêt si les détenteurs du foncier disposent des ressources nécessaires pour boiser ces surfaces.

Dans les zones dites de « polyculture-élevage », au contexte pédo-climatique plus favorable, élever des ruminants et intercaler des prairies dans les rotations a un effet bénéfique pour entretenir la fertilité et le taux de matière organique des sols. Qui plus est, cela a un impact sur la qualité des paysages grâce à l'alternance culture-prairies sur les parcellaires. Lesquels conservent ainsi le plus souvent un maillage bocager favorable au maintien de la biodiversité. On n'a encore rien trouvé de mieux que la polyculture-élevage pour faire vivre et entretenir les sols. Par leur alimentation, les animaux d’élevage, et en particulier les ruminants, sont en mesure de recycler certains produits ou sous-produits issus des cultures qui ne sont pas directement assimilables par l’homme (drêches de brasserie, corn-gluten, pulpes de betteraves, tourteaux, paille...). Puis, via leurs déjections,  ils permettent ensuite d’entretenir la fertilité des sols et leur teneur en matière organique.

Certaines protéines consommées par les animaux ne le sont pas par l'Homme

À l’automne dernier, le GIS Élevages demain a présenté une nouvelle étude sur l’efficience alimentaire des élevages pour les principales espèces de ruminants et de monogastriques élevées sur le territoire français. Elle intègre en particulier le fait que certaines protéines consommées par les animaux ne le sont pas par l'Homme (herbe, drêches, sons...). Et de préciser tout d’abord que l’efficience alimentaire est le rapport entre la quantité de produits animaux issus de l’élevage et les ressources végétales alimentaires utilisées pour les produire. Elle peut se calculer de deux manières. La première consiste à prendre en compte tout ce que l’animal ingère et tout ce qu’il produit : c’est l’efficience brute (efficience brute de conversion des aliments = produits de l’élevage (lait, œufs, animaux entier)/consommation par l’élevage). La seconde consiste à ne considérer que la fraction des végétaux consommés par les animaux mais qui peuvent être directement consommable par l’Homme (grains décortiqués de céréales, huile issue des oléagineux…) et seulement la fraction des produits animaux qui peuvent entrer dans la chaîne alimentaire (lait, œufs, viandes, abats…) : c’est l’efficience nette (efficience nette de conversion des aliments = produits de l’élevage consommables par l’Homme (lait, œufs, viande, abat..)/consommation par l’élevage de végétaux consommables par l’homme).

Ces calculs peuvent être conduits pour les protéines, principal intérêt des produits animaux, mais également pour l’énergie. Le calcul de l’efficience nette met en particulier en évidence le rôle que joue l’élevage dans la valorisation de matières premières non consommables par les Hommes. L’efficience nette est toujours beaucoup plus élevée que l’efficience brute. Cela montre que, au-delà des différences par filières, la production animale est beaucoup moins en compétition avec l’alimentation humaine qu’il n’est souvent dit. « Les monogastriques (porc conventionnel, poulet de chair standard, poule pondeuse) produisent entre 0,7 et 1,6 kg de protéines animales par kilo de protéines végétales consommables par l’Homme. L’efficience nette de la production de viande de ruminant est variable selon les systèmes de production. Elle est d’autant plus importante que la part d’herbe dans la ration s’accroît », explique le compte-rendu du GIS.  

Contribution positive des systèmes bovins viande à l'herbe

Ce travail montre que de nombreux élevages peuvent avoir une contribution positive à la production de protéines de qualité pour l’alimentation humaine. Cette contribution est surtout d’autant plus importante que l’élevage valorise davantage de ressources végétales non consommables par l’Homme. Par exemple, pour les ateliers de monogastriques, l’efficience est d’autant plus importante que ces unités utilisent une forte proportion de coproduits (de céréales et de pois) et de tourteaux non consommables en alimentation humaine. De façon assez similaire dans les élevages de polygastriques, la production de protéines de qualité pour l’alimentation humaine est d’autant plus efficiente qu’elle peut être réalisée avec un maximum d’herbe et/ou de sous-produits qui ne peuvent être utilisés pour l’alimentation humaine.   

Ces travaux sont bien « une prise de position », a expliqué Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint Agriculture de l’Inra, et notamment en réponse au rapport de la FAO Livestock’s Long Shadow (2006), qui mettait en avant les conséquences néfastes de l’élevage de ruminants, et qui omettait selon lui que certains élevages de ruminants « produisent de la protéine noble à partir de terres pauvres ».

Améliorer l’efficience nette de la production de viande bovine en système allaitant passe donc par une meilleure gestion du pâturage, pour maximiser la production d’herbe sur les prairies tout en cherchant à allonger dans le temps le recours à l’herbe pâturée. Pour finir les animaux, dans les systèmes d’élevage français, faire de l’engraissement à l’herbe n’est pas toujours facile. L’herbe ne pousse dans de bonnes conditions qu’une partie de l’année et les races le plus souvent utilisées ont été davantage sélectionnées sur leurs formats et leur potentiel de croissance que sur leur aptitude à être finies avec la seule herbe pâturée.

Ces données démontrent clairement que la production de viande bovine peut avoir une contribution très positive à la sécurité alimentaire, pourvu qu’elle soit réalisée à l’herbe ; alors qu’à l’inverse, les systèmes intensifs seront en forte compétition avec l’alimentation humaine pour l’utilisation des céréales.

Le saviez-vous

Le GIS Élevages demain

Le groupement d’intérêt scientifique Élevages demain a pour objectif de promouvoir des actions de recherche, de formation et de développement sur les systèmes de production intégrant la gestion durable de l’environnement et la viabilité économique des élevages. Il regroupe seize partenaires de la recherche et du développement et s’inscrit dans la volonté de proposer de nouveaux modèles économiquement viables, respectueux de l’environnement et socialement acceptables et équitables, en un mot : durables.

La moindre efficience de l’estomac humain

Les différents produits végétaux utilisés pour l’alimentation des animaux d’élevage peuvent être, et à des degrés très divers, utilisés pour l’alimentation humaine. Mais, c’est une évidence, herbe, paille, pulpes, cannes de maïs… ne sont pas utilisables par un estomac humain. L’ensilage de maïs comporte, lui, en revanche, des grains qui peuvent être considérés comme utilisables par l’homme si le maïs était récolté en grain et non ensilé. En alimentation humaine, les graines de céréales, de protéagineux et d’oléagineux sont les plus souvent transformées et utilisées sous différentes formes (farine, amidon, huile, tofu, grains décortiqués…). Une partie seulement de ces graines est donc utilisée pour l’alimentation humaine. La part restante étant le plus souvent destinée à l’alimentation animale. Dans ses calculs, le GIS a procédé à une estimation, d’après des chiffres fournis par des industries des métiers de la transformation des grains, pour déterminer quelle était la part de ces graines qui était classiquement destinée à l’alimentation humaine et à l’alimentation animale.  Et de préciser : « les proportions en protéines ou en énergie « consommables par l’Homme » pourraient évoluer à l’avenir selon les habitudes alimentaires et l’évolution des process de transformations des produits végétaux en produits alimentaires ».

Exemples pour des systèmes bovins viande et volaille

Pour mieux situer l’efficience de conversion des protéines végétales par des élevages, des calculs ont été réalisés pour différents systèmes d’élevages, qu’il s’agisse de monogastriques ou de polygastriques. « Ils n’ont pas pour vocation de représenter la moyenne de leur filière mais d’illustrer le calcul de l’analyse de l’efficience protéique sur des cas types », explique un compte rendu du GIS. Ils doivent donc être analysés comme autant d’exemples permettant d’illustrer ce travail.

Au-delà des différences par filière, les efficiences protéiques nettes calculées pour les élevages de monogastriques (naisseur engraisseur de porcs, poulet standard, poule pondeuse) ou de polygastriques (élevage bovins laitiers, élevage bovins allaitants naisseur engraisseur, élevage ovins viande) sont toutes plus favorables que les ratios d’efficience brutes généralement utilisés. Les élevages de monogastriques produisent entre 0,7 et 1,6 kg de protéines animales par kilo de protéines végétales consommables par l’Homme. Avec un cycle de production de durée limitée et une croissance rapide, les monogastriques ont globalement besoin de consommer moins de végétaux que les ruminants. Cela leur permet de compenser le fait que leur alimentation fait davantage appel à des composantes consommables par l’Homme dans la mesure où leurs rations sont le plus souvent basées sur une forte proportion de céréales.

Pour les polygastriques, les élevages bovins laitiers produisent de 0,6 à plus de 2 kg de protéines animales pour 1 kg de protéines végétales consommables par l’Homme. Et leur efficience nette est d’autant plus importante que la part de l’herbe pâturée dans la ration est importante. Pour la production de viande bovine ou ovine réalisée à partir d’un cheptel allaitant, l’efficience est variable selon les systèmes de production. Certains troupeaux ovins ayant la capacité d’engraisser la quasi-totalité des agneaux à l’herbe ne consomment aucune protéine consommable par l’Homme. Pour les troupeaux de bovins allaitants, il y a là aussi une très grande variabilité entre systèmes de production, attestant de ce fait de marges de progrès potentiellement importantes. Les élevages les plus efficients doivent être très économes en concentrés et/ou valoriser essentiellement des coproduits végétaux (pulpes, drêches..) pour l’engraissement, car les ruminants restent de piètres transformateurs de céréales.

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