Écotaxe poids lourds nationale
Une véritable usine à gaz
C’est moins le principe de la taxe elle-même, admis par la profession, que son dispositif de répercussion, jugé difficilement applicable en l’état, qui est aujourd’hui contesté par la coopération et le négoce agricoles.
«Nous suivons ce dossier depuis la discussion des premiers textes prévoyant sa création –à savoir la loi de finances pour 2009 et l’article 10 de la loi Grenelle I– et avons participé à de nombreuses actions pour alerter les pouvoirs publics sur la charge supplémentaire créée pour les entreprises », réagit Natacha Alaux, directrice juridique, fiscale et sociale de la Fédération du négoce agricole (FNA). La publication au Journal officiel du 6 mai 2012 du décret organisant l’application de la future Écotaxe poids lourds nationale (cf. encadré L’écotaxe poids lourds en 5 points) laisse les professionnels de la filière Grains perplexes, au vu de la complexité du principe de répercussion retenu (cf. encadré Les trois modalités) et des coûts administratifs qu’elle va engendrer. Sans parler de l’impact marketing auprès de leur clientèle, qui devra supporter in fine cette écoredevance. Ils s’interrogent également sur le réel bénéfice en terme de développement de transports durables qu’elle est sensée susciter.
Un surcoût du poste Transport conséquent
Le système de l’Écotaxe poids lourds nationale est plutôt clair sur son périmètre (15.000 kilomètres de routes), ses recettes attendues (1,2 milliard euros) et sa technologie (péage satellitaire). Il l’est beaucoup moins sur son montant qui devra être acquitté par le transporteur (grille tarifaire à paraître), ses coûts de mise en œuvre (équipement embarqué par camion) et de fonctionnement (dépenses administratives liées à sa répercussion sur le chargeur).
Concernant le montant de la taxe, les fédérations représentant la coopération et le négoce agricoles se sont livrées à de savants calculs, pour évaluer le montant potentiel de l’écoredevance à venir. « Sur la base du réseau taxable connu et avec un tarif moyen à 0,12 €/km (correspondant à une sorte de médiane des tarifs bas et hauts constatés selon les normes Euro des camions), il ressort pour les entreprises un surcoût moyen de 12 000 €/an pour le transport en compte propre, sans compter la répercussion qui sera opérée par les transporteurs publics quand le transport est externalisé », détaille la directrice juridique de la FNA. Et d’ajouter : « Dans certaines régions où le réseau taxé concerne des tronçons de route incontournables, nous avons pu constater un écart important de surcoût à la tonne transportée, allant de 0,50 à 4 €/t ! » Selon les premières estimations de Coop de France, qui prend comme base un tarif moyen à 0,15 €/km, l’Écotaxe s’élèverait à 30 centimes d’euros par tonne transportée. « Sachant que le coût initial du transport (amortissement du matériel, entretien, main d’œuvre et carburant) est de 6 euros la tonne, on a une augmentation du coût de transport de 5 % », précise Vincent Magdelaine, directeur de Coop de France Métiers du grain.
Au vu des montants conséquents que représente l’acquittement de l’Écotaxe, la FNA intervient auprès du ministère des Transports pour le sensibiliser sur la nécessité de scinder le traitement du transport pour compte d’autrui et du transport pour compte propre, qui ne relèvent pas de la même logique. « Nous sommes face à un dispositif d’Écotaxe qui va toucher de la même façon les sociétés, dont l’activité de transport est le cœur de métier, et les sociétés, comme les nôtres, dont le transport n’est que le prolongement de leur activité principale », argumente Natacha Alaux. Autrement-dit, les négociants souhaitent que leurs entreprises, qui « assurent la collecte ou la distribution locale pour leur propre compte » soient « identifiées comme ayant des spécificités ».
Une répercussion de la taxe sur le chargeur déroutante
Une distinction de traitement que l’État a déjà appliquée, dans le cadre de la répercussion de l’Écotaxe par les transporteurs sur les chargeurs. Les deux premières modalités, concernant le transport pour compte d’autrui et les transports de type messagerie, sont relativement simples d’application. Il n’en est pas de même pour les autres types de transport, dont dépendent les coopératives et les négociants qui possèdent leur propre flotte de poids lourds, pour lesquels l’organisation de la répercussion est renvoyée à l’entreprise. Ainsi, il revient au transporteur de se livrer à un calcul maison pour déterminer le ‘’pourcentage forfaitaire ‘’ qu’il appliquera à ses clients. Ce dernier sera établi en mettant en rapport le total des taxes à payer pendant l’exécution du transport et le chiffre d’affaires de cette même période, duquel le transporteur aura retiré les activités de groupage et de lot complet. Un tel dispositif devient extrêmement ardu pour les entreprises qui effectuent des tournées de livraisons optimisées, chaque jour différente, auprès d’une multitude de clients. Selon la Fédération des entreprises de transport et logistique de France (TLF), cette complexité prête « le flanc à des interprétations tronquées et subjectives » qui conduiront à des litiges entre transporteurs et chargeurs, qui exigeront « des explications et des justifications sur le taux retenu ». D’où le dépôt d’un recours en annulation du décret organisant la répercussion de l’Écotaxe par l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) et de la Confédération française du commerce interentreprises (CGI) auprès du Conseil d’État en juin dernier. Les deux associations estiment en effet qu’« il contrevient aux règles élémentaires de la concurrence que sont la liberté et la transparence des prix ».
La difficulté de mettre en œuvre cette répercussion engendrera des coûts administratifs importants pour les coopératives et les négociants, qui viendront s’ajouter aux dépenses d’équipement des camions à la charge des transporteurs. Un argument supplémentaire pour l’AUTF et la CGI qui justifie l’annulation du décret par « l’impact financier considérable qu’aura cette nouvelle taxe dans les organisations logistiques des industriels, négociants et distributeurs, au risque d’altérer (leur) compétitivité et d’amputer leur capacité d’investissement ».
Son impact marketing et commercial inquiète par ailleurs la FNA, qui se demande comment va être accueillie par ses clients la hausse de ses prix de vente, résultant du renchérissement des coûts de transport lié à l’Écotaxe. Pour la coopérative, cette charge supplémentaire doit également être couverte. « Je ne vois qu’une solution à ce problème, à savoir une augmentation de sa marge, déclare Jean-Claude Jamoneau, directeur du service ‘’Audit, conseil et formation en gestion et logistique’’ au sein de Coop de France. Pour éviter un déficit, la coopérative doit rentrer dans ses frais. »
Il semblerait que le gouvernement veuille faire machine arrière, puisqu'à l’issue du Conseil des ministres du 3 octobre 2012, le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, s’est prononcé pour une simplification du système de répercussion de l’Écotaxe poids lourd nationale, jugé complexe et difficilement applicable en l’état par les opérateurs. Elle se présenterait sous forme d’une taxe forfaitaire unique, qui pourrait être modulée selon les régions et le nombre de kilomètres écotaxés, d’après L’Officiel des Transporteurs. « L’objectif est de sortir ce texte au plus tard fin octobre, afin que les négociations commerciales se fassent dans de bonnes conditions », indique-t-on au ministère. L’Écotaxe, expérimentée en Alsace à partir de mars 2013 sur son axe Nord-Sud, doit entrer en vigueur « comme prévu à partir de juillet 2013 », a par ailleurs précisé le ministre.
Quid du développement durable ?
Les organismes stockeurs sont par ailleurs sceptiques quant aux conséquences réelles, sur le développement d’un transport durable, de cette Écotaxe poids lourds nationale. Cette redevance a été créée « afin d’inciter les opérateurs à reconsidérer leurs options de transport pour développer des solutions alternatives et multimodales (ferroviaire, fluvial…) et éviter le report de circulation des poids lourds du réseau autoroutier vers le réseau routier non concédé, indique Natacha Alaux. Or, les entreprises de négoce agricole qui assurent la collecte ou la distribution locale pour leur propre compte n’ont pas d’alternative à la route pour travailler car, sur de nombreux itinéraires, il n’existe aucune solution alternative au transport par camion. » Et Vincent Magdelaine de renchérir : « Ce n’est pas l’Écotaxe qui va nous pousser à chercher à développer d’autres modes de transport. » Livrer ou collecter de la marchandise dans des endroits qui ne sont embranchés ni sur le fer ni sur la voie d’eau impose le recours au transport routier. Aujourd’hui, les freins à la diversification des modes de transport ne sont pas d’ordre économique mais de faisabilité. « Pour utiliser une voie d’eau, il faut en avoir une à proximité et, qui plus est, de grand gabarit. Idem concernant le chemin de fer. Pour pouvoir l’utiliser, il faut posséder une ligne en état de fonctionnement », conclut le représentant de Coop de France.