Pourquoi les exportations de blé français sont-elles en berne ?
Petite récolte, qualité dégradée, faible demande, absence de certaines destinations… Tout se combine pour qualifier la campagne 2024-2025 de catastrophique. Le manque de visibilité sur la deuxième partie de l’exercice commercial n’est pas pour rassurer les opérateurs.
Petite récolte, qualité dégradée, faible demande, absence de certaines destinations… Tout se combine pour qualifier la campagne 2024-2025 de catastrophique. Le manque de visibilité sur la deuxième partie de l’exercice commercial n’est pas pour rassurer les opérateurs.
Les faibles rendements en blé tendre français cette année et sa qualité altérée, conjugués à la forte concurrence des pays du pourtour de la mer Noire ont pour conséquence de rendre la céréale hexagonale peu compétitive sur la scène internationale. Les objectifs d’exportations des silos portuaires sur les grands ports maritimes français pour la campagne de commercialisation 2024-2025 ont rarement été aussi bas.
Un disponible exportable en chute libre
« Depuis octobre 2023, les conditions climatiques difficiles font que la production française a perdu plus de 10 millions de tonnes de blé handicapant un disponible exportable en forte baisse. Les moissons ont été directement impactées par les pluies importantes. De ce fait, les rendements ne sont pas à la hauteur des attentes, ni même la qualité blé, qui a été altérée. Conjugué à une forte concurrence de pays de la mer Noire, cela a pour conséquence de rendre le blé français peu compétitif », résume Nord Céréales dans un communiqué en date du 8 novembre.
Exportations céréalières des principaux terminaux portuaires français | |||
En millions de tonnes | Sénalia | Nord Céréales | Sica Atlantique |
(port de Rouen) | (port de Dunkerque) | (port de La Rochelle) | |
Campagne 2024-2025* | 1 600 000 | 1 000 000 | 1 200 000 |
dont premier semestre** | 700 000-750 000 | n. p. | 550 000-600 000 |
Campagne 2023-2024 | 3 850 000 | 2 100 000 | 2 198 000 |
dont premier semestre | 1 666 000 | 780 000 | 960 000 |
Campagne 2022-2023 | 4 100 000 | 2 200 000 | 2 241 000 |
dont premier semestre | 2 429 000 | 1 466 000 | 1 345 000 |
*projection, **prévisions | |||
n. p. : non parvenu | |||
Source : Sénalia, Nord Céréales et Sica Atlantique, à fin novembre 2024. |
Dans ce contexte, le silo portuaire dunkerquois s’est vu contraint de diviser par deux (-52 %) son objectif d’exportations céréalières sur la campagne de commercialisation 2024-2025 (cf. tableau). La situation est identique sur le port de La Rochelle, où Sica Atlantique a abaissé de 45 % ses chargements potentiels de grains, et sur le port de Rouen, où ce chiffre monte à 58 % pour Sénalia !
Une première partie de campagne désespérément calme
La première partie de la campagne 2024-2025 s’est avéré historiquement calme, comme en témoigne Alain Charvillat, directeur Céréales Export de Sénalia, prestataire de services sur le Grand port maritime de Rouen. « Au 25 novembre, nous avons à peine passé la barre des 500 000 t de grains exportés sur la campagne 2024-2025. Et nous espérons péniblement atteindre les 700 000 t à 750 000 t au 31 décembre, contre 1,666 Mt chargées l’an dernier à la même date. » Mais rien n’est moins sûr : « Tout va dépendre de ce qui va se passer concernant des livraisons Matif [en lien avec la clôture de l’échéance décembre du contrat blé d’Euronext, Sénalia étant l’un des silos agréés] et de l’évolution de la demande à l’exportation en blé et en orge, essentiellement. »
La campagne de commercialisation actuelle est également difficile pour les collecteurs de grains.
La campagne de commercialisation actuelle est également difficile pour les collecteurs de grains. « A fin décembre 2023, 75 % du tonnage à l’export de notre coopérative agricole étaient déjà engagés alors que l’on est à seulement 25 % prévu à fin décembre 2024 », s’inquiète Patrick Aps, directeur général de NatUp, basée à côté de Rouen et collectant plus d’un million de tonnes de grains annuellement.
Une Algérie inscrite aux abonnés absents
« L’origine française a beaucoup de mal à se positionner sur le marché international, pour une question de prix par rapport à la demande », explique Alain Charvillat, directeur Céréales Export de Sénalia, prestataire de services sur le Grand port maritime de Rouen. Actuellement, mis à part deux bateaux sur la Thaïlande, la demande en marchandises françaises est essentiellement marocaine, avec quelques faibles volumes sur l’Afrique de l’Ouest et l’Algérie. « La principale destination pour cette campagne sera sûrement le Maroc, à moins d’un réveil de la demande chinoise, qui est actuellement absente », anticipe le dirigeant de Sénalia.
« La principale destination pour cette campagne pour Sénalia sera sûrement le Maroc, à moins d’un réveil de la demande chinoise, qui est actuellement absente », anticipe Alain Charvillat, son directeur Céréales Export.
Il faut dire que l’Algérie, historiquement un client privilégié de la France, refuse la marchandise hexagonale. Et Alain Charvillat d’expliquer : « Nous sommes dans un contexte diplomatique particulier. De plus, depuis la remontée des critères qualitatifs du cahier des charges algérien en blé il y a déjà plusieurs années, il nous est difficile, notamment cette année, d’atteindre les niveaux de poids spécifique (PS) et de taux de protéine demandés. Aujourd’hui, on va savoir alimenter des demandes en 76 kg/hl de PS et 11 % de protéines (76/11), là où il nous faudrait du 77-77,5 kg/hl de PS et 11,5 % de protéine. L’Algérie accepterait du 76/11 mais avec réfactions, ce qui vient encore peser sur la compétitivité de l’origine française ».
Une absence de visibilité sur la deuxième partie de la campagne commerciale
« Honnêtement, nous n’avons aucune perspective sur la seconde partie de campagne : l’activité se présente quand elle se présente et les disponibles exportables en cultures d’automne (maïs et tournesol) nous sont pour l’heure inconnus. Pour résumé, nous avançons dans une inconnue de misère, avec de faibles volumes et aucune visibilité en termes de demande à l’exportation », s’inquiète Vincent Poudevigne. Mais la situation géopolitique, entre la prochaine arrivée de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et la guerre en Ukraine, évolue rapidement, ce qui pourrait changer la donne.
Une offre diversifiée pour profiter des opportunités de marché
« A l’heure actuelle, nos silos ne sont pas saturés. Nous arrivons à tempérer les entrées, sans refuser de marchandise, avec pour objectif d’avoir un panel d’espèces suffisamment varié pour pouvoir répondre à la demande d’un potentiel navire… », indique Vincent Poudevigne, directeur général du groupe Sica Atlantique, prestataire de service basé sur le Grand port maritime de La Rochelle.
Le silo portuaire rochelais est en effet amené à servir des clients aux cahiers des charges très différentes. Sur la première partie de la campagne 2024-2025, ses principales destinations sont l’Afrique de l’Ouest (Côte-d’Ivoire, Sénégal), la Chine et l’Egypte, « sans oublier l’Union européenne qui représente 20 % du tonnage global à l’exportation contre 15 % en temps normal », précise le dirigeant de Sica Atlantique.
En plus d’une segmentation de son offre, le terminal portuaire peut réaliser tout type de chargement. « Nous réalisons des affaires en "top of", autrement-dit nous complétons les chargements de navires en provenance de Rouen, avec des cargaisons comprises entre 20 000 t et 30 000 t. Par ailleurs, nous chargeons de gros bateaux sur l’Afrique de l’Ouest (cales de 35 000 t à 40 000 t), sans oublier des panamax (avec des capacités de stockage entre 65 000 t et 85 000 t) à destination de la Chine », détaille Vincent Poudevigne.