OCDE : « les fondements d'une reprise ne sont pas en place »
Pour l'OCDE et plusieurs économistes, la faible croissance mondiale actuelle affecte la demande alimentaire, et pourrait se poursuivre encore quelques années. Certains projettent une nouvelle crise financière, si les acteurs politiques ne réagissent pas.
« Les prix des matières premières baissent, l'investissement baisse, les échanges baissent, les salaires ne progressent pas suffisamment vite, la demande dans les pays clés est décevante, l'inflation diminue et la croissance est en berne. Les fondements d'une reprise économique mondiale ne sont pas en place », a déploré Catherine L. Mann, chef économiste de l'OCDE le 18 février à Paris. En chiffres, la croissance mondiale est projetée à 3 % en 2016, en repli de 0,3 % par rapport aux estimations de novembre, et de 3,3 % pour 2017, là aussi en recul de 0,3 % par rapport à novembre. L'origine de ce constat guère reluisant est le manque d'investissements, freinant la demande, notamment en matières premières alimentaires. Pour voir un rebond sensible de ces dernières, « il faut une reprise de la croissance, qui passe par des politiques de relance de la demande ambitieuses et collectives des pays », alerte l'experte. “
Suite de la crise de 2008 ?
La progression des dettes des pays et une financiarisation des économies des États trop importantes sont des indicateurs inquiétants. De là à engendrer une nouvelle crise financière, qui plomberait encore un peu plus le bilan ? Catherine L. Mann écarte pour le moment cette éventualité. « Nous sommes dans une période d'incertitudes, avec une volatilité accrue des actions, des bourses… mais pas au point de 2008. (…) Les politiques monétaires accommodantes des banques centrales permettent de rendre les banques commerciales moins vulnérable. »
Pas de reprise avant 2025 si rien n'est fait par les politiques
Toutefois, d'autres experts sont plus pessimistes. Selon l'économiste du Cepii Michel Aglietta, la possible nouvelle crise financière est en réalité un « prolongement de celle de 2007, qui débuta aux États-Unis, se propagea en Europe en 2011-2012, pour enfin contaminer les pays émergents aujourd'hui ». La crise, engendrée par les dérives d'une sur-financiarisation de l'économie, empêcherait « toute reprise de croissance et d'inflation à l'horizon 2025, selon les anticipations des marchés obligataires ». Selon lui, les États-Unis sont en fin de cycle d'expansion de leur économie. « Depuis le XIXe siècle, on n'a jamais vu la phase d'expansion d'un cycle des affaires de l'économie américaine durer plus de huit ans. » Or ce cycle a débuté en 2008. Les marchés craignent donc un renversement de tendance en 2016 ou 2017.
Effet sur les matières premières ?
Certes, la crise de 2007-2008 n'avait eu que peu d'impact sur les prix alimentaires. Toutefois, les conditions climatiques étaient différentes. Ensuite, « au début de la crise, la Chine et les États-Unis avaient développé des plans de relance de plus de 700 Md$, afin de l'amortir. Cela a fonctionné et per-mis de stimuler, indirectement, la demande des produits agricoles. Aujourd'hui, il n'y a rien de cela. L'UE s'enferme dans sa politique d'austérité, la Chine est engagée dans un vaste redéploiement de son économie sur les services, ce qui déprime les prix mondiaux de toutes les matières premières », témoigne Michel Aglietta.
Joël Priolon, économiste et enseignant à AgroParisTech, n'est guère plus optimiste. « La période de doute actuelle peut déboucher sur une crise bancaire, à l'image de 2008 où, du jour au lendemain, des banques ont fait faillite les unes après les autres. » L'économiste évoque des indicateurs inquiétants. « Les banques centrales des pays (Japon, État-Unis…) détiennent actuellement des titres, des garanties de sociétés privées et d'états suspects, potentiellement toxiques », du fait de l'adoption d'une politique laxiste. En gros, les banques centrales ont demandé des garanties trop faibles aux protagonistes précédemment cités. Ensuite, la politique de relance de la demande entreprise, à l'aide de prêts à taux 0, a « habitué les ban-ques commerciales privées et les États à obtenir de l'argent gratuitement ». Le marché est en constante crainte que les banques centrales relèvent leurs taux, ce qui pourrait arriver, étant donné qu'elles pratiquent une politique accommodante depuis huit ans. Par ailleurs, « depuis une quinzaine d'années, chaque pays tente de réduire ses coûts de production et de vendre chez le voisin à bas prix (...) En cette période d'incertitudes, les cours des matières premières agricoles pourraient rester bas durant plusieurs années, peut-être trois ans », projette Joël Priolon.
Jean Cordier, professeur d'économie à Agrocampus Ouest, reste prudent sur l'évolution des prix des grandes cultures, dont la forte volatilité est alimentée de « facteurs endogènes et exogènes ». « Tout le monde s'accorde à dire que le pétrole devrait rester bas. Et s'il remontait subitement ? Les cours du blé grimperaient aussi sec. (...) Et, compte tenu de l'instabilité actuelle du monde, il est difficile de se montrer catégorique sur l'évolution à venir », estime le professeur.
L'OCDE recommande l'investissement dans des projets d'infrastructures pour relancer la demande mondiale. La transition énergétique et l'Afrique constituent des leviers, selon Michel Aglietta, économiste du Cepii. « Cela passe par l'investissement dans la transition énergétique en s'appuyant sur les acquis de la Cop21. Il faut également stimuler la demande dans les pays où les revenus sont bas, comme l'Afrique, où la propension à consommer est forte, notamment pour les produits agricoles, grâce à une solidarité internationale plus effective. »