Féru de génétique et très branché concours, Quentin Velut a toujours aimé les belles vaches « qui crachent du lait ». Mais plus que la productivité, c’est avant tout la longévité qu’il recherche sur son troupeau. « Avoir des vaches en bonne santé, capables de durer dans le temps, c’est un défi de chaque jour, avance le jeune éleveur de 29 ans, l’œil pétillant. Si mon premier objectif est de parvenir à un maximum de vaches à plus de 100 000 litres, c’est parce que ce critère valide tout le management du troupeau. Il implique d’assurer à tous les niveaux : l’alimentation, la repro, la santé des pieds, de la mamelle, la génétique… C’est la plus belle des récompenses pour un éleveur ! »
Installé depuis 2014 à Condrieu sur une exploitation de 60 hectares (dont 40 ha en herbe) à 400 mètres d’altitude, Quentin gère un troupeau de 40 laitières à 12 000 kg de moyenne, tandis que son oncle Marc Bouchet s’occupe de l’atelier transformation qui écoule deux tiers de la production. La ferme embauche six salariés et produit du beurre, de la crème, des yaourts et des fromages.
Priorité au format et à la morphologie plutôt qu’au lait
Sur le troupeau, le rang moyen de lactation est de 3,2. Sept vaches ont déjà dépassé la barre des 100 000 kg de lait, comme Apie, la doyenne de l’élevage (15 ans), qui a produit plus de 136 000 litres et compte 30 descendantes ! « Pour bien faire vieillir les vaches, trois points me semblent essentiels : un élevage des génisses irréprochable pour les faire vêler jeunes, une grande régularité dans la conduite du troupeau et une bonne génétique. » Quentin recherche « des vaches bien faites, avec du gabarit, des pattes solides et un bon pis ». Il travaille essentiellement avec la génétique nord-américaine. Il favorise la capacité d’ingestion avec des vaches ayant du coffre, dotées d’une belle largeur de poitrail et d’un bon bassin. « Je n’hésite à recourir à de très vieux taureaux tels que Windbrook, Talent, Baxter ou Damion. C’est de la génétique solide, très constructive de la race. Avec la génomique, je suis moins sûr du résultat. »
En outre, l’éleveur en est convaincu,
« on ne fait pas de bonnes vaches sans bons veaux, insiste-t-il.
Il faut que tout soit nickel les deux mois précédant et suivant la naissance. Pas question qu’un veau chope la moindre diarrhée ! » L’éleveur veille à un environnement propre. De l’eau est à disposition à volonté dès 3 jours, avec des concentrés et du foin. Le colostrum est consommé le plus vite possible après le vêlage, quitte à drencher (4 l) si le veau ne boit pas. La qualité du colostrum est mesurée. Aucune perte n’est à déplorer en six ans (sauf mort-nés) et ni veau malade. Le plan lacté monte jusqu'à 8 litres de lait entier par jour, distribué en deux repas. Il passe à un repas par jour de 4 litres à 2 mois et une semaine, puis diminue progressivement sur trois semaines. À 3 mois, les veaux sont sevrés et reçoivent un anticoccidien. Jusqu’à 2 ans, les génisses reçoivent le même aliment et le même foin à volonté. Les concentrés sont distribués deux fois par jour jusqu’à 6 mois. Le foin est démêlé et disposé devant les cornadis
« pas en montagne ». Il est repoussé deux à trois fois par jour pour stimuler l’ingestion.
« L’objectif est de faire de vraies acharnées de l’auge ! »
Faire vêler les vaches le moins souvent possible
La régularité est un autre principe cher à Quentin, à la fois dans la conduite au quotidien mais aussi à l’échelle de la carrière d’une vache.
« Le vêlage est toujours un moment critique pour un animal. En vêlant moins souvent, une laitière s’expose à moins de risques sanitaires, d’amaigrissement, etc. » C’est pourquoi Quentin privilégie des intervalles vêlage-vêlage longs (421 j). Il insémine lui-même.
« Si une vache est en chaleur le matin, j’attends le soir pour l’inséminer, et si j’en vois une le soir, elle est inséminée le lendemain matin. Je connais chaque vache par cœur, pour certaines je sais qu’il faut aller plus vite. » En cas de doute, il les fouille.
« Si le col est tonique et qu’il y a beaucoup de glaires, je sais que ça va aller. » Et pour connaître le délai minimal pour la première IA, l’éleveur a son truc à lui : il double le litrage obtenu au pic de la lactation précédente.
« Par exemple, si une vache a produit 60 litres au pic, je ne l’insémine pas avant 120 jours. »
Deux lots de vaches taries, même avec 40 vaches
Le tarissement marque un autre temps fort. En général, les laitières produisent un peu plus de 20 litres quand elles sont taries et rares sont celles à plus de 40 litres.
« Je coupe le DAC au dernier contrôle. Elles reçoivent systématiquement quatre tubes d’antibiotiques (pas de bouchons), un vermifuge et un bolus spécifique à la minéralisation des taries. Les quatre pattes sont parées si besoin. » Au début du tarissement, la ration se compose de 20 kg brut de la ration des laitières équilibrée à 36 kg (refus), plus du sel, de l’eau et du foin appétant à volonté (une première coupe récoltée fin mai à base de dactyle). Elles ont accès à un parcours de 1 hectare en saison. Elles passent en préparation vêlage les trois dernières semaines. Même avec peu d’animaux, Quentin tient à faire deux lots de taries et fait en sorte d’avoir toujours deux vaches ensemble en préparation au vêlage.
« En plus du foin à volonté, elles reçoivent 15 kg brut de maïs ensilage, 2 kg de tourteau de colza, 0,5 kg d’orge laminée et 30 g d’oxyde de magnésium pour aider à la délivrance. » À partir du troisième vêlage, Quentin distribue aussi 70 g de chlorure de magnésium pour les aider à mieux assimiler le calcium.
« Cela a vraiment limité les fièvres de lait », assure-t-il. Les plus vieilles bénéficient aussi de vitamine D3, 24 heures avant le vêlage, dans le même objectif.
« La lactation débute dès le premier jour du tarissement »
Chiffres clés
11 793 l/VL à 40,5 g de TB et 32,5 de TP
139 000 de moyenne cellulaire
15,5 kg de lait par jour de vie
3,2 de rang moyen de lactation
5 ans et 4 mois d’âge moyen
44 % de vaches à 3 lactations et plus
57 % de réussite à l’IA1
421 jours d’intervalle vêlage-vêlage
Les génisses qui vêlent jeunes assurent !
L’une des clés est de faire vêler tôt les génisses, Quentin en est convaincu. « Ce sont les génisses qui vêlent à 22 mois qui font les plus belles vaches derrière en termes de santé, de capacité d’ingestion et de production, considère-t-il. Nos laitières à plus de 100 000 kg ont toutes vêlé à 24 mois, pas au-delà. » L’âge de vêlage moyen du troupeau est de 25 mois. La croissance est suivie au ruban et à la toise. Elle s’élève à 950 g tous les deux mois. L’éleveur insémine lui-même à partir de 14-15 mois. Si une génisse est vue en chaleur le matin, elle est inséminée le matin même. Le suivi repro est réalisé par échographie ; le vétérinaire passe deux fois par mois. « Nous élevons toutes nos génisses, mais nos objectifs impliquent une politique de renouvellement draconienne, reconnaît Quentin. Il faut des jeunes vraiment excellentes pour qu’on les garde ! »
Les trucs de Quentin pour favoriser la longévité
1 Viser la régularité avant tout. Cela commence par leur assurer une ingestion régulière, à tout moment de la journée ; la ration est repoussée trois fois par jour. Elles ont l’auge vide juste 15 min/j, le temps de ramasser les refus et de distribuer le bol. Le fait de les faire vêler moins souvent et de faire durer les lactations limite le nombre de transitions. « Au quotidien, je respecte des horaires très régulières pour la traite, l’alimentation, la sortie au pâturage, etc., et j’essaie de les perturber le moins possible dans leur cycle journalier. »
2 Miser sur le préventif. « Je préfère tout faire pour veiller à une immunité forte plutôt que gérer des problèmes de santé. Il faut avoir un œil attentif sur chacune. » Les vaches reçoivent un bolus contre la cétose le jour vêlage. Celles qui font un gros veau sont drenchées avec 500 ml de propylène glycol et 50 l d'eau tiède. Le troupeau est vacciné contre la grippe. « Si une vache est patraque, je prends sa température, j’observe ses bouses. J’applique un anti-inflammatoire, et si elle a de la température, j’appelle le véto. En cas de doute, je mets un aimant. »
3 Favoriser le confort. « Avec 8,5 m2/VL, l’aire paillée est trop juste. Pour compenser, je retire le fumier toutes les semaines. Chaque jour, je retourne 170 bouses matin et soir manuellement (40 min/j). »
4 Maintenir le pâturage du 15 mars au 10 juin (6 ha). « C’est une période difficile car ce n’est pas évident d’adapter les quantités à l’auge. Mais j’y tiens, c’est bon pour leur santé, leurs pattes, leur musculature, leur bien-être… »
Des fourrages et une ration de qualité
L’élevage dispose de trois silos à maïs et un d’herbe. Le maïs (irrigué) est coupé à 10 mm et haché net ; le grain est pulvérisé avec l’éclateur serré au maximum. Les première et deuxième coupes d’herbe sont ensilées. L’élevage recourt à une faucheuse à tapis (fauche à 8 cm minimum) qui ramène l’herbe en andains de 2 m. Le chantier est arrêté si le tassage ne suit pas assez vite.
Les vaches reçoivent une ration à l’américaine, coupée fine, sans fibre piquante. Et pourtant elles ruminent ! La ration mélangée, équilibrée à 36 kg de lait, comprend 28 kg de maïs ensilage (35 % MS), 21 kg d’ensilage d’herbe (34 % MS), 1 kg de foin, 4,5 kg de correcteur azoté, 2 kg d’orge laminée, 300 g de CMV, 100 g de carbonate de calcium, 50 g de sel. Au DAC, les primipares ont 2 kg de tourteau tanné et 1,5 kg d’orge ; les multipares 2,5 kg de tanné et 2 kg d’orge.
C’est dans une brouette que l’éleveur concocte la ration des taries. Une vache en préparation au vêlage doit ingérer 6 kg de foin par jour.
« Nourrir séparément les deux lots de taries prend 15 minutes par jour, mais ça vaut le coup ! L’effet est radical dès le premier vêlage : l’expulsion se fait en deux contractions et je n’ai plus de veaux mous ! »
L’abreuvoir basculant à 5 places est lavé tous les jours.
« La brosse, c’est l’ouvrier qui travaille le plus sur la ferme ! »