Matériel agricole : neuf ou occasion, comment bien raisonner son investissement ?
Face à l’explosion des coûts de mécanisation et à des trésoreries en souffrance, choisir d’investir dans du matériel impose de faire les bons calculs pour décider d’acheter neuf ou d’occasion et maîtriser ses charges.
Face à l’explosion des coûts de mécanisation et à des trésoreries en souffrance, choisir d’investir dans du matériel impose de faire les bons calculs pour décider d’acheter neuf ou d’occasion et maîtriser ses charges.
![Agriculteurs devant un tracteur.](https://medias.reussir.fr/grandes-cultures/styles/normal_size/azblob/2025-02/g_coisel.jpg.webp?itok=0QDAgH1x)
Après une campagne 2024 difficile qui impose de regarder tous les budgets à la loupe, faire le choix d’investir dans un nouveau matériel nécessite calculs et réflexions. Acheter un tracteur ou un semoir est un investissement considérable, qui conditionne de plus, la qualité des travaux aux champs, le débit de chantier et le confort de travail. Dans ce contexte compliqué se pose la question du neuf ou de l’occasion. Pour Richard Wylleman, conseiller d’entreprise en agroéquipements à la chambre d’agriculture de l’Yonne, « la rentabilité d’un matériel dépend de son prix d’achat et de la quantité de travail qui lui est demandé. Il faut se poser deux questions : quel est mon besoin en fonction de la surface à travailler et de la main-d’œuvre dont je dispose, et en fonction de cela, quelle quantité d’argent je dois mettre dans mon matériel pour être compétitif ».
Raisonner son achat de matériel en anticipant son degré de saturation
Julien Hérault, gérant de l’entreprise Conseils agroéquipements, aide les agriculteurs à estimer le niveau de capital minimum à investir sans pénaliser la performance des chantiers. Pour cela, il s’attache à calculer le coût de détention du matériel, en utilisant l’approche TCO (total cost of ownership ou coût total de possession). « Cela permet de cumuler les charges financières d’un achat de matériel avec les charges d’entretien et consommables, et de faire le choix du neuf ou de l’occasion. » Pour abaisser le coût de détention, l’expert évoque un premier levier qui est celui de la saturation annuelle : « un tracteur qui tourne 1 000 heures par an (h/an) est plus économique en charges fixes à l’heure que s’il en fait 500 ». Un second levier est celui de la saturation en durée, ce qui veut dire garder son matériel longtemps et ainsi réduire les charges fixes de financement.
Le troisième levier est celui de la saturation de la charge moteur, liée à la consommation de carburant et à la puissance énergétique. Julien Hérault révèle que les agriculteurs utilisent peu ce levier. « La saturation moyenne d’un tracteur en France est de 50 %. Pour un 200 ch, seuls 100 ch sont utilisés en moyenne dans l’année car des tâches comme épandre de l’engrais ne nécessitent que 50 ch. » Pour réduire le coût de détention, il faut augmenter la charge mécanique avec une plus grande largeur d’outils par exemple. « Une consommation inférieure à 0,11 l/ch/heure signifie qu’un tracteur est trop puissant comparé aux besoins et aux outils utilisés. » Pour réduire le coût de détention d’un tracteur acheté neuf qui est sous-utilisé, une des solutions est donc de le conserver plus longtemps ou de le louer.
Ne pas négliger les frais d’entretien
L’occasion, comme le neuf, impose une vigilance particulière sur le poste entretien et réparation. « Les agriculteurs s’en tiennent souvent à calculer le montant des annuités de remboursement bancaire et du carburant pour estimer la charge de mécanisation, explique Julien Hérault. Ils ne tiennent pas assez compte des frais d’entretien et du temps qu’ils y passent. Pour une moissonneuse-batteuse, il faut compter 0,8 heure d’entretien par heure de conduite. Au total, cela peut représenter un coût de 15 à 30 euros par hectare auquel s’ajoutent 70 heures d’entretien hivernal fait par l’agriculteur. » Autre point de vigilance, la traction : « Pour un tracteur d’occasion de plus de 200 ch et à 5 000 heures, il faut compter 6 à 7 euros par heure de frais d’entretien. » Autre budget sous-estimé par les agriculteurs, l’usure des pneus qui est environ de 1 euro par heure de conduite pour 100 ch.
Ramener le coût de la machine au produit dégagé
Pour Richard Wylleman, les choix d’investissements, et les charges qui en découlent, se raisonnent aussi au regard du produit dégagé par l’exploitation. Le coût financier d’un achat de matériel n’aura pas le même poids selon le potentiel de rendement des terres. « On pourra se permettre d’avoir des charges de mécanisation plus élevées sur des productions à forte valeur ajoutée. » Il conseille de calculer le ratio « charges de mécanisation/produit brut + aides », qui donne l’efficacité de la mécanisation. « Si le ratio est à 30-35 %, la mécanisation est plutôt efficace ; à 50 %, elle ne l’est pas. » Le choix d’un achat entre le neuf et l’occasion se raisonne aussi en intégrant le coût total du chantier. « Une machine plus chère mais plus performante et optimisée peut faire gagner des heures de traction, libérer de la main-d’œuvre, réduire la consommation de carburant et ainsi diminuer le coût du chantier. »
Accepter une prise de risque plus importante en achetant un matériel d’occasion
Faire le choix de l’occasion, c’est un prix inférieur, une dépréciation moins rapide et un matériel qui a déjà fait ses preuves. La principale faiblesse est l’usure qui impacte la fiabilité du matériel dans le temps. Il est aussi parfois difficile de connaître les conditions dans lesquelles il a été utilisé et si l’entretien a été réalisé dans les règles de l’art. Ainsi, Julien Hérault, rappelle que faire le choix de l’occasion impose d’avoir en tête le risque d’immobilisation, synonyme « de pertes économiques importantes si un tracteur de tête ou un matériel très spécifique tombe en panne, et qu’une tâche majeure ne peut être réalisée ». Le risque est plus grand si ce matériel est d’occasion, et il est plus délicat de le faire durer.
Avec l’occasion, Julien Hérault évoque aussi le risque de se priver des dernières innovations technologiques. « Sur certains semoirs ou sur les pulvérisateurs automoteurs, le besoin d’évolution technologique est important. Ce sera moins vrai pour des outils de travail du sol ou pour un tracteur car il peut s’équiper facilement en innovations. » Ainsi, la présence de cultures spécialisées nécessitant du matériel très spécifique, ou le choix d’une conduite reposant sur l’utilisation de technologies récentes, dicte aussi les stratégies d’achats.