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«  L’agriculture biologique est le fer de lance de la transition agro-écologique »

Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, fait un point sur les nombreux sujets qui touchent l’agriculture biologique, notamment dans le cadre de la future PAC et du plan Ambition Bio.

Didier Guillaume et son conseiller presse et communication Olivier Alleman, au ministère le 26 mars 2019 à Paris.
© N. Ouvrard

Que représente pour vous l’agriculture biologique ?

Didier Guillaume - L’agriculture biologique est le fer de lance de la transition agro-écologique nécessaire à la ferme France. J’ai toujours considéré qu’il ne fallait pas opposer l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle. La France a besoin des deux. Mais les deux agricultures doivent aussi monter en gamme. Il faut que l’agriculture bio se développe en terme de surface agricole utile, en terme de diversification des produits, en terme d’approvisionnement parce que ce n’est pas possible d’importer encore 30 % de produits bio sur notre territoire. L’agriculture biologique permet à la fois de répondre à une attente sociétale pour une alimentation plus sûre, saine et durable ; mais permet aussi d’avancer sur les pratiques culturales alternatives. Il ne faut pas l’opposer à l’agriculture conventionnelle qui évolue dans le cadre de la transition agro-écologique. J’aime bien parler des deux, même si parfois cela choque un peu le monde écologiste.

Ancien sénateur et président du conseil général de la Drôme, vous avez contribué au développement du Tech & Bio. Que représente ce salon pour vous ?

D. G. - J’ai créé ce salon avec le président de la chambre d’agriculture de la Drôme de l’époque, Claude Aurias. C’était assez compliqué au départ. Jean-Louis Cazaubon, actuel président de la chambre d'agriculture des Hautes-Pyrénées, a également été moteur. Le Conseil général a mis de l’argent et nous avons trouvé des partenaires financiers en plus. La première édition date d’il y a dix ans. C’était le premier salon international permettant de découvrir l’ensemble des techniques alternatives et de productions biologiques.

La prochaine édition est les 18 et 19 septembre prochain. Plus de 20 pays européens seront présents, 350 exposants, 120 conférences et ateliers. Je vais inviter mes homologues européens pour cette édition anniversaire. Désormais, il y a plus d’agriculteurs conventionnels qui viennent que d’agriculteurs bio, c’est flagrant. Des agriculteurs viennent, ne veulent pas passer en bio mais s’intéressent aux pratiques et aux machines qui y sont présentées. Ils pensent qu’elles peuvent leur servir pour utiliser moins d’intrants par exemple. À l’époque de la création du salon, il y avait beaucoup de post-soixante-huitards qui s’installaient dans le département, cela a totalement changé. En 2004, quand j’étais au Conseil régional, on voulait faire de la Drôme, le premier département bio de France. On a beaucoup poussé, même si le département était déjà en avance par rapport aux autres. Désormais, dans la Drôme, le bio représente 20 % de la surface agricole utile. On a aussi mis en place l’opération Manger Bio pour pousser à utiliser 50 % de produits bio dans les cantines. Nous avons fait tout ça à une époque où ce n’était pas encore tendance.

Le plan Ambition Bio fixe un objectif de 15% de la SAU conduite en agriculture biologique d’ici à 2022. Cet objectif est-il tenable ?

D. G. - C’est fort possible. Il suffit qu’il y ait 10 à 15 % des agriculteurs qui se convertissent. L’État n’a jamais mis autant pour l’accompagnement. Le plan Ambition Bio est doté de 1,1 milliard d’euros, dont plus de 800 millions d'euros pour les aides à la conversion et un doublement du fonds Avenir bio. Notre objectif est d’y arriver. Donc pour y arriver, il faut avancer à marche forcée. Parce que c’est dans notre intérêt. Il n’y a pas une filière économique en France qui a autant évolué, autant muté, qui se soit autant remise en cause que la filière agricole.

Jusqu’à quel niveau l’agriculture bio doit-elle être poussée ?

D. G. - Pousser l’agriculture bio n’a de sens qu’à condition que l’agriculture conventionnelle fasse sa mue agro-écologique. Il ne faut pas rester que sur le bio. Il faut sortir de la dépendance aux produits phytopharmaceutiques pour tout le monde. On n’aura jamais 100% de bio. Je ne pense pas qu’on arrive à 50% non plus. Ce n’est pas le problème. Mais il faut que l’alimentation issue de l’agriculture conventionnelle soit la plus claire, la plus sûre, la plus transparente possible au niveau des produits phyto. Je ne pense pas qu’il faille se fixer des limites a priori. L’important est d’être en capacité de répondre à la demande des consommateurs français. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et il faut que l’agriculture biologique se développe, sans tomber dans un dévoiement par une industrialisation excessive qui affaiblirait la confiance des consommateurs.

Le cadre est-il suffisamment clair pour rassurer les agriculteurs et les motiver à se convertir ?

D. G. - Les agriculteurs ont en effet besoin d’être rassurés. Ils ont besoin de stabilité et de vision. C’est ce à quoi je m’emploie. Aujourd’hui, si on veut des évolutions sur les conversions ou les installations, les agriculteurs doivent savoir à quoi s’en tenir. Il y a eu un peu de flou, il faut dire les choses. Il faut dégager le champ pour qu’on puisse y passer.

« C’est plus simple si l’État pousse sur l’ensemble du territoire pour atteindre les 15% de SAU en production bio que si certaines régions vont plus vite que d’autres."

Que répondez-vous aux producteurs qui ont reçu leurs aides de 2015-2016-2017 avec beaucoup de retard ?

D. G. - Je suis d’accord pour dire que ces retards sont anormaux. Il y a eu une défaillance collective sur ce sujet : des OPA, des régions et de l’État. Le retard est lié à une complexification excessive : il faut parfois plus d’un jour à un agent de la DDT pour instruire un dossier bio.

Les services de l’État ont fourni un travail colossal pour rattraper le retard. À l’été 2018, nous avons soldé les aides 2015 et commencé le versement des aides 2016 puis 2017. Nous faisons le maximum pour verser les soldes sachant que les agriculteurs ont déjà eu des avances sur ces aides. Le 26 mars, nous étions quasiment au bout : 83% des dossiers 2016 et 62% des dossiers 2017 ont été traités. Il restait encore 60 millions d’euros sur 4 milliards d’aides PAC versées aux agriculteurs au titre des campagnes 2016-2017. Le retard doit être comblé avant la fin du premier semestre 2019.

Pour la campagne 2018, les premiers paiements pour 30% des dossiers Maec (Mesure agro-environnementales et climatiques, NDLR) et bio sont arrivés le 29 mars sur les comptes des agriculteurs. Nous avons rétabli le calendrier normal comme nous nous y étions engagés, pour les aides 2018.

"Aujourd’hui, si on veut des évolutions sur les conversions ou les installations, les agriculteurs doivent savoir à quoi s’en tenir."

Comment améliorer le soutien et l’accompagnement des producteurs dans leur conversion et dans le maintien de leur activité ?

D. G. - Dans le cadre de la future Politique agricole commune, nous menons actuellement un travail important avec Régions de France et les syndicats agricoles pour savoir ce que l’on fait. Les régions doivent-elles récupérer toutes les aides pour l’agriculture biologique ? À date, rien n’est tranché, mais le sera avant l’été pour démarrer la mise en œuvre de la réforme de la PAC en sachant où l’on va. La question est de savoir si on veut un cadre national sur le bio. Nous sommes tombés d’accord entre nous sur le constat que l’on ne peut pas continuer comme aujourd’hui sans décroiser les responsabilités sur les aides. Tout le monde se marche sur les pieds sans savoir qui fait quoi. Ce qui est lié aux compétences des Régions, comme le développement économique ou territorial, devrait intégralement revenir aux régions, et ce qui est lié aux compétences de l’État (solidarité nationale comme les aides aux zones défavorisées, enjeux de portée nationale comme l’assurance récolte ou de grands enjeux environnementaux) à l’État. Cela nous semblerait plus clair. Aujourd’hui, les régions souhaiteraient récupérer, non seulement le développement économique (investissement, installation) et territorial (programme Leader), mais aussi une partie des aides liées à la surface des exploitations (aides « surfaciques ») financées par le Feader, notamment les aides à la bio et les mesures agroenvironnementales. Nous pensons qu’il ne faut pas le faire de cette façon-là. C’est plus simple si l’État pousse sur l’ensemble du territoire dans la montée en gamme pour atteindre les 15% que si certaines régions vont plus vite que d’autres.

Jusqu’où peut-on aller dans la démocratisation des produits bio ? On sent bien les prémices d’une guerre des prix sur ce marché...

D. G. - Il y a une dimension sociale dans l’alimentation et j’y suis très sensible. Le bio ne peut pas être pour les riches et le conventionnel pour les pauvres. Il faut que le bio soit abordable en mettant en place de nouvelles techniques de distribution. Les circuits courts peuvent rendre le bio accessible. Un produit issu de l’agriculture biologique est en général plus cher à produire, il ne faut pas induire le consommateur en erreur sur ce point. Mon objectif est de faire monter en gamme toute l’agriculture française, conventionnelle comme bio. Pour cela, l’impact de cette montée en gamme doit être intégré dans le coût de production du conventionnel, ce qui peut réduire à terme l’écart entre le bio et le conventionnel. Le bio restera toujours plus cher que le conventionnel. Aujourd’hui, il y a trop d’agriculteurs qui ne vivent pas correctement. Cela concerne tout le monde. Sur le bio, il y a plutôt de bons revenus. Le consommateur est prêt à payer plus cher s’il est sûr que cela revienne à l’agriculteur ou que cela correspond à la qualité qu’il recherche. C’est le sens de la loi EGA : permettre aux agriculteurs d’être rémunérés en prenant en compte leurs coûts de production, sur des bases objectives et partagées, favoriser la création de valeur ajoutée par la montée en gamme. Nous n’avons jamais parlé de ruissellement. Au contraire, chacun des acteurs doit prendre ses responsabilités. C’est l’inversion de la construction du prix que nous avons voulu faire, c’est donc la marche en avant. On a mis des indicateurs de coût qu’il faut atteindre dans les années qui viennent.

Êtes-vous favorable à un recyclage du logo AB ?

D. G. - Je laisse la filière se mettre d’accord. L’État ne peut pas toujours décider. Pour ma part, je pense qu’on ne peut pas avoir plusieurs 'bio'. Il ne peut pas y avoir du bio de seconde catégorie. Le mieux est l’ennemi du bien. Je ne veux ni un bio dégradé et ni un surbio.

Des objectifs de développements forts d’ici à 2022

Dans le cadre du plan Ambition Bio, l’État s’est fixé l’objectif d’atteindre 15% de surface agricole utile en 2022. Doté d’un budget de 1,1 milliard d'euros, ce plan s'articule en sept axes majeurs, financés principalement via trois leviers :

1 le renforcement des moyens consacrés aux aides à la conversion : 200 millions d'euros de crédits État, 630 millions d'euros du fonds européen agricole pour le développement rural auxquels s'ajouteront les autres financements publics, et à compter de 2020, un apport de 50 millions d'euros par an par la redevance pour pollutions diffuses ;

2 un doublement du fonds de structuration Avenir bio géré par l'Agence bio, porté progressivement de 4 à 8 millions d'euros par an ;

3 une prolongation et une revalorisation du crédit d'impôt bio de 2 500 à 3 500 euros jusqu'en 2020, inscrite en Loi de finances 2018.

À savoir

La bio en France

1,745 million d’ha fin 2017, soit 6,5% de la SAU

+ 40 % de surfaces attendues fin 2019

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