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Agriculture bas carbone : quelle rémunération pour les agriculteurs qui s’engagent ?

L’agriculture est un levier puissant pour décarboner les filières alimentaires. Les démarches bas carbone se multiplient, laissant les agriculteurs parfois dubitatifs. Quel intérêt et quelles opportunités représentent-elles ?

sol agricole en bonne santé avec des champignons
En grandes cultures, c’est le protoxyde d’azote (N2O) provenant de la fertilisation azotée des cultures qui est la principale source de GES, suivie par la consommation de carburant.
© Gaïago

Des dizaines de start-up, de multiples systèmes de financement… difficile de s’y retrouver actuellement dans le far west de l’agriculture bas carbone. L’écosystème autour de la rémunération carbone reste fragile et complexe : le prix du crédit carbone agricole semble à la fois trop faible pour rémunérer les agriculteurs, mais trop élevé pour attirer les financeurs !

L’agriculture bas carbone est donc pour l’heure l’affaire de quelques milliers d’agriculteurs ayant engagé une transition de leur exploitation et une modification de leurs pratiques. Comment aller plus loin ? Et les agriculteurs y ont-ils un intérêt ? Pour bon nombre d’agriculteurs, les freins sont simples et légitimes : les changements engagés ne doivent pas compromettre leur marge nette et si rémunération carbone il y a, cela doit se faire avec un minimum de contraintes administratives. « Pour un déploiement à l’échelle, s’engager dans cette voie ne doit pas se traduire par plus de temps de travail et cela doit au minimum ne pas coûter plus cher », considère Sébastien Roumegous, fondateur de Biosphère. « En grandes cultures, on a du mal à mobiliser des leviers à des coûts abordables et qui n’affectent pas la rentabilité à court terme », reconnaît pour sa part Anthony Uijttewaal, chef du Service agronomie économie et environnement chez Arvalis.

20 000 € pour 600 t de CO2 économisés sur cinq ans

Il existe une multitude d’opérateurs et de possibilités pour tout agriculteur qui souhaite s’engager dans une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Le point commun de toutes ces démarches est leur dimension volontaire. Il s’agit d’inciter les agriculteurs à modifier leurs pratiques pour éviter des émissions et/ou stocker du carbone dans leurs sols en leur proposant un financement par la génération de crédits carbone ou par des primes filières. Le Label bas carbone propose une approche globale de l’exploitation. Portée par le ministère de la Transition écologique, cette certification est aujourd’hui le principal outil utilisé en France pour certifier des crédits carbone agricoles vendus sur un marché volontaire aux entreprises qui souhaitent compenser leurs émissions incompressibles de CO2. Il peut être proposé aux agriculteurs via les chambres d’agriculture, les coopératives et négoces ou encore des start-up comme Agoterra ou Carbone farmers.

Actuellement, la rémunération moyenne qu’il est possible de tirer des crédits carbone volontaires est de 32 euros la tonne équivalent CO2 (€/t éq. CO2). Mais le crédit carbone est acheté 45 €/t par les entreprises. En moyenne, la mise en œuvre de pratiques dites bas carbone en grandes cultures génère des réductions d’émissions comprises entre 600 et 1 000 t éq. CO2 sur cinq ans d’après France Carbon Agri. Pour une exploitation agricole qui économiserait 600 t éq. CO2 sur cinq ans, cela représente un financement de 20 000 €. « Ce n’est pas un revenu supplémentaire, il faut être clair là-dessus, mais ça peut permettre de payer le diagnostic et un peu de conseils pour sécuriser la transition dans laquelle s’engage l’agriculteur », avance Alexandre Hatet, conseiller spécialisé agronomie et environnement, à la chambre d’agriculture Pays de la Loire.

Concrètement, les agriculteurs labellisés bas carbone s’engagent sur cinq ans à mettre en œuvre un plan d’action favorable à la diminution ou à la séquestration des émissions de CO2. Un diagnostic carbone de l’exploitation est réalisé au préalable. Son coût se situe entre 1 000 et 3 000 € et une journée à consacrer pour l’agriculteur. « Sur les premiers dossiers, des aides de l’Ademe permettaient de financer le diagnostic initial à 90 % », explique le conseiller. Un nouveau financement de ces diagnostics, désormais intitulés « climat », devrait être annoncé prochainement par l’Ademe avec une enveloppe dédiée. Ensuite, une modélisation de l’effet des nouvelles pratiques engagées permet d’estimer les gains potentiels en termes d’émissions. Il faut ensuite compter encore une ou deux journées à passer avec un conseiller pour poser le plan d’actions et décider des pratiques que l’on mettra en œuvre pour atteindre ses objectifs de réduction.

Les crédits carbone agricoles plus chers

Les crédits carbone peuvent intéresser les entreprises de la chaîne de valeur agricole qui ont travaillé sur la décarbonation de leurs activités et souhaitent réduire les émissions au niveau de leurs fournisseurs (Scope 3), en l’occurrence les agriculteurs. Toutefois, des entreprises en dehors de la chaîne de valeur s’intéressent de plus en plus aux crédits carbone agricoles. Leur gros défaut est qu’ils sont cinq à dix fois plus chers que d’autres types de crédits carbone, mais ils présentent l’avantage d’être produits localement. « Les projets des agriculteurs sont ancrés dans un territoire avec une transparence et une fiabilité sur la qualité des crédits carbones émis », assure Samuel Vandaele, président de France Carbon Agri.

Même ceux qui ont participé à sa conception le reconnaissent : le Label bas carbone souffre d’une relative complexité, tant pour les agriculteurs que pour les entreprises qui souhaitent investir dans des crédits carbone ainsi certifiés. Ce qui a tendance à freiner son développement. En contrepartie, il offre une solidité scientifique qui permet aux acheteurs d’être sûrs des pratiques bas carbone qui se cachent derrière leur investissement.

D’autres moyens de financer l’agriculture bas carbone existent. Certains industriels optent pour une démarche de filière. C’est la logique suivie par le sucrier Cristal Union, qui propose une prime de 5 euros par hectare aux producteurs qui s’engagent à cultiver les betteraves selon les principes de l’agriculture régénératrice. « Il s’agit de valoriser les producteurs qui s’engagent dans des pratiques qui peuvent coûter plus cher et entraîner temporairement une baisse de rendement », avance Julien Coignac, coordinateur RSE à Cristal Union. En face, l’industriel propose une offre commerciale pour valoriser les produits issus de ces betteraves « durables » auprès de ses clients. Le principe de la prime filière est aussi le mécanisme adopté par Tereos, McCain ou encore Nestlé. Ces primes filières ne peuvent concerner que les entreprises de la chaîne agricole. Elles présentent la limite de ne rémunérer l’agriculteur que pour une seule culture, alors que les changements de pratiques s’envisagent à l’échelle du système de cultures.

Des initiatives privées pour s’engager dans le bas carbone

Il existe aussi des opérateurs privés qui s’appuient sur des certifications internationales (comme Gold Standard ou Verified Carbon Standard, Verra). La société belge Soil capital accompagne, par exemple, avec un financement annuel généré par des certificats carbone. « Pour ma part, je suis satisfait du dispositif, explique Luc Jacquet, agriculteur à Fouronnes, dans l’Yonne, engagé depuis quatre ans. Cela me permet de financer mes achats de semences de couverts riches en légumineuses, mais relativement coûteuses. D’autant que le développement d’un couvert n’est jamais garanti. Personnellement, ça me sécurise. »

On peut aussi citer l’entreprise Gaïago, dont la rémunération ne dépend pas d’un changement de pratique, mais de l’utilisation du produit Nutrigeo commercialisé par l’entreprise, et qui favorise le stockage du carbone dans les sols. Le principe est basé sur une analyse de terre au départ, après trois ans, puis au bout des cinq ans. Des certifications carbone sont générées en fonction des résultats. Cette offre, proposée via les coopératives et négoces, est déployée sur 26 000 ha auprès de 650 agriculteurs. La rémunération s’élève à environ 100 €/ha/an. L’achat du produit s’élève à 75 €/ha/an, l’agriculteur doit aussi payer un abonnement au programme de 25 €.

Dernière innovation en date : le programme Transitions lancé par Vivescia qui compte engager 1 000 agriculteurs dans l’agriculture régénératrice et bas carbone d’ici 2026. La rémunération avancée par la coopérative s’élèverait entre 100 et 150 €/ha/an en fonction du niveau de performance atteint et de la culture.

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