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Revenus 2023 : année à haut risque pour les céréaliers

En 2023, la capacité des exploitants à gérer le risque sera mise à rude épreuve. Les stratégies d’achat d’intrants et de vente de la production seront déterminantes concernant les revenus en grandes cultures.

Concernant les revenus 2023, plus le coût de production sera élevé, plus l'exploitation sera à risque de voir ses marges basculer dans le négatif.
Concernant les revenus 2023, plus le coût de production sera élevé, plus l'exploitation sera à risque de voir ses marges basculer dans le négatif.
© G. Omnès

Après plusieurs mois de hausse continue, les prix des céréales et des engrais ont amorcé une baisse depuis l’automne. Après l’affolement des marchés déclenché par la guerre en Ukraine, les opérateurs économiques se sont progressivement adaptés. « Le monde a eu peur de manquer de matières premières, mais on assiste à un changement de paradigme », constate Sylvain Jessionesse, cofondateur de Piloter sa ferme et agriculteur dans l’Aube. Les marchés ont peu à peu pris en compte le fait que la Russie et l’Ukraine étaient en guerre. « La reprise des flux commerciaux, notamment des céréales et des engrais, à partir de la mer Noire, a détendu l’atmosphère », constate l’expert qui rappelle « qu’une tonne sur six de céréales est échangée dans le monde, soit 480 millions de tonnes sur les 2,8 milliards de tonnes produites au total, et que les volumes russes et ukrainiens représentent 18 % de ces échanges ». La bulle a finalement pris fin autour de la fin septembre.

« Les marchés se sont rassurés », confirme Sébastien Poncelet, directeur développement d’Agritel. En parallèle, la Russie et l’Australie ont confirmé des récoltes de grains records. Concrètement, cela se traduit depuis l’automne par une baisse des cours des céréales. Le blé tendre rendu Rouen est passé de 348 à 286 euros la tonne (€/t) entre début novembre et fin janvier, indique Agritel. Bien que l’on reste sur des prix assez fermes, le risque est d’aboutir à un croisement fâcheux des courbes autrement appelé « l’effet de ciseau ».

Un risque de marges négatives

D’après les projections établies par Piloter sa ferme, les agriculteurs qui ont vendu une partie de leur récolte avant la baisse des prix ont été bien avisés. Selon un exemple basé sur un potentiel de production de 8 t/ha de blé et d’un seuil de commercialisation de 250 €/t pour la récolte 2023, les agriculteurs pouvaient vendre leur blé à 300 €/t au 1er novembre 2022 et réaliser une marge brute de 50 €/t. « Celui qui a engagé 30 % de sa récolte a déjà assuré 150 €/ha de revenu sur cette partie », avance Sylvain Jessionesse. A contrario, au 1er février 2023, le prix payé était en dessous de 250 €/t entraînant un résultat négatif à l’hectare pour l’agriculteur… « En l’espace de trois mois, la marge a fondu au soleil », résume-t-il.

Entre fin septembre 2022 et fin janvier 2023, le prix des engrais azotés est, lui, aussi reparti à la baisse, même s’il reste élevé comparativement à 2021 (avant la première hausse liée à la reprise postcovid). Le cours de l’urée (FOT ports France) est par exemple passé de 900 à 450 €/t sous l’effet, notamment, de la baisse du prix du gaz depuis l’automne 2022 ainsi que de celle de la consommation d’engrais. Cette baisse des prix est une nouvelle en demi-teinte pour les agriculteurs français qui ont payé au prix fort leur stock d’engrais pour la campagne 2023 pour une bonne partie des volumes. Sans compter qu’avec le contexte de guerre en Ukraine, « nous ne sommes pas à l’abri d’un retournement de tendance », considère Florence Nys, déléguée générale de l’Unifa (industrie de la fertilisation).

Les perspectives pour les revenus des agriculteurs en 2023 sont donc incertaines. En 2022, les stratégies d’achats d’intrants et de vente des céréales ont déjà eu un impact sur les marges dégagées avec des différences importantes entre exploitations. Dans la plupart des cas, le niveau des cours des céréales a permis de largement couvrir les charges. En 2023, la situation va rester très différente d’une exploitation à l’autre. Le risque de déficit pour certaines d'entre elles semble bien réel. « Ce que l’on connaît déjà en grande partie, ce sont les coûts de production », constate Sylvain Jessionesse.

Des coûts de production encore en hausse en 2023

Pour 2023, en fonction des choix de gestion réalisés par les agriculteurs, les outils de Piloter sa ferme situent les coûts de production moyens dans une fourchette allant de 230 à 270 €/t contre 170 à 200 €/t en 2022 en blé tendre. Les hausses concernent aussi bien l’ensemble des intrants (engrais, phytos, GNR) que le coût du matériel dont les prix ont explosé. Pour le GNR, le démarrage de l’embargo sur l’essence et le diesel russes pourrait aussi avoir des conséquences. « Cela dépendra dans quelle mesure l’embargo sera compensé par des importations d’autres régions », estime Sébastien Poncelet.

Même constat du côté d’Arvalis : avec un rendement moyen en blé tendre sur cinq ans de 8 t/ha, le coût de production complet pourrait s’établir entre 285 et 310 €/t en 2023, soit une hausse de 55 à 90 €/t par rapport à 2022. Pour aider les agriculteurs à s’y retrouver, l’institut technique a mis au point un outil gratuit téléchargeable intitulé ImpactCoutProduction pour « estimer pour une culture, l’augmentation d’un ou plusieurs postes de charge et son impact sur le coût de production et la marge ». « C’est important d’être à jour sur la connaissance de ses coûts de production », confirme pour sa part Sylvain Jessionesse.

L’évolution de la situation sur les marchés agricoles dépendra désormais en grande partie de la situation en Ukraine. On sait déjà que les semis d’automne sont en baisse de près de 40 % par rapport à la moyenne. Par ailleurs, les flux logistiques restent suspendus à la reconduction du corridor pour exporter depuis la mer Noire.

En Europe, il faudra scruter les signaux concernant la prochaine récolte car au-delà des prix de vente, les rendements obtenus seront bien sûr déterminants dans le niveau de revenu. « Il faudra à la fois des volumes significatifs et des cours qui se maintiennent », résume Sylvain Jessionesse. Il ajoute : « le contexte exige d’être dans une logique de pilotage de son exploitation. Il faut aussi avoir une bonne gestion de ses émotions ». Faire face aux différents risques va nécessiter un certain sang froid pour prendre les bonnes décisions.

Le seuil de commercialisation, un outil indispensable

« Le seuil de commercialisation est le prix minimum auquel l’agriculteur doit vendre sa récolte pour équilibrer son budget », explique Sylvain Jessionesse. Le budget comprend les dépenses d’approvisionnement (engrais, semences, phytos), de mécanisation (GNR, entretien, location…), de foncier et bâtiment (fermage, location et charges d’entretien), de main-d’œuvre (salaires et charges sociales des salariés ; rémunération du travail de l’agriculteur et les prélèvements obligatoires), les frais de fonctionnement (assurances, eau, électricité, compatibilité…), ainsi que le remboursement des annuités. Il faut ensuite déduire les aides de la PAC pour obtenir un chiffre qui correspond au besoin "en chiffre d’affaires", exprimé en euros par hectare, pour couvrir ces dépenses. Il faut ensuite ramener ces données en euros la tonne pour obtenir le seuil de commercialisation.

La parité euro/dollar et les fonds de pension jouent sur les cours

Difficile d’anticiper la tendance sur le marché des matières premières agricoles car les variations de prix ne dépendent pas seulement des fondamentaux. « Il y a d’autres facteurs à ne pas négliger », considère Sébastien Poncelet, d’Agritel. À commencer par le rôle de la parité euro/dollar qui explique en partie la tendance baissière sur le marché européen depuis cet automne. « Entre début novembre et fin janvier, le cours du blé tendre rendu Rouen en euros enregistre une baisse de 16,5 %, contre 8,5 % en dollar », illustre Sébastien Poncelet. En cause, le renchérissement du dollar face à l’euro : la parité s’établissait fin janvier à 1 € pour 1,09 $, contre moins de 1 $ en septembre-octobre. L’analyste met également en avant l’influence des fonds de pension américains sur les contrats à terme de Chicago et Euronext. « Lorsqu’ils exercent une forte pression vendeuse comme on l’a observé dernièrement, cela pèse sur les cours », note-t-il. Cela ne peut durer qu’un temps car il s’agit de vente à découvert (short sale), les fonds finiront donc tôt ou tard par racheter leurs actifs.

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