Méthanisation à la ferme : « Nous jouons la synergie élevage-cultures pour une autonomie totale »
Associer élevage et grandes cultures dans un projet de méthanisation a de nombreux atouts, comme la combinaison entre les Cive, très méthanogènes, et les effluents d’élevage, aux bienfaits bactériologiques.
Associer élevage et grandes cultures dans un projet de méthanisation a de nombreux atouts, comme la combinaison entre les Cive, très méthanogènes, et les effluents d’élevage, aux bienfaits bactériologiques.
Dans le projet de méthanisation des familles Grapton et Lacombe, à Saint-Georges-de-Poisieux, dans le sud du Cher, la complémentarité entre grandes cultures et élevage n’a rien de théorique. Elle est au cœur de l’autonomie et de la maîtrise de l’outil de A à Z, deux principes qui conditionnent la conduite de l’unité injectant dans le réseau depuis le 26 octobre dernier.
« La méthanisation doit être au service de nos fermes et non l’inverse, explique Michel Lacombe. Il était impératif pour nous de pouvoir alimenter intégralement le méthaniseur avec les productions de nos exploitations, sans apport extérieur. » Dans cet objectif, les familles Grapton (Denis, le père, et Antoine, le fils) et Lacombe (le père, Michel et ses deux fils, Arthur et Anthony) jouent la synergie entre leurs cinq exploitations. « Ma ferme et celle de mon fils disposent d’un atelier allaitant, tandis que les Lacombe ont des systèmes purement céréaliers, précise Denis Grapton. Les grandes cultures apportent les Cive, à fort pouvoir méthanogène, tandis que l’élevage procure du fumier. Sa valeur méthanogène est faible, mais son rôle bactériologique est primordial dans le bon fonctionnement du méthaniseur. »
Un élément clé que confirme Mathieu Poirier, conseiller énergie-bâtiments à la chambre d’agriculture de l’Eure. « Les effluents d’élevage renouvellent la flore bactérienne en continu, sans qu’il y ait besoin d’apporter de produits additionnels, ce qui peut représenter une économie de 20 000 à 30 000 euros par an par rapport à un projet 100 % végétal, affirme l’expert. Ils ont également un pouvoir tampon qui évite les dysfonctionnements biologiques telles que la chute de pH. »
Outre la perte d’autonomie, introduire des effluents extérieurs ajouterait des contraintes réglementaires et ferait peser un risque d’intrusion de corps étrangers. « Le moindre caillou ou parpaing peut endommager le méthaniseur, souligne Antoine Grapton. Comme nous gérons les effluents nous-mêmes, nous sommes particulièrement vigilants pour éviter que cela arrive, tout comme nous veillons à alimenter l’unité avec du fumier jeune. »
Les cinq agriculteurs ont opté pour des Cive d’automne, la réussite des Cive d’été étant trop aléatoire. Les 14 000 tonnes de matière organique qui alimenteront annuellement le méthaniseur seront en grande partie composées d’un mélange à parts égales triticale-seigle-orge, complété par les menues pailles récupérées à la moisson.
Épandages facilités sur prairies
Autre gros atout de la présence d’élevage au sein du groupe : les prairies. « Cela ouvre une plus grande fenêtre d’épandage, dans des conditions bien plus aisées que sur cultures », précise Antoine Grapton. La valorisation des effluents par la méthanisation résout par ailleurs le problème de la mise aux normes des deux élevages, situés en zone vulnérable.
Non seulement la méthanisation doit permettre d’accroître la rentabilité des fermes mise à mal par les difficultés propres aux zones intermédiaires, mais elle apporte des solutions agronomiques. « Nous avions déjà abandonné la rotation colza-blé-orge qui allait dans le mur, en intégrant des cultures de printemps tels que les légumes secs, le millet et le sarrasin, mais les Cive sécurisent notre système en augmentant la part de ces cultures de printemps », assure Anthony Lacombe.
La rotation type est la suivante : blé suivi d’une Cive ensilée début mai, juste avant l’implantation d’une culture de printemps (millet, sarrasin…), avant de revenir sur un blé ou une orge semée à l’automne. Cette dernière laisse la possibilité d’emblaver un sorgho ou un tournesol fin juin. « Le gros intérêt d’un sorgho est de pouvoir attendre la pluie jusqu’à septembre, souligne Arthur Lacombe. On décide ensuite de l’ensiler ou non, selon son développement et l’état des sols. »
Le nouveau système est aussi source de satisfaction dans la gestion des adventices : l’ensilage des Cive au 15 mai permet de faucher les mauvaises herbes les plus handicapantes avant leur montée à graine. « Si une parcelle est sale après la culture de printemps, on installe une Cive, explique Michel Lacombe. À l’inverse, une parcelle sans souci peut ne pas recevoir de Cive pendant trois ans. » La valorisation des menues pailles par le méthaniseur a aussi conduit à l’achat d’un récupérateur, dont l’effet est jugé « spectaculaire » sur la propreté des parcelles.
Les deux familles travaillent en commun de longue date et pratiquaient l’échange paille-fumier. L’autonomie des cinq exploitations en termes de fertilisation ne fait que se renforcer avec la méthanisation. « Grâce au digestat, nous sommes autonomes en PK sur nos fermes, les achats se limitant à un peu d’azote et de soufre, se réjouit Denis Grapton. Nous avons évalué l’économie d’intrants à environ 95 000 euros à l’échelle des cinq exploitations. »
Pour l’heure, les cinq associés, qui détiennent tous une part égale du capital de la SAS portant le méthaniseur, prennent tour à tour une semaine d’astreinte pour veiller sur la bête de béton. « Avec un méthaniseur, il y a beaucoup de surveillance, c’est du 24 heures sur 24 comme sur un élevage. Pour un éleveur, c’est dans l’ordre des choses de se lever à minuit s’il y a besoin d’intervenir », sourit Denis Grapton.
« À l’usage, nous verrons s’il est pertinent d’organiser l’astreinte en fonction des pics de travail de chacun, lors des vêlages en hiver pour les éleveurs et pendant l’été à la moisson pour les fermes céréalières », explique Anthony Lacombe. Là encore, la combinaison cultures-élevage pourrait être un avantage.
De potentiels échanges Cive-fumier avec les éleveurs locaux
Le projet de méthanisation des familles Grapton et Lacombe n’a pas rencontré d’hostilité dans le voisinage. Seule inquiétude : celle remontée par certains éleveurs, qui craignaient que l’unité de méthanisation ne se transforme en aspirateur à ensilage sur le territoire, au détriment de leurs élevages.
Pour Denis Grapton, cette inquiétude est infondée. Le méthaniseur pourrait même avoir l’effet inverse, selon lui. « Le premier principe de notre organisation est d’être autonome en ensilage pour ne pas dépendre de l’extérieur, explique l’agriculteur. Cela va même se traduire par des volumes importants de Cive ensilées. Nous avons expliqué aux éleveurs du secteur que, les années difficiles pour le fourrage, nous leur ouvrirons le tas pour qu’ils puissent taper dedans. »
Les associés ont d’ores et déjà préparé un contrat type pour encadrer un tel accord. « La seule chose que l’on demande, précise Michel Lacombe, c’est de ne pas perdre de pouvoir méthanogène. Cela signifie que l’éleveur qui aurait consommé notre ensilage nous le rapporte sous la forme d’effluent. » Resterait toutefois à se mettre dans les clous de l’administration, car l’arrivée de fumiers d’origine extérieure imposerait un changement d’agrément sanitaire.
En chiffres
5 exploitations
872 ha au total, dont environ 600 hectares autour du méthaniseur
2 élevages allaitants
3 exploitations spécialisées en grandes cultures et production d’énergie
150 Nm3 de gaz par heure en injection
14 000 t de matières organiques consommées par an (12 500 t de Cive, 500 t de menues pailles, 1 000 t de fumiers bovins)