"L'agroforesterie est un investissement à long terme"
L'EARL Bordeau, en Mayenne, expérimente pour faire évoluer son système vers plus de cohérence avec son environnement.
L'EARL Bordeau, en Mayenne, expérimente pour faire évoluer son système vers plus de cohérence avec son environnement.
L’EARL Bordeau élève 55 vaches (normandes et 25% de croisées) à 6300 kg lait, sur 42 hectares de prairies longue durée, méteil (féverole, triticale, pois, trèfle) et maïs, en agriculture biologique. Elle a une deuxième activité : des haies valorisées en bois énergie et des alignements d'arbres dans 5 parcelles sur 12 hectares. Ce qui caractérise aussi Dominique et Béatrice Bordeau, c'est qu'ils n'hésitent pas à se lancer dans de nouvelles aventures.
Citons le développement des surfaces en herbe et du pâturage en 1990, les premières plantations de haies en 1991, l'activité bois déchiqueté, la conversion à l'agriculture bio en 2008, la fabrication de tourteau fermier gras de colza entre 2000 et 2008, la découverte de l'agroforesterie en 2010, le toastage des grains de méteil depuis cette année... "Nous n'avons pas innové dans le sens où ce ne sont pas des nouveautés, mais ces voies étaient en rupture avec un modèle dominant. Nous les avons considérées comme étant réalistes parce qu'elles apportent des solutions et qu'il y a moyen de les valoriser. Ce sont les astuces pour bien maîtriser ces orientations qui peuvent être considérées comme des innovations." À chaque aventure, l'EARL n'était pas seule. "Les nouvelles idées sont discutées en groupe. Certaines activités se sont développées grâce au collectif : Cuma composteuse, déchiqueteuse, presse à huile, camion frigorifique pour la vente directe de viande." Et pour déboucher sur des réussites, les éleveurs ont pris le temps de lire et de se former. Dominique Bordeau a pris aussi des responsabilités dans la Cuma locale départementale, à la chambre d'agriculture départementale et régionale forêt et bois, et à l'Afac (Association française arbre champêtre et agroforesterie).
Avec plus de pâturage, un besoin d'abris naturels
Quand Dominique et Béatrice arrivent en 1988 sur l'exploitation familiale, c'est un système classique avec une rotation maïs, RGI, blé, et peu d'herbe, essentiellement récoltée. Le remembrement avait eu lieu douze ans auparavant et il ne restait plus beaucoup de haies. "En 1990 et 1991, une sécheresse affecte le maïs, et à cette époque on commence à entendre parler de système herbager et pâturant, de la méthode Pochon. On s'y intéresse d'emblée, pour l'autonomie et le coût alimentaire, la charge de travail... Et nous ne concevions pas de laisser toute l'année les animaux en bâtiment."
"Mettre les vaches dehors c'est bien, à condition qu'elles ne subissent pas le soleil direct en été", estiment les éleveurs. Ils plantent alors en pourtour de parcelles des haies bocagères. C'est le début d'un système agro-forestier. "Mon autre motivation était paysagère. Et étant chasseur, l'aspect abri pour la faune était un plus." Mais que faire du bois ? C'était l'époque des premières chaudières à bois déchiqueté. "Nous nous sommes équipés pour la maison et le bâtiment des volailles que nous avions encore à l'époque. Les Cuma se sont équipées pour déchiqueter, permettant la valorisation d'un réseau de haies en Mayenne."
Des haies perpendiculaires à la pente
Puis, l'EARL divise des parcelles pour en faire des paddocks de 1,5 ha. En période de forte pousse de l'herbe, les vaches tournent tous les deux ou trois jours. Comme les paddocks entrent dans la rotation méteil, maïs, prairie, les haies ne sont pas connectées. "À cette occasion, nous avons disposé les lignes de talus et de haies perpendiculaires à la pente pour limiter l'érosion."
Il y a sept ans, Dominique Bordeau découvre l'agroforesterie avec des arbres isolés dans les parcelles. "L'objectif est d'augmenter la productivité de la parcelle, avec une production d'herbe, de biomasse dans l'espace entre les arbres, de bois, parfois de fruits, et d'humus dans le sol. Pour atteindre cet objectif, il ne faut pas juste planter. Il faut chercher une complémentarité entre l'arbre et la culture. On fait attention aux espèces plantées, à l'espacement entre les arbres. Là-dessus, on a de solides références maintenant." Il faut former l'arbre pour qu'il ne gêne pas les animaux et le matériel, et pour qu'il reste valorisable en bois d'œuvre. "On trouve des formations sur la taille des arbres."
L'arbre apporte du confort à la culture et aux animaux
Pour l'instant, l'éleveur ne voit pas d'impact des arbres intraparcellaires sur le rendement de l'herbe, la durée de pâturage, ou sur la production laitière et la reproduction. "C'est trop tôt. Les publications scientifiques disent qu'à partir de 15-20 ans, un arbre commence à avoir un impact significatif de 4°C d'amplitude thermique dans la parcelle. Le jour, il fait moins chaud de 2°C et la nuit il fait plus chaud de 2°C."
Dominique Bordeau teste plusieurs essences : noyer, merisier, orme de Lutèce, poirier sauvage, chêne chevelu, châtaignier... Il enregistre chaque année les croissances des différentes essences. Différents écartements de rangées sont testés : 18, 21 et 24 mètres. "L'écartement est défini en fonction de la largeur de l'outil le plus large. Il faut que la parcelle reste mécanisable." L'espace entre deux arbres est de 11 mètres.
Attention à la maîtrise des adventices
"Le labour n'est pas adapté à l'agroforesterie. Or, en agriculture biologique, maîtriser des adventices est très compliqué sur les parcelles cultivées en non labour. Le rumex notamment. Je surveille et je les cueille quand il commence à y en avoir. Si la densité de rumex est trop forte sur une culture de méteil, je l'ensile au lieu de le récolter en grain. Et j'implante une prairie ensuite : mélange de fétuque, dactyle, trèfle pour les parcelles de fauche ; RGA, TB, fétuque des prés pour les pâtures."
Quand il y a une culture, entre les arbres, la bande n'est pas cultivée. Dans les parcelles où il n'y a que des cultures, cette bande peut être valorisée avec des fraises, framboisiers... À l'EARL Bordeau, comme il y a des rotations avec prairies pâturées, "on laisse cet espace enherbé ; dans ce cas, l'idéal pour contrer les mauvaises herbes, c'est l'ortie."
La valorisation des arbres à long terme
"La difficulté en agriculture, ce n'est pas de produire, c'est de vendre !" Pour l'instant, l'EARL valorise ses haies en bois énergie. Elle a investi dans du matériel, du stockage et des parts sociales de Cuma, pour entretenir et récolter ses haies et réaliser des prestations extérieures.
Aujourd'hui, l'agroforesterie intraparcellaire ne rapporte rien. Dans quelques années, les noyers commenceront à donner des noix qui pourront être commercialisées. Dans une trentaine d'années, les arbres commenceront à pouvoir être valorisés en bois d'œuvre (50 à 80 €/m3 en fonction des marchés qui sont très fluctuants). "Les clients se déplacent pour un minimum de 20 arbres. On peut ne pas tout vendre en même temps et échelonner dans le temps, pour avoir des arbres de tailles différentes."
Par contre, ces arbres coûtent. "Il y a l’investissement, mais aussi le travail ! La plantation prend un quart d'heure par arbre, soit 7 à 12 heures/ha. La protection des troncs prend 10 heures/ha. La taille de formation 2 h/ha/an", indique Dominique Bordeau.
"Cette technique est réversible : c'est un avantage. On peut tout couper et recycler la biomasse", signale l'éleveur. Un des freins à l'introduction des arbres isolés, c'est qu'ils appartiennent au propriétaire foncier, contrairement aux haies que le fermier peut récolter. Il y a une aide à l'implantation, les arbres entrent dans les SIE et n'enlèvent pas de surface cultivable déclarée, mais il n'y a pas d'aide pour conforter les surfaces en agroforesterie.
Qu'apporte l'arbre ?
À la culture. "Quand il est suffisament grand, l'arbre apporte à la culture (herbe, céréales, maïs) une alternance d'ombre et de soleil. L'été, l'ombre de l'arbre climatise la parcelle", souligne Dominique Bordeau. L'arbre et les cultures ne se concurrenceraient pas pour l'eau, parce que les consommations d'eau ont lieu à des périodes différentes, et parce que l'arbre cherche l'eau plus en profondeur. Il a même un effet favorable sur la disponibilité en eau pour les cultures, par l'amélioration de la structure du sol. En cas de fortes pluies, le système racinaire de l'arbre améliore la pénétration de l'eau dans le sol, il retient l'eau et les éléments nutritifs. L'arbre et les arbustes contribuent aussi à l'enrichissement du sol en matière organique et minéraux.
Aux animaux. "J'observe que l'été, les bovins préfèrent se coucher à l'ombre d'un arbre isolé plutôt que le long d'une haie, car il y a l'effet rafraîchissant du vent. La matière organique est mieux répartie sur la parcelle, puisque les animaux ne sont pas tous concentrés sous le seul arbre de la parcelle."
Pour en savoir plus, www.agroforesterie.fr et https://afac-agroforesteries.frL'activité bois : 14% du chiffre d'affaires de l'EARL
Quantité d'arbres, arbustes : 8 400 mètres linéraires de haies sur 42 ha (200 ml/ha) et 600 arbres intraparcellaires sur 12 ha (50/ha)
Investissement en arbres : 2 à 10 euros l'arbre ou arbustre, en fonction de l'âge. Environ 400 €/ha pour les clôtures de protection des arbres isolés.
La marge : pour les arbres intraparcellaires, il n’y a que des coûts pour l’instant. Les haies dégagent 800 euros de chiffre d’affaires par 100 mètres linéaires, et une marge d'environ 500 €/100 ml.
S'appuyer sur le collectif
Se former, s'informer
S'autoriser à tout imaginer
La difficulté n'est pas de produire, c'est de vendre