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Revenu agricole : comment évoluent les résultats des agriculteurs depuis douze ans ?

Variabilité interannuelle, écarts de revenus entre spécialisations agricoles, mais aussi entre exploitations dans une même production : l’agriculture se caractérise par une très grande hétérogénéité de revenu. Analyse des évolutions à l’œuvre depuis une douzaine d’années.

<em class="placeholder">Vigneron controlant sa tresorerie en especes et effectuant un paiement par cheque. </em>
Le résultat net de la branche agricole a diminué de 20 % en 30 ans, mais ramené à l'actif non salarié, il a augmenté de 50 % du fait de la baisse importante du nombre d'actifs en agriculture sur la même période.
© JC. Gutner

Si les revendications portées lors des manifestations agricoles de 2024 ont été très diverses, la question du revenu agricole était en filigrane dans nombre d’entre elles. « Agriculteur, enfant, on en rêve, adulte, on en crève » ; « Qui sème la misère récolte la colère » ; « On est sur la paille » ; « Mercosur, destruction de l’agriculture française » ; « Taxes, charges, paperasses, trop, c’est trop, on sature »… Vincent Chatellier, économiste à l’Inrae, note que les slogans affichés dans les cortèges trouvent, en partie, leur origine dans des problématiques liées au revenu des exploitations.

Vers une chute vertigineuse des revenus en 2024

Après les résultats exceptionnels de 2022, la tendance a déjà commencé à s’inverser en 2023 avec un net recul du revenu agricole d’après les données du réseau d’information comptable agricole (Rica). Il faudra attendre plusieurs mois pour connaître les résultats définitifs pour 2024 mais on sait déjà que certaines filières vont accuser le coup. « Ça va être catastrophique en grandes cultures avec la baisse des rendements et les mauvais prix », souligne Vincent Chatellier. En bovins viande, en lait ou en élevage hors sol, les résultats seront aussi en forte baisse, mais le choc devrait être moins rude. La viticulture subit aussi une baisse de rendement et doit faire face à une profonde restructuration dans certains secteurs, liée notamment à la baisse de la consommation de vin. Autre élément pénalisant : pour bon nombre d’exploitants agricoles, les niveaux de cotisations sociales à payer restent élevés cette année, après les résultats record des années précédentes.

Le RCAI, l’indicateur de référence pour mesurer le revenu agricole

Au-delà de cette conjoncture négative, qui pèse sur le moral des agriculteurs, la question complexe du revenu agricole impose de mener une analyse sur le temps long. L’indicateur souvent pris en référence pour évaluer la performance économique d’une exploitation agricole est le résultat courant avant impôt (RCAI).  « Le RCAI, qui additionne le résultat d’exploitation et le résultat financier, est déterminé juste avant la déduction des cotisations sociales de l’exploitant et des impôts. C’est un indicateur où tous les facteurs de production ont été rémunérés, à l’exception du travail non salarié et des apports en capitaux », décrit Vincent Chatellier dans ses travaux. Il est généralement ramené à l’unité de travail annuel non salarié (UTANS) pour pouvoir établir des comparaisons. Les cotisations sociales et impôts dont les exploitations sont redevables étant calculés à partir du RCAI, l’établissement de sa valeur peut faire l’objet de stratégies d’optimisation. Enfin, cet indicateur ne correspond pas à la rémunération effective des exploitants, car le montant des prélèvements privés est plus ou moins ajusté sur le niveau du RCAI.

D’après les chiffres du Rica, sur la période 2010-2022, toutes Otex (1) confondues, le RCAI moyen s’élève à 48 200 euros par exploitation ou 34 100 euros par unité de travail annuel non salarié (UTANS). « Ces valeurs moyennes cachent une grande diversité de performances », relève Vincent Chatellier.

Une variabilité interannuelle de revenu plus ou moins forte selon les productions

Sur cette période de 12 ans, il apparaît que la moins bonne année pour le revenu des agriculteurs français a été celle de 2016, avec une moyenne de 21 300 euros de RCAI par UTANS. « 2016 a fortement impacté l’ensemble de l’agriculture en conjuguant prix bas pour toutes les productions et chute des rendements céréaliers », précise l’économiste de l’Inrae. Avant cela, la période 2013-2016 a été nettement moins satisfaisante au niveau des revenus agricoles que 2010-2012. Après 2016, l’agriculture française a remonté la pente jusqu’à 2022, année de déclenchement de la guerre en Ukraine et de l’envolée des cours mondiaux des denrées agricoles, qui a permis d’enregistrer des résultats record malgré la hausse du prix des intrants. En 2022, le RCAI moyen par UTANS s’élève 55 800 euros toutes exploitations confondues.

 

 
<em class="placeholder">Graphique - LE RÉSULTAT COURANT AVANT IMPÔT (RCAI) MOYEN PAR UNITÉ DE TRAVAIL ANNUEL NON SALARIÉE (UTANS)POUR UNE SÉLECTION D’OTEX(1) ENTRE 2010-2023(2)</em>
Graphique - LE RÉSULTAT COURANT AVANT IMPÔT (RCAI) MOYEN PAR UNITÉ DE TRAVAIL ANNUEL NON SALARIÉE (UTANS)POUR UNE SÉLECTION D’OTEX(1) ENTRE 2010-2023(2) © Source : Rica France 2010-2022/Traitement Vincent Chatellier

La variabilité interannuelle des revenus touche plus fortement les productions végétales qu’animales, à l’exception de la production porcine dont les résultats oscillent au gré des variations parfois spéculatives du prix du porc. Même logique pour la production céréalière qui subit à la fois des variations de prix en lien avec les cours mondiaux, mais aussi des variations de volume qui influent fortement sur la rentabilité. Les productions laitière et viande bovine connaissent une plus grande stabilité de revenus, mais profitent moins des années record.

Les bonnes années profitent aux meilleurs

Autre point intéressant à souligner, les écarts de revenus entre exploitations agricoles sont d’autant plus grands quand la conjoncture est bonne. « Lors des mauvaises années, tout le monde souffre, constate Vincent Chatellier. Les bonnes années sourient aux meilleurs. » En 2022, par exemple, le RCAI par UTANS a été inférieur à -400 euros pour 10 % des exploitations agricoles françaises alors que, dans le même temps, il a dépassé 129 600 euros pour 10 % d’entre elles, soit le plus grand écart jamais observé en douze ans. Lors d’une année moyenne, comme 2020, l’écart était de 74 000 euros entre les 10 % d’exploitations avec les plus hauts revenus et les 10 % avec les plus bas.

Une très grande dispersion de revenu en grandes cultures et viticulture

Dans chaque type de production, les agriculteurs ne sont pas sur un pied d’égalité concernant les revenus. La dispersion est même très forte pour certaines d’entre elles. « Le spectre des revenus est beaucoup plus large en production de grandes cultures ou viticole que dans les productions animales », expose Vincent Chatellier.

 

 
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Graphique - LES FILIÈRES VÉGÉTALES ET LA FILIÈRE PORCINE SONT CELLES QUI CONNAISSENTLES ÉCARTS DE REVENUS LES PLUS IMPORTANTS ENTRE LES EXPLOITATIONSDispersion du revenu courant avant impôt (RCAI) par unité de travail annuel non salariée (UTANS) selon l’Otex(1) © Source : Rica France 2010-2022/Vincent Chatellie

Les écarts de revenus en production céréalière trouvent en grande partie leur origine dans la géographie et les types de sols. « Il y a une grande différence entre les céréaliers du Nord de la France qui bénéficient des cultures industrielles dans leur assolement, et les céréaliers exclusifs de zones intermédiaires, dans l’Yonne ou en ex-région Poitou-Charentes où la diversification culturale est beaucoup moins forte », expose Vincent Chatellier. Dans ces secteurs, les revenus décrochent depuis une dizaine d’années.

Les grandes cultures bénéficient aussi d’un fort effet de levier à travers la main-d’œuvre salariée : les exploitations qui dégagent les RCAI les plus élevés sont aussi celles qui emploient le plus de salariés (les salaires sont déjà payés dans le calcul du RCAI). « Dans la tranche de 10 % des plus hauts revenus observés en céréales ou en élevage porcin, il y a de l’emploi salarié avec une bonne productivité du travail, illustre l’économiste. En élevage bovin, il y a moins cet effet de levier qui permet d’atteindre les plus hauts niveaux de revenu, même les meilleurs ne parviennent pas à creuser l’écart concernant la productivité. »

Une dispersion du revenu agricole moins forte en élevage bovins

En lait, une des raisons de la moindre dispersion de revenu agricole entre exploitations est la quasi-disparition des très petites structures après les crises successives de 2009 puis de 2016. L’écart qui persiste s’explique plutôt par des raisons techniques ou géographiques (AOP ou non).

Les revenus sont aussi plus homogènes en élevage bovins viande. Revers de la médaille : ces exploitations ne parviennent pas à aller chercher de très bonnes années. « Elles dégagent peu de chiffres d’affaires avec souvent une diversification limitée », observe l’économiste. C’est aussi une production très dépendante de la performance technique de l’éleveur.

Le revenu agricole, pas seul en cause dans le malaise agricole

L’étude du revenu agricole sur douze ans montre au final une amélioration sur la période du revenu courant par UTANS. Cette tendance sera sans doute à pondérer au regard de l’année 2024, mais ces chiffres montrent que la dimension économique ne suffit pas à expliquer le malaise ambiant en agriculture ; d’autres facteurs entrent en ligne de compte. La liste n’est pas exhaustive, mais on peut citer la complexité administrative, le renforcement des normes, le renouvellement des générations, les injonctions sociétales, ou encore l’impact de la concurrence étrangère.

(1) Orientation technico-économique des exploitations.

Le revenu disponible moyen des ménages agricoles dans la moyenne française

D’après les chiffres de l’Insee, le revenu disponible des « ménages agricoles » (1) s’élève, en moyenne nationale, à 49 600 euros en 2020. Un tiers seulement de ce montant provient des revenus issus de l’exploitation (bénéfices agricoles). Rapporté à la personne dans chaque ménage, le revenu disponible se situe en moyenne à 22 800 euros, soit un niveau voisin de l’ensemble de la population. Toutefois, on constate une grande dispersion au sein des ménages agricoles : il est inférieur à 10 900 euros dans 10 % des cas et supérieur à 44 600 euros dans 10 % des cas. Par ailleurs, d’après l’Insee, les ménages agricoles avaient, en 2018, un patrimoine (net des emprunts personnels ou professionnels) supérieur à 438 000 euros, contre 117 000 euros pour l’ensemble des ménages résidant en France.

(1) Au moins un des membres est considéré comme exploitant agricole en activité.

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