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De la luzerne de Limagne pour les producteurs AOP de montagne

Les céréaliers de Limagne cultivent de la luzerne pour les éleveurs de montagne : le projet audacieux est porté collectivement par l'Interprofession Saint-nectaire et Limagrain.

La production locale de luzerne renaît en Limagne sous l'impulsion de l'Interprofession Saint-nectaire (ISN) et de Limagrain. L'idée est simple : produire en plaine du fourrage pour les producteurs AOP de montagne leur offrant ainsi davantage d'autonomie et d'accord avec leur produit. "On ne peut pas vendre la territorialité de notre fromage avec des fourrages qui parcourrent plusieurs centaines de kilomètres, même s'ils ne représentent qu'une part minime dans nos rations. Cela n'a plus de sens " martèle Gilles Clavel, co-président des producteurs fermiers à l'ISN.

Des champs de luzerne

Les prémices d'une filière locale de luzerne apparaissent dans le paysage puydômois. A Chidrac, Alexandre Maffre et plusieurs de ses collègues, ont réintégré cette ancienne légumineuse dans leur assolement. "Moins gourmande en eau; restructurante pour les sols; peu exigeante et pérenne durant trois ans" la luzerne devient  une culture à part entière et "une solution de remplacement pour la betterave".

Le céréalier jusqu'alors peu habitué à la culture de plantes fourragères, a vite appris comment produire de la luzerne. " Nous sommes partis au départ sur la méthode Champenoise avec un semis fin juillet mais les températures élevées ont freiné la levée."

L'irrigation assure le rendement

Le céréalier peut néanmoins compter sur l'irrigation. Le réseau développé initialement pour la culture du maïs semence et la betterave, se voit aujourd'hui mis au service de la luzerne. "La plante est peu exigeante en eau. L'objectif n'est pas de l'arroser régulièrement mais le manque de précipitations de ces deux dernières années, notamment autour de la date de levée, nous a obligé à employer l'irrigation." L'objectif pour les producteurs est double. Parfaitement conscients de la finalité de leur produit, ils s'attachent à faire les choses dans les régles et à minimiser l'emploi d'intrants. Cet arrosage après le semis a permis une levée homogène de la luzerne et une couverture rapide du sol. "Nous travaillons de façon à avoir la luzerne la plus propre possible au printemps en employant un minimum, voire aucun, produits phyto."

L'irrigation permet également d'assurer le rendement et la qualité du fourrage dont la teneur minimale de 16% en matière azotée est inscrite dans le contrat triennal.

Face à ces exigences, l'irrigation (non obligatoire à la production), tire donc encore une fois son épingle du jeu. Alexandre Maffre l'assure, sans l'arrosage, sa luzerne produit environ "8 tonnes de matières sèches (T.MS) à l'hectare contre 14 T.MS/ha pour le maïs".

Une récolte délicate

La conduite de la culture joue un rôle important dans sa réussite mais pas autant que la récolte. Véritable clé de voûte de la réussite du foin de luzerne, la fenaison peut s'avérer également dévastatrice si elle n'est pas maîtrisée. Une fois coupée, la plante est très fragile et perd facilement ses feuilles, les organes les plus riches. Alexandre Maffre et ses collègues ont compris tout l'enjeu de maîtriser au maximum cette étape essentielle. Après avoir vendu leur matériel betteravier, ils ont acheté du matériel de fauche performant et ont surtout appris à jouer avec les élements. "Cet été nous avons fauché et andainé très tôt le matin, entre 3 heures et 4 heures, pour porfiter d'un maximum de rosée et finir les travaux à 9 heures maximum. Le travail de récolte conditionne la qualité et la qualité le prix." Une fois andainé, la luzerne est pressée et rejoint un hangar pour être stockée avant l'arrivée d'un camion pour la livraison à l'éleveur.

Cette année, Alexandre Maffre a réalisé quatre coupes de luzerne. Une en mai et trois autres entre juin, juillet et août. Si le temps le permet, il espère une cinquième coupe en octobre.

La dynamique du collectif

Au délà de la productivité, l'agricultueur affectionne cette idée qu'il "aide à produire du Saint-nectaire" le tout sous couvert de garanties et "chapeauté par deux structures de confiance".

La production de luzerne à destination de l'AOP est en effet contractualisée.  Le contrat garan- tit d'une part aux céréaliers un prix minimal et un débouché pour leur production. "Le prix varie de 150 à 220€. Ce prix a été construit en collaboration avec les éleveurs et les céréaliers pour être à la fois dans les prix moyens du marché et couvrir les charges de productions. Les éleveurs s'engagent également à acheter un certain tonnage qu'ils fixent selon leurs besoins " explique Carine Pothier, responsable nouvelles filières chez Limagrain. La coopérative gère ainsi toute la partie production jusqu'au contrôle de la qualité grâce à l'invention "d'une carotteuse" permettant dl'évaluer la teneur en matière azotée de chaque botte de luzerne. De son côté l'ISN s'occupe de la partie concernant les éleveurs.

Cette organisation collaborative sécurise les échanges dans les deux sens puisqu'elle permet aux céréaliers d'avoir un débouché et un prix fixe tandis que les éleveurs sont assurés d'avoir une qualité minimale en face. "Indispensable" selon Gilles Clavel, éleveur à Saint-Saturnin dans le Cantal et habitué aux achats de luzerne hors Puy-de-Dôme. "Quand le camion vient d'Espagne on ne sait pas ce qu'il y a dedans et une fois dans la cour de la ferme on ne peut pas lui dire de repartir ! Là, si on a un problème (et ce n'est pas encore arrivé) on sait à qui s'adresser ! "

Le sentiment est le même chez Marc Cougoul, éleveur au Vernet-Sainte-Marguerite pour qui "la luzerne est un aliment aux supers pouvoirs oubliés". Tous deux l'assurent, dès les premières rations ingurgitées "le poil des bêtes est différent, plus beau".

L'enjeu de la territorialité

La filière de luzerne puydômoise en est à ses balbutiements. Une vingtaine de céréaliers seulement cultive une petite centaine d'hectares. Dès l'année prochaine, la surface sera doublée pour atteindre une production de 1 000 tonnes. Davantage de producteurs de Saint-nectaire auront accès à ce fourrage local derrière lequel se cache des enjeux d'avenir considérables.

"S'approvisionner dans notre territoire en luzerne permet de renforcer le message de notre AOP en terme de qualité auprès des consommateurs. Cette filière aura aussi à long terme l'effet de fiabiliser la production" selon Emilie Rousset, directrice de l'ISN. Marc Cougoul, l'éleveur du Vernet-Sainte-Marguerite va encore plus loin en parlant de pérénisation de l'agriculture puydômoise. "Nous sommes les uns à côté des autres. Nous devons travailler ensemble pour mieux affronter les aléas, notamment climatiques. Il n'y a que comme ça qu'on s'en sortiera  !"

Des ventes boostées par le tourisme

Les ventes de Saint-nectaire, après s'être effondrées au plus fort de la crise de la Covid-19, ont explosé durant la saison estivale. "La très forte présence de touristes dans le département" est la raison de ce rebond pour Emilie Rousset, directrice de l'ISN.

Les premières estimations de l’interprofession tablent sur une augmentation de 15 à 20% des ventes habituelles sur cette période. "Les producteurs manquent toujours un peu de fromages mais ce phénomène a été amplifié cette année. Les choses semblent désormais se stabiliser."

La filière est également toujours à la recherche de repreneurs pour remplacer les cessations d’activités au sein de la profession.

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