Abreuvement au pâturage : des tuyaux pour sécuriser ses ressources en eau
Après un été 2022 de tous les records, et des sécheresses devenues récurrentes, l’eau pour l’abreuvement au pré devient un facteur de production limitant pour de nombreux élevages bovins viande. Trouver des solutions pour améliorer l’autonomie en eau apparaît comme indispensable.
Après un été 2022 de tous les records, et des sécheresses devenues récurrentes, l’eau pour l’abreuvement au pré devient un facteur de production limitant pour de nombreux élevages bovins viande. Trouver des solutions pour améliorer l’autonomie en eau apparaît comme indispensable.
Les problèmes d’abreuvement au pré ont concerné probablement plus de la moitié des élevages bovins viande dans de nombreuses régions l’an dernier. Les impacts sont visibles sur les performances de reproduction et de croissance des animaux, sur les coûts de production, sur le temps de travail, et sur le moral des éleveurs. Il s’agit aussi d’anticiper d’éventuels conflits d’usage de l’eau pendant l’été.
« La profession agricole est consciente de la nécessité de trouver des solutions fiables et durables pour diminuer la dépendance aux réseaux d’adduction en eau potable », note Didier Ramet, président du comité d’orientation régionale élevage à la chambre d’agriculture de Bourgogne Franche-Comté, en ouverture du guide de l’abreuvement issu du projet Assecc (1) publié en 2022.
Les besoins bondissent en ration foin sous forte chaleur
En élevage, les besoins en eau d’abreuvement augmentent avec la teneur en matière sèche des aliments et la température. En été, la nécessité d’affourager coïncide avec les périodes de baisse de disponibilité en eau. Une vache qui consomme du foin sous une météo caniculaire boit beaucoup plus qu’aux autres périodes de l’année. On manque encore d’ailleurs de références précises sur ce point, qui fait partie des attendus du programme Cerc’Eau en région Auvergne Rhône-Alpes (finalisé pour son second volet en 2024).
Depuis déjà plusieurs années, la recherche de l’autonomie en eau d’abreuvement s’accélère dans les élevages. « L’enjeu est de se parer pour les vingt prochaines années par rapport à l’évolution du climat », explique Pauline Murgue, chargée de mission eau et agroécologie à la chambre régionale d’agriculture Bourgogne Franche-Comté. Aménagement à partir d’un cours d’eau, captage de sources ou nappes superficielles, captage par forage d’eau profonde, réserve ou stockage de surface… il y a très souvent plusieurs ressources mobilisables dans chaque élevage, qui ont toutes des avantages et des inconvénients. « Chaque élevage les combine et fait son propre 'mix eau', à l’image de son 'mix énergie' », observe Pauline Murgue.
Bien dimensionner son projet d’aménagement
L’alimentation de ces systèmes peut se faire par gravité ou par pompage. Les pompes fonctionnent à l’électricité, et de plus en plus d’installations ont recours à l’énergie solaire, et aussi parfois à l’énergie éolienne. Il existe aussi le système beaucoup plus rare mais intéressant du bélier hydraulique. Pour les mettre en œuvre, des aides figurent dans le PCAE au niveau régional, et certaines collectivités locales en proposent. On peut aussi se tourner vers les agences de l’eau.
Certains organismes peuvent également vous accompagner. « Nous réalisons un diagnostic de l’exploitation qui détermine quels sont les besoins en eau d’abreuvement, et quelles sont les ressources en face », présente Emmanuelle Hetsch, responsable eau et environnement à la chambre d’agriculture de Haute-Vienne. « Un projet d’aménagement est défini. L’enjeu est de bien le dimensionner pour faire face au moment où les besoins en eau sont les plus forts, et de respecter la réglementation. » L’accompagnement se poursuit avec le suivi des travaux et du dossier de demande d’aides.
L’eau de récupération des toitures exige des précautions
« Les ressources des cours d’eau, sources, puits, forages ont souvent un intérêt économique et stabilisent l’approvisionnement en eau d’abreuvement des élevages. Il faut cependant garder en tête qu’elles sont souvent interconnectées, et utilisées aussi par d’autres usagers. Des tensions pourraient apparaître aussi pour elles à un horizon plus ou moins lointain », remarque Bertrand Dufresnoy, chef de projet eau et élevage à l’Institut de l’élevage.
L’eau de pluie de récupération des toitures suscite beaucoup d’intérêt ces dernières années. Les spécialistes pointent pour ce type d’usage des limites à cause de la qualité sanitaire de l’eau, en particulier pour les animaux les plus jeunes, en l’absence de système de filtrage et traitement de l’eau et/ou de conditions de stockage adéquates. Ces équipements ne sont pas évidents à amortir en élevage allaitant. Des références vont être proposées pour cette technique à l’issue du programme Cerc’Eau2, fin 2024.
Quand aucune solution pour l’abreuvement au pré n’est trouvée, ou bien parce que le travail s’en trouve rationalisé, il y a toujours le recours de ramener tout ou partie des bovins en bâtiment. Dans le cas où le bâtiment est approvisionné en eau par le réseau d’adduction, il est conseillé de prévenir l’entreprise de distribution d’eau. « Cela peut créer un report de consommation brutal à une période où le troupeau boit habituellement de l’eau 'hors réseau' et ainsi créer une tension à laquelle le réseau d’adduction n’est pas prêt, remarque Bertrand Dufresnoy. Prévenir le service de distribution participe à une gestion collective et devrait être apprécié. »
Éviter le sous-abreuvement des vaches et surveiller les fuites sur le réseau d’eau
Une bonne gestion de l’eau d’abreuvement, c’est la mettre à disposition des animaux en quantité suffisante sans la gaspiller. Pauline Murghe, de la chambre d’agriculture de Bourgogne Franche-Comté, pointe « le risque de sous-abreuvement, qui n’est pas aussi évident qu’on pourrait le croire à détecter, induit des effets subcritiques ou légers sur la croissance et la santé des animaux ». L’experte conseille en parallèle de surveiller l’apparition de fuites, d’autant plus probable que le réseau de distribution d’eau est long et que les branchements sont multiples.
Des repères sur les coûts des différents aménagements possibles
La chambre d’agriculture de Haute-Vienne a déjà réalisé 440 diagnostics d’approche globale en exploitation sur l’autonomie en eau d’abreuvement. Sur cet échantillon d’élevages, les besoins en eau des troupeaux représentent en moyenne 3 500 m3, et un coût global de 22 euros par UGB et par an.
75 % des exploitations ont de l’eau à transporter avec une tonne pour au moins une partie de leurs surfaces de pâtures. Cela représente une facture moyenne de 2 405 euros par an.
Les exploitations qui ont réalisé un forage ont investi de 13 500 euros (pour alimenter 1 à 5 bacs) à 21 600 euros environ (pour alimenter entre 16 et 20 bacs) en comptant l’ouvrage, la pompe et le réseau complet. Si le forage mesure moins de 10 m de profondeur et prélève moins de 1 000 m3 par an, une simple déclaration en mairie suffit. Au-delà, d’autres démarches administratives plus importantes sont nécessaires.
Pour un puits filtrant alimentant un à cinq bacs, l’investissement représentait 5 100 euros en moyenne pour ces élevages suivis par la chambre de la Haute-Vienne. Le montant est fortement dépendant de l’importance des travaux de terrassement rendus nécessaire par la configuration du site. Le coût du réseau de distribution varie entre 3 000 et 7 200 euros. Pour l’ajout d’une pompe solaire, il faut compter entre 2 000 et 2 500 euros (main-d’œuvre comprise). Si la zone humide prélevée par la création du puits filtrant représente moins de 1 000 m2, une déclaration simplifiée en mairie est à effectuer. Si la zone concernée est plus importante, la réglementation impose d’autres démarches.
Pour chaque type d’aménagement, une cuve tampon coûtant entre 1 600 et 2 200 euros peut être nécessaire pour faire une réserve afin de pallier un manque d’énergie de la pompe ou en cas de débit trop juste.
Quand les points d’eau dans les pâtures s’assèchent
La coopérative Alysé a lancé une enquête auprès de ses adhérents du nord du bassin Charolais. Sur la seule année 2022, 19 % des éleveurs ont eu au moins un nouveau point d’eau à sec dans les pâtures.
« Nous avons lancé en septembre 2022 une enquête en ligne auprès des éleveurs de notre zone (Aube, Côte-d’Or, Yonne, Loiret) pour mieux connaître la dépendance des élevages à l’eau d’abreuvement au pâturage », présente Jérôme Laviron, responsable du pôle viande à Alysé. Plus de 190 éleveurs dont 103 éleveurs bovins viande, aux structures représentatives de la région, ont répondu.
D’après cette enquête, entre 2018 et 2020, presque la moitié des éleveurs ont observé l’assèchement d’au moins un point d’eau qui n’avait jamais été à sec lors d’épisodes précédents de sécheresse. Et sur la seule année 2022, 19 % des éleveurs ont eu au moins un nouveau point d’eau à sec.
Des surfaces concernées conséquentes
Tous les types de points d’eau sont concernés : puits, forage, captage, ruisseau ou rivière, source ou mare. « Les surfaces qui étaient alimentées par ces points d’eau récemment asséchés sont conséquentes. Elles sont supérieures à 20 hectares pour plus d’un tiers des élevages », constate Jérôme Laviron.
« Dans plus de la moitié des cas, les éleveurs ont entre une et trois parcelles à alimenter en eau d’abreuvement avec une tonne à eau. Mais un quart d’entre eux en a plus de cinq, et 13 % des éleveurs concernés ont même plus de dix parcelles à couvrir. » Cette étude montre aussi que presque 20 % des éleveurs y passent plus de deux heures par jour.
Un tiers des élevages se sont débrouillés avec leur organisation habituelle, un autre tiers a acheté des bacs à eau de stockage et/ou une tonne à eau supplémentaire. Le dernier tiers a investi dans le raccordement au réseau ou la création de nouvelles ressources comme un forage ou un captage.
En 2022, 35 % des éleveurs ont sorti les animaux des parcelles concernées par l’assèchement du point d’eau. Ceci sur une proportion très variable de leurs surfaces de pâtures selon les exploitations.
« Je suis autonome en eau mais des sources s’assèchent »
« Installé dans le Morvan depuis six ans, j’ai déjà été confronté à quatre sécheresses. Celle de 2019 a été la pire au niveau de la ressource en eau et 2022 au niveau de la récolte de foin. Des points d’eau existants s’assèchent ces dernières années. J’ai la chance d’avoir un parcellaire groupé. En été, j’ouvre plusieurs parcelles aux vaches qui vont chercher l’eau là où il y en a. Je n’ai ainsi pas d’eau à rouler. Mais cette année, mes vêlages se sont décalés compte tenu des fortes chaleurs du printemps et de l’été.
Je suis sourcier et j’avais pour objectif dès le départ d’être autonome pour l’abreuvement. J’ai commencé par les deux bâtiments, en créant pour chacun un puits filtrant (4 mètres de profondeur) équipé d’une pompe électrique. J’ai bénéficié d’une aide du PCAE et en sept ans, l’investissement est normalement amorti. Pour les prés, j’ai capté deux sources et j’ai aménagé un autre puits, qui permettent d’alimenter en eau l’équivalent d’une vingtaine d’hectares. J’ai encore des aménagements à réaliser mais je n’utilise pas le réseau d’adduction d’eau (sauf en cas de souci au niveau de l’installation). J’ai gardé un compteur et un abonnement pour pouvoir faire face aux imprévus.
Pour le fourrage, heureusement que j’ai pu compter sur des repousses d’herbe automnales et des stocks de 2021, le Morvan n’étant pas reconnu en calamités agricoles sur mon secteur. Je réfléchis aussi à différents projets pour être autonome en électricité, et aussi pour la litière avec le recours aux plaquettes forestières. »
Chiffres clés
« Le moment de se poser les bonnes questions pour l’abreuvement des bovins en été »
Une partie des prairies de Laurent Tavoillot situées en bord de rivière deviennent difficiles à valoriser. L’éleveur s’est équipé d’une tonne à eau et de bacs supplémentaires et réfléchit à plusieurs options.
Laurent Tavoillot, installé à Massangis dans l’Yonne en polyculture élevage, valorise 50 hectares de prairies naturelles avec son troupeau de 45 vaches allaitantes (charolaises en croisement aubrac, Angus et hereford).
Quinze hectares se situent le long du Serein - un affluent de l’Yonne. Les surfaces, qui étaient inondables, deviennent maintenant difficiles à exploiter l’été. « Le débit de l’eau en été est devenu régulièrement très bas. On pouvait traverser le Serein à pied en 2022, explique Laurent Tavoillot. J’ai des doutes sur la qualité sanitaire de l’eau, qui est devenue variable. » Les stations de traitement de l’eau voient leur fonctionnement modifié à cause du très bas débit. Par moments, l’eau n’est plus courante.
Une tonne à eau et deux bacs supplémentaires
« J’apporte 10 000 à 15 000 litres d’eau par semaine à une partie des vaches avec une tonne à eau. » Pour rendre ce travail moins chronophage, Laurent Tavoillot a acheté une deuxième tonne (en polyuréthane, de 5 500 litres, pour une valeur d’environ 1 200 euros) qu’il a installée sur un plateau à foin. Il l’utilise en rotation avec sa tonne de 10 000 litres, ou bien il en laisse une des deux sur un site.
« J’ai aussi racheté deux bacs supplémentaires de 1 000 litres. On peut stocker dans la parcelle 3 000 litres d’eau pour 25 vaches, ce qui donne de la souplesse pour passer remplir. » La corvée d’eau revient quand même plus d’une fois par semaine en pleine canicule. « Les sources fatiguent chez nos voisins. Je suis autorisé à remplir la tonne sur la source qui alimente le lavoir de la commune, par anticipation, pour ne pas risquer de peser sur le réseau communal. »
L’autre partie du troupeau se trouve sur des parcelles alimentées par le réseau d’eau communal qui représentent environ 24 hectares.
« On a passé des étés pas marrants, c’est le moment de se poser les bonnes questions. » Laurent Tavoillot réfléchit à un projet de récupération de l’eau de pluie des toits en hiver. L’idée serait de la traiter et de la stocker pour la distribuer l’été.
L’été en bâtiment pour réduire les coûts et le travail ?
Laurent Tavoillot envisage de rentrer les vaches en bâtiment pour passer le plus difficile de la période estivale. Car avec le fourrage et l’eau à transporter, le coût de la distribution, en carburant et en temps de travail, sera bien moins important. Le travail sera aussi moins pénible. Les vaches pourraient aller et venir à leur guise entre les cinq hectares de prairies attenants et le bâtiment.