Le renouvellement variétal répond à l'appétit du soja français
Les semenciers sélectionnent des variétés de soja adaptées au développement de la culture vers le nord de la France et de l'Europe, ainsi qu'à la recherche de caractères qualitatifs pour les débouchés rémunérateurs de l’alimentation humaine…
Les semenciers sélectionnent des variétés de soja adaptées au développement de la culture vers le nord de la France et de l'Europe, ainsi qu'à la recherche de caractères qualitatifs pour les débouchés rémunérateurs de l’alimentation humaine…
Le soja poursuit sa progression en France, 163 000 hectares en 2019. Selon Terres Inovia et les obtenteurs, il n’y a pas de raison que cela ne continue pas en 2020, notamment avec des terres disponibles suite à des semis de cultures d’hiver qui n’ont pas été possibles dans certains secteurs. La progression en surface s’accompagne d’un accroissement de l’offre variétale.
« Avec une augmentation depuis 2015, nous arrivons à une moyenne de cinq nouvelles variétés inscrites sur le Catalogue français chaque année, comptabilise Nicolas Augis, secrétaire technique tournesol et soja au Geves. Nous en avons douze en dépôt en première année d’inscription actuellement. » De nombreuses autres variétés sont commercialisées en France en arrivant via des inscriptions dans d’autres pays européens. Plus de cinquante variétés proposées actuellement en France ont été testées par Terres Inovia.
Le nombre d’inscriptions variétales augmente. Pourtant, il n’existe que deux semenciers sélectionnant des variétés de soja en France, Euralis Semences et RAGT Semences, à côté d’autres semenciers français ou européens proposant des variétés pour le marché français : Sem Partners, Rolly, Agri Obtentions, Saatbau, Caussade… « Nous avons multiplié par deux notre investissement recherche en soja en deux ans pour le passer à 800 000 euros sur les 20 millions d’euros de notre budget recherche (maïs, tournesol, colza, sorgho) », affirme Patrice Jeanson, responsable de la recherche soja chez Euralis Semences.
Des variétés précoces pour la France et les autres pays d’Europe centrale et de l’Est
Chez RAGT Semences, le soja est toujours resté une espèce stratégique, même quand la culture ne représentait que 30 000 hectares en France. Son portefeuille compte une vingtaine de variétés. « Depuis 2005, nous avons multiplié par trois les essais mesurant les comportements de variétés de soja », précise Hugues Badin et Cyrille Galien, spécialistes de l’espèce soja chez RAGT Semences.
Outre son augmentation en hectares, le soja gagne de nouvelles terres vers le nord. L’offre variétale répond-elle bien à cette extension de culture ? Pour ces régions, il faut des sojas à cycle plutôt court, précoces à très précoces représentés dans les groupes de précocité 00 et 000. « Les ventes de ce type de variétés augmentent », relève Céline Motard, Terres Inovia. Ces sojas représentent les trois quarts des variétés listées par Terres Inovia.
« On met le paquet sur les variétés 000 car il y a une forte demande en France, souligne Alain Baqué, responsable marché et produits chez Euralis Semences. Quant aux variétés 00, il s’agit du cœur du marché dans l’Hexagone. » Pour chacune des catégories, Euralis a mis à l’essai en France quatre variétés qui arriveront en 2021 outre les nouveautés présentées pour les prochains semis.
Les sélectionneurs européens travaillent en priorité à l’obtention de ce type variétal qui intéresse les productions des pays d’Europe centrale, du Nord et de l’Est. Des variétés encore plus précoces que les 000 arrivent également en France (voir encadré).
Une gamme de variétés à haute teneur en protéine
L’augmentation de marché pour cette espèce concerne de nombreux pays européens, Russie incluse. « Nous obtenons des variétés pour tous ces marchés sur lesquels les précocités 00 et 000 représentent 60 à 70 % des utilisations. Nous avons mis en place en Allemagne, près de Munich, une pépinière de sélection de soja pour rayonner sur l’Europe centrale et du Nord avec des variétés précoces, informe Patrice Jeanson. En Russie, nous préparons l’installation d’une station de recherche pour 2022, pour l’obtention de variétés très précoces. » En Russie et Ukraine, le soja dépasse le million d’hectares en surface.
Les efforts des sélectionneurs portent classiquement sur l’amélioration du rendement du soja mais aussi sur la teneur en protéines. « Depuis 2015, ce caractère est pris en compte dans la cotation finale de la variété, avec des bonifications quand le taux de protéine est supérieur à celui des témoins, explique Nicolas Augis. Même si une inscription se montre légèrement inférieure aux témoins en rendement, elle pourra être rattrapée par un taux de protéine élevé pour être inscrite au Catalogue officiel au final. Cela a été le cas récemment pour une variété proche des 110 % des témoins en protéine mais limite en rendement. »
Cette teneur en protéine intéresse plus particulièrement des éleveurs qui produisent du soja en autoconsommation et aussi toute une gamme de débouchés pour l’alimentation humaine. Or, ces débouchés sont liés le plus souvent à des contrats de production à haute valeur ajoutée avec pour justifier une garantie de traçabilité, une forte incitation à utiliser des semences certifiées. Ceci intéresse au premier chef les sélectionneurs. « Le food [alimentation humaine] représente 15-20 % du marché soja en France et il se développe, notamment avec la mode de la consommation vegan, en recherche de protéines végétales, explique Patrice Jeanson. En outre, le soja est très utilisé en agriculture biologique avec une valorisation dans le food plutôt. Jusqu’à présent, ce marché était alimenté par des variétés étrangères, canadiennes surtout. Mais nous sommes en phase de développement de ces variétés food en France, y compris dans les variétés très précoces. »
Euralis Semences met en avant une gamme de variétés de soja dites HiPro, à très haute teneur en protéine, « avec + 3 points au minimum qu’une variété classique, précise Alain Baqué. Certaines de ces variétés sont à + 6 points tout en gardant un rendement aux alentours de 100 % des témoins. » La teneur en protéine est en effet souvent corrélée négativement au rendement.
Des sojas plus « goûteux » et plus présentables
« Avec les outils de sélection assistée par marqueurs, nous travaillons à réduire les teneurs de certains exhausteurs de goût (hypoxygénases, saponines…) dans la graine pour la rendre plus compatible à la consommation humaine, ajoute Patrice Jeanson. De même, on recherche des variétés à faible teneur en facteurs antitrypsiques, ce qui intéresse aussi bien l’alimentation animale que l’industrie. » Sur la graine, la couleur claire du hile sera un caractère favorable pour le débouché industriel, par exemple pour la production de lait de soja. Nombre de variétés précoces à très précoces présentent ce caractère, beaucoup moins dans les variétés tardives adaptées au sud de la France.
Chez RAGT Semences, la sélection s’opère également sur le rendement et la teneur en protéine. Mais la société met en avant la sélection pour des caractères tels que la hauteur de première gousse ou la tolérance au sclérotinia. « Le caractère de hauteur de première gousse est important notamment dans les situations de culture en sec du soja, souligne Cyrille Galien, RAGT Semences. Quant à la tolérance au sclérotinia, cela intéresse plus particulièrement les variétés pour le sud-ouest de la France, avec un cycle plus long de végétation et culture en irrigué qui peut être propice à la maladie. » En outre, dans cette région, le sclérotinia est favorisé par d’autres cultures dans la rotation touchées par ce pathogène comme le tournesol et le colza. La sensibilité à ce pathogène est mise en exergue par Terres Inovia pour les variétés des groupes de précocité 0, I et II intéressant le Sud-Ouest qui est encore le bastion du soja en France.
À chaque région sa précocité optimale
Répartition par région des groupes de précocités conseillés pour un soja en culture principale
Pour le nord et le nord-est de la France, des variétés des groupes de précocité 000 à 00 (très précoces à précoces) sont obligatoires selon Terres Inovia. Des variétés plus tardives entraîneraient un risque de difficulté de récolte, des frais de séchage élevés et des maladies de fin de cycle. Selon les régions, les semis se feront de fin avril à début mai.
Pour les régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et le Sud-Est, les semis peuvent démarrer dès le 10 avril dans certains secteurs, en utilisant des variétés plus tardives des groupes I à II, au potentiel de rendement plus élevé.
Des variétés très très précoces frappent à la porte
On n’arrête pas la précocité chez le soja. Au-delà des variétés très précoces du groupe 000, des obtentions dites très très précoces (TTP) sont également commercialisées. Elles ne sont pas inscrites dans le Catalogue français mais arrivent via le Catalogue européen. « Il en existe plus d’une dizaine en France, informe Céline Motard, Terres Inovia. Elles font gagner de quatre à huit jours en précocité par rapport au soja Sirélia, de début de gamme des 000. Elles sont donc adaptées à la culture pour le nord de la France et pourront intéresser des régions en bordure maritime : Bretagne, Normandie et Hauts-de-France. » Terres Inovia va mettre en place en 2020 un réseau d’essais pour évaluer ces variétés TTP, comme cela existe déjà pour les sojas des groupes de précocité 000 à II.
Semences certifiées en berne
Les pays d’Europe centrale et de l’Est avec en particulier l’Ukraine et la Russie sont des producteurs importants de soja. Gros souci pour les sélectionneurs : la grande majorité des semences utilisées sont des graines de ferme. Les semences certifiées représentent moins d’un quart des graines semées dans des pays comme l’Ukraine, la Russie, la Roumanie… Le retour sur investissement est difficile. Même en France, le taux de semences certifiées peut être très faible, notamment dans le Sud-Ouest, « entre 15 et 25 %, le plus bas d’Europe » selon Alain Baqué, Euralis Semences. Le taux d’utilisation de semences certifiées est nettement plus important en Allemagne, Autriche, Pologne et Hongrie.
Du soja « edamame » de l’inscription variétale à l’assiette
« À partir de cette année, nous créons une catégorie spéciale des variétés de soja edamame [prononcer édamamé]. Nous avons déjà trois variétés déposées à l’inscription qui pourront être inscrites en 2022 au Catalogue officiel français si la section CTPS en décide ainsi après les résultats de tests qui auront été obtenus, annonce Nicolas Augis, Geves. Il y a une demande de plus en plus importante de ce type de soja en France. » Destiné à l’alimentation humaine, le soja edamame est traditionnellement consommé en Extrême-Orient, au Japon notamment, sous la forme de ses jeunes gousses provenant de variétés qui ont perdu le goût amer du soja classique. Il devient à la mode en Occident et commence à gagner les tables françaises. Ce type de soja s’apparente à une culture légumière mais il entrera bien dans la catégorie des plantes de grandes cultures pour son inscription au Catalogue français.