« La hausse des coûts de mécanisation n’est pas qu’une histoire de prix du matériel »
Suite au webinaire « le matériel agricole est-il trop cher ? » (Toujours disponible en replay) auquel il n’a pas pu participer, Pierre Prim, Président du Sedima, nous fait part de ses commentaires et de son analyse en répondant à nos questions.
Suite au webinaire « le matériel agricole est-il trop cher ? » (Toujours disponible en replay) auquel il n’a pas pu participer, Pierre Prim, Président du Sedima, nous fait part de ses commentaires et de son analyse en répondant à nos questions.
Un certain nombre de constats de hausse des prix des matériels et les principales causes de cette évolution ont été abordés durant le webinaire. Voyez-vous des points à ajouter ?
Parmi les points relevés par le Sedima, je souhaite revenir sur les aspects de concurrence. Il y a certes un haut niveau de concentration au niveau des constructeurs majeurs de machines agricoles, qui rend le marché de plus en plus proche de l’oligopole, ce qui n’est pas très favorable au maintien de la compétition et de prix compétitifs aux clients finaux. En revanche, côté distributeurs, rien qu’en France, il y a plus de 1 500 entreprises en présence sur ce marché, preuve d’une forte concurrence entre tous ces opérateurs, notamment à l’heure où les prix des pièces, des machines d’occasion et parfois des matériels neufs sont transparents sur internet.
Les agriculteurs ont-ils des marges de manœuvres pour limiter la hausse de leurs charges de mécanisation ?
Le niveau des charges de mécanisation ne peut pas être raisonné sans prendre en compte les contraintes spécifiques à chaque structure. Une des tendances de fond est que la mécanisation augmente quand la main-d’œuvre diminue. Pour une exploitation ou une ETA, la pénurie de chauffeurs conduit de plus en plus souvent les clients à changer plusieurs anciennes machines pour une plus grosse. Autre facteur souvent négligé, la productivité des machines dépend du parcellaire.
À titre d'exemple, une moissonneuse-batteuse John Deere S770, affichée à 350 000 euros, peut gérer en une campagne environ 600/700 ha dans les Pyrénées-Atlantiques où les parcelles font de 1 à 10 ha en moyenne, alors qu’elle fera 1 100/1 200 ha dans le Gers où les parcelles font 10 à 20 ha. Et pour pousser plus loin la comparaison, cette même machine sera capable de faire 1 500/1 600 ha sur une campagne en Ukraine…
Vous pointez là un problème de distorsion de concurrence qui aurait une répercussion sur les coûts de mécanisation ?
Un constructeur mondial ne conçoit pas une machine pour les "jardins" français et une autre pour les grandes étendues de Russie ou d'Ukraine. Il construit une seule machine pour tout le monde et en plus avec un moteur moins cher pour les pays, dont la législation est moins stricte sur les émissions polluantes. Or, les productions agricoles des différents pays se retrouvent toutes sur le marché mondial. La société et ses gouvernants font des choix sur le plan social et environnemental qui sont à respecter. Il faut simplement avoir conscience que cela crée des barrières à la compétitivité, sans qu’il n’y ait aujourd’hui de contrepartie pour réguler la concurrence avec les acteurs extérieurs.
Voyez-vous d’autres contraintes qui poussent les agriculteurs à parfois surinvestir ?
En grandes cultures, la recherche d’un optimum de qualité des récoltes, guidée par des cahiers des charges exigeants et par l’importance accrue des primes à la qualité de la part des organismes stockeurs, pousse les agriculteurs à réduire leurs fenêtres de travaux pour limiter le risque climatique. On est passé d’un mois de récolte de blé voilà 50 ans, pour 10 jours aujourd'hui. La conséquence, ce sont des machines plus grosses et plus onéreuses pour travailler plus vite. Les contraintes de réduction des amplitudes horaires d'accueil aux silos pour livrer la récolte jouent également en faveur d’une augmentation du débit de chantier des machines, mais aussi d’une surenchère des capacités logistiques (bennes plus grandes, camions, caisses…).
D’autres biais peuvent être identifiés, notamment ceux liés à l’évolution de la politique agricole. L’allongement des assolements impose des ilots de cultures plus réduits, limitant la productivité des machines. Cela nécessite pour certaines exploitations d’investir dans de nouveaux matériels parfois difficiles à rentabiliser. La mise en place des ZNT s’accompagne de nouveaux investissements dans des broyeurs, épareuses… La politique de remembrement est au point mort, alors qu’aujourd’hui elle pourrait être un formidable outil pour conjuguer la productivité machine des parcellaires et un aménagement paysager respectueux de l’environnement.
Dans la même veine, l’objectif de réduction des herbicides génère de nouveaux achats de matériels, comme les outils de désherbage mécanique, qui entraînent au passage une hausse des consommations de carburant et plus d’usure machine, donc plus de coûts de mécanisation. Autre exemple, la limitation des périodes d’épandage des effluents d’élevage, qui s’ajoute aux critères météo, réduit les fenêtres d’intervention et pousse à investir dans des machines plus productives.
Les aspects fiscaux ont été rapidement évoqués durant le webinaire, avez-vous des remarques à ce sujet ?
Si les coûts de mécanisation sont souvent abordés sous l’angle des charges d’amortissement, des frais de réparation et d’entretien, il est rarement tenu compte de l’aspect du montant des reprises, qui passent souvent en catégorie comptable « exceptionnel », du fait qu’il s’agit d’une vente d’immobilisation. Le gain fiscal dû à l’exonération des plus-values sur les reventes de matériels n’est pas non plus comptabilisé. Au-delà des aspects fiscaux, certaines technologies sont certes coûteuses, mais ont un impact direct sur la baisse des intrants au quintal produit. Le coût de mécanisation ne peut donc plus se regarder seul, mais également à la lumière des économies d’intrants qu’il permet.
Qu’envisagez-vous pour l’avenir ?
La gestion "plante par plante" sera rendue possible très rapidement par les nouvelles technologies et la robotique. Les charges de mécanisation risquent d'augmenter sur le bilan d'une exploitation, mais les perspectives en termes de gains de productivité par UTH et de réduction des intrants sont très encourageantes. Donc une fois de plus, le coût de mécanisation ne s’apprécie pas seulement sous l’angle du poste comptable.
Ces nouvelles technologies seront à encourager en prenant garde à la dépendance au serveur hébergeant l'intelligence artificielle qui pilotera la machine à distance... En effet, les géants du Net comme Google et Microsoft se lancent sur le créneau. Le risque pour l’agriculteur est de perdre la maîtrise des données et des décisions et il pourrait bien avoir du mal à faire valoir son travail et son expertise. Au-delà, le risque de survie pèse sur toute la société, à partir du moment où un seul opérateur privé ou un groupe de hackers, ayant la maîtrise du serveur, donc des machines, serait en capacité de couper à tout moment le fonctionnement de celles-ci, donc d’empêcher la production agricole et à terme de priver un pays de nourriture.