Florent Guhl : « L’autosuffisance alimentaire en produits bio est souhaitable »
Florent Guhl, directeur de l’Agence bio, pense qu'il est possible d'atteindre l'objectif de 15% de surface agricole utile en bio en 2022. Mais, avec la démocratisation du bio, la répartition de la valeur restera au coeur des préoccupations.
Florent Guhl, directeur de l’Agence bio, pense qu'il est possible d'atteindre l'objectif de 15% de surface agricole utile en bio en 2022. Mais, avec la démocratisation du bio, la répartition de la valeur restera au coeur des préoccupations.
L’agriculture biologique fait régulièrement l’objet d’attaques et de remises en cause. Que représente-t-elle pour vous ?
Florent Guhl : L’agriculture biologique est un système de production qui réconcilie l’ensemble de la chaîne, des producteurs aux consommateurs. C’est pour moi l’objectif numéro 1 de l’agriculture biologique : être d’accord sur un type de production. Les consommateurs s’intéressent à ce qu’ils mangent et l’agriculture biologique peut être une réponse.
Quant aux attaques, elles sont pour moi davantage des interrogations. Hormis les adversaires radicaux et historiques de la bio, les consommateurs sont plutôt en demande d’information. Je préfère qu’il y ait des doutes. Je n’ai pas envie d’une confiance aveugle dans un système. On laboure le terrain depuis longtemps à l’Agence bio en faisant notamment évoluer notre communication. Nous assumons les questions qui nous sont posées par le consommateur. Ce pacte de transparence les intéresse et ce n’est pas spécifique à la bio.
Les chiffres 2018 de la bio en France ont été rendus publics début juin. Pouvez-vous nous donner les grandes tendances d’évolution de la production et de la consommation ?
F. G. : 2018 a été une année record autant pour la production que la consommation. C’est important de souligner ce point car cela n’a pas toujours été le cas. Le taux d’importation est un indicateur intéressant et utile à suivre. En 2018, il est resté stable alors que la croissance du marché n’a jamais été aussi forte en euro sur un an. Le marché a gagné 1,4 milliard d’euros en un an, sans que les importations augmentent. Nous sommes restés à 69 % de produits français. C’est même un progrès.
Ce chiffre de 69 % est une moyenne. Il y a évidemment des disparités selon les secteurs. Les fruits et légumes par exemple sont d’avantage importés, ainsi que les produits de la mer. Faut-il aller vers une autosuffisance alimentaire en bio ?
F. G. : Oui, l’autosuffisance alimentaire en bio est souhaitable. Ce chiffre de 69 % est déjà élevé, il ne va pas être facile à réduire. Il faudrait éviter désormais les chassés-croisés entre ce que l’on importe et ce que l’on exporte. Il faut faire correspondre l’offre et la demande en locale. Il y a un vrai effort pédagogique à mener, y compris en restauration collective. Les raisons d’importations tournent autour des fruits exotiques, des grandes cultures, de la viande porcine. Elles sont aussi dues au hors-saison et au facteur prix sur les fruits et légumes. La compétitivité de fruits et légumes dans le Sud de l’Europe par rapport à la France fait que parfois les importations existent, et pas forcément hors saison. On importe beaucoup, même en pleine saison, des tomates conventionlles en provenance de Belgique et des Pays-Bas.
7,5 % de SAU en bio en 2018, contre 15 % voulu en 2022. Que faudrait-il pour que cet objectif soit réalisable ?
F. G. : Cet objectif a été construit en tenant compte de plusieurs éléments : dans la plupart des filières, il fallait doubler la production pour répondre à la demande des consommateurs. Il faut combler notre déficit d’importations sur certaines filières comme les céréales et la viande de porc. Et là, on ne parle que de marché intérieur. Il faudrait aussi penser à l’exportation mais on n’en est pas encore là.
A priori oui, l’objectif de 15 % est tenable. En tout cas, dans les plans de filières, personne n’a promis des choses infaisables. Les plans de filières sont étayés. Les résultats 2018 laissent à penser que nous sommes plutôt bien partis. L’accélération a eu lieu et plutôt d’ailleurs sur des filières où il y avait des questionnements comme les grandes cultures, la viticulture, les fruits et légumes et le porc. Sur la viande porcine, les efforts de conversion ou d'installation ne sont pas encore suffisants pour combler la demande et les importations, mais il y a aussi un enjeu économique à résoudre, celui de la valorisation de l’ensemble de la carcasse.
Comment les acteurs du bio appréhendent la contractualisation inversée imposée par la loi Alimentation ?
F. G. : Le bio est évidemment concerné par la loi. Il n’y a pas de particularisme, sauf que la construction des coûts n’est pas la même que dans le conventionnel. Il y a un travail spécifique à faire, travail que nous sommes en train de mener notamment avec les interprofessions. Les indicateurs de coûts de production n’existaient quasiment nulle part, même en conventionnel.
Dans le bio, la plus grande difficulté réside dans la taille des opérateurs. Le marché est petit et très concentré sur la grande distribution. Il y a un vrai risque de sortir des coûts de production qui seraient dévoyés parce qu’ils ne seraient pas significatifs d’un point de vue statistique. Donc nous sommes vraiment en train de regarder cela avec beaucoup d’attention et nous allons y mettre de l’énergie. L’Observatoire des prix et des marges a annoncé que nous allions travailler ensemble sur ce sujet. Mais nous ne garantissons pas que nous allons sortir des choses à court terme. Le risque majeur est de fournir des données peu fiables.
Il y a un vrai risque de publier des coûts de production qui seraient dévoyés parce qu’ils ne seraient pas significatifs d’un point de vue statistique
Si je prends par exemple la filière laitière, le Cniel a sorti un indicateur prix dans lequel peuvent se retrouver des opérateurs en bio. Mais l’interprofession estime que cela ne serait pas significatif de les extraire pour construire des indicateurs car ces opérateurs sont peu nombreux.
Comment les filières comptent-elles procéder ?
S’il y a trop d’écart type, le danger est que certains opérateurs, la distribution notamment, soient tentés de choisir la fourchette basse. Si on prend cela comme référence de prix, on va tuer la filière, car ce chiffre ne correspondra à rien. Nous allons donc prendre un peu plus de temps. Plusieurs options sont sur la table. La première consiste à attendre qu’il y ait plus de volumes en bio pour arriver à sortir des indicateurs.
La deuxième option est de se dire qu’historiquement, ce qui s’est construit dans le monde bio s’est plutôt bien construit. On fige ce qui se fait aujourd’hui et on fait évoluer le modèle en fonction de l’évolution du coût des intrants et surtout des coûts salariaux. En gros, on fait du relatif. Ce n’est pas tout à fait la loi, mais quand même quand on la lit, cela passe. Il faudra quand même expertiser cette idée jusqu’au bout.
En option, certaines personnes souhaitent ne pas bouger du tout. Mais cela ne fonctionnera pas. Au-delà de l’illégalité, ce n’est pas tenable. Dans le vide, on se fait détrousser aussi !
Entre les options 1 et 2, je n’ai pas d’avis. Nous ferons nos assises fin novembre sur ce sujet-là. Nous avons une équation compliquée à résoudre pour maintenir, voire développer de la valeur tout au long de la chaîne et, en même temps, démocratiser le bio.
Nous avons une équation compliquée à résoudre pour maintenir, voire développer de la valeur tout au long de la chaîne et, en même temps, démocratiser le bio
À quel point faut-il démocratiser le bio ?
F. G. : La démocratisation, tout comme l'accessibilité, ne se limite pas qu'au prix. La grande distribution progresse aujourd’hui parce que la couverture territoriale est très large. Si on parle démocratisation, je compte aller jusqu’à 100 %. L’objectif est que tous les produits bio soient accessibles. Et la transition vers le bio n’existera et ne durera que si elle est rémunératrice. Donc, du bio oui, mais pas à n’importe quel prix.
À date, avez-vous déjà des estimations sur la production et la consommation 2019 des produits bio ?
F. G. : A priori, nous serons dans les mêmes tendances que 2018. J’ai même espoir que nous soyons au-dessus pour atteindre l’objectif de 2022, car pour l’instant ce n’est pas encore suffisant. Je suis optimiste car il y a un réel effet d’entraînement. Certains départements comme la Meurthe-et-Moselle finissent par décoller en terme de production.
Cet effet d’entraînement pousse-t-il aussi à améliorer les pratiques agricoles dans leur ensemble ?
F. G. : Dans le grand débat national, il y a eu beaucoup de points sur l’agriculture, et notamment beaucoup de questions autour des pesticides. Un sujet évidemment très large et l’agriculture biologique n’est pas en situation d’être exemptée du débat. Il va falloir apporter des réponses fortes sur le fait de ne pas du tout utiliser de pesticides chimiques de synthèse. Des impasses techniques existent encore. Je rappelle que plus de 80 % de surfaces cultivées en bio sont sans pesticides.
Comment l’agriculture biologique se positionne-t-elle face à l’agriculture conventionnelle qui pousse le « sans » ou le « zéro résidu de pesticides » ?
F. G. : Pour moi, la vraie différence est le mot pesticide, qui est trop générique. Il englobe le désherbage et la lutte contre les maladies. Aujourd’hui, la lutte contre les herbicides est beaucoup plus présente, et c’est normal d’ailleurs. En bio, on sait se passer d’herbicides. C’est le débat sur le glyphosate mais pas seulement. L’Inra a montré que c’est possible de se passer de glyphosate. Il y a quelques impasses techniques certes, mais que l’on peut résoudre. Le problème principal reste la lutte contre les maladies.
Le débat qui a eu lieu cet été sur les serres chauffées n’est pas anodin car certains acteurs dans d’autres filières ont envie de changer certaines pratiques. Qu’en pensez-vous ?
F. G. : L’entrée d’acteurs qui ne connaissaient pas le bio complique le jeu c’est sûr. On peut notamment penser à la filière du sucre de betterave qui n’est pas en bio ou quasiment pas. Mais il y a des enjeux beaucoup plus importants pour moi que les serres chauffées. La question de la mixité des exploitations me semble un sujet primordial. Il y a aujourd’hui des acteurs du conventionnel qui sont en train de militer pour que l’on développe la mixité, par exemple dans la viticulture. C’est une erreur historique qu’il ne faut pas commettre. Et pour l’instant cet avis est partagé, notamment par le Cnab. Demain, nous serons jugés avant tout sur la traçabilité.
À savoir
La bio en 2018
- 7,5 % de la SAU : la production bio a doublé en cinq ans. L'objectif est d'atteindre 15% en 2022
- un marché de 9,7 milliards d’euros, en hausse de 15 %