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Export de céréales - La France bénéficiera-t-elle de la mauvaise moisson espagnole 2023 ?

La France devra faire face à divers défis pour répondre favorablement aux besoins espagnols en céréales. Les camions manquent et la concurrence s’avère féroce.

Le port de Tarragone a accru ses capacités de réception de grains ces dernières années, renforçant la concurrence entre les fournisseurs français et internationaux.
© Port de Tarragone

L’Espagne a engrangé sa pire récolte de céréales cette année depuis 50 ans (voir graphique). Cela va-t-il doper les exportations françaises de grains sur cette destination ? La réponse semble affirmative, tant l’Hexagone constitue un fournisseur de premier plan habituellement. Toutefois, les exportateurs doivent se méfier : des défis seront à relever pour profiter pleinement des opportunités sur la péninsule ibérique. Les opérateurs hexagonaux sont pour le moment optimistes.

Lors du conseil spécialisé grandes cultures de FranceAgriMer du 12 juillet 2023, ils ont estimé que 1,5 à 1,6 million de tonnes (Mt) de blé tendre pourraient être expédiées en Espagne en 2023-2024, contre 1,3 Mt en moyenne au cours des cinq dernières années. En orge, ce sont plus de 1 Mt potentiellement exportables, contre 230000 tonnes en moyenne sur 2017-2022. Toutes espèces confondues, entre 4 et 5 Mt de céréales françaises (maïs inclus) y seraient expédiées, contre 2,5-3,5 Mt sur 2017-2022. Néanmoins, « depuis quelques années, la France fait face à deux défis : l’émergence de la concurrence de la mer Noire et les problèmes logistiques », résume Philippe Heusèle, président du comité relations internationales d’Intercéréales.

L’Espagne : « un marché de prix »

Avant la guerre, l’Ukraine était en plein développement de ses capacités d’exportation. « Celles des ports catalans, notamment de Tarragone, se sont développées en symbiose, pouvant accueillir davantage de volumes ces dernières années », indique Philippe Heusèle. Ainsi, l’Ukraine, malgré le conflit, et surtout les autres pays du pourtour de la mer Noire (Bulgarie, Roumanie) déversent davantage leurs marchandises sur les ports espagnols aujourd’hui. Sachant que « la Catalogne et l’Aragón ont développé d’importantes productions de viandes blanches dans l’arrière-pays. Ainsi, faire venir les marchandises depuis la mer Noire puis la Méditerranée a fortement gagné en attractivité », complète l’expert.

L’Espagne est donc essentiellement un marché d’alimentation animale, où le prix importe davantage que la qualité. Il est par exemple tout à fait possible en 2023- 2024 de voir le maïs brésilien s’implanter massivement, au détriment du blé ou de l’orge française, ce qui est déjà arrivé lors de campagnes précédentes. Fabien Falc, responsable céréales de la coopérative Qualisol (Tarn-et-Garonne), constate une autre évolution dans les relations de commerce de grains France-Espagne: « Auparavant, les Espagnols achetaient régulièrement du blé meunier et fourrager, un peu d’orge aussi. Aujourd’hui, avec le développement du port de Tarragone, c’est beaucoup plus volatil. Ils peuvent acheter l’équivalent de trois fois notre collecte (200 000 t) en une journée, et disparaître pendant des mois. Cela devient comme le maïs. »

Des opportunités manquées

Le cas du Sud-Ouest, soit une partie de l’Occitanie et de l’Aquitaine, peut constituer une alerte pour le reste du pays lors de la présente campagne. Bien que la région soit un marché de proximité pour les acheteurs espagnols, et qu’ils étaient demandeurs dès le printemps 2023, les exportateurs locaux ont manqué des opportunités. « Lorsque les Espagnols étaient demandeurs en mars-avril 2023, les vendeurs français du Sud-Ouest étaient peu présents, car le printemps était sec, faisant craindre une mauvaise récolte chez nous également. Les Espagnols se sont donc couverts depuis des régions plus éloignées : le centre de la France, la Charente, le sud de Paris, mais aussi depuis les pays d’Europe de l’Est et baltes », rapporte Fabien Falc. Pour le coopérateur, les Espagnols ont couvert l’essentiel de leurs besoins en céréales jusqu’à fin 2023.

Mais de nombreuses affaires seront à conclure entre janvier et juin 2024. S’il est confiant, il reste prudent: « Il ne faudra pas manquer la fenêtre de tir, car la concurrence de l’Europe de l’Est est là. » Cela ne sera pas forcément aisé. Rappelons que la logistique s’avère plus complexe aujourd’hui. Les camions, mode prédominant d’exportation des grains depuis la France vers l’Espagne, manquent cruellement de part et d’autres des Pyrénées depuis plusieurs années. Intercéréales estime qu’environ 85 % des échanges se font par ce biais annuellement, le reste l’est par voie maritime. « Le coût du camion s’élevait à 18-20 euros par tonne par le passé entre la zone au sud de Toulouse et vers le nord de l’Espagne. Aujourd’hui, on est plutôt à 27-28 euros par tonne », déplore José Luís Esteban, président de la Bourse aux grains de Barcelone.

Le manque de camions est un phénomène structurel et s’explique essentiellement par une pénurie de chauffeurs. « Les conducteurs sont âgés. Il y a un problème de renouvellement des générations. Les salaires ne sont guère attractifs, et les conditions de travail difficiles, avec de longues heures de trajets », regrette José Luís Esteban qui ne voit pas la situation s’améliorer cette année. « Les années antérieures, les chauffeurs de camions espagnols étaient souvent d’origine d’Amérique du Sud et d’Europe de l’Est. Avec la Covid-19, bon nombre d’entre eux sont rentrés chez eux. Et avec la reprise économique dans ces pays, il y a eu des besoins de transporteurs, ce qui fait qu’ils ne sont pas revenus », estime Fabien Falc.

La logistique joue sur la valeur des primes (différence entre le prix du marché à terme et du marché physique). Ces dernières risquent donc d’être encore volatiles en 2023-2024.

Le train peut être une solution, mais reste aujourd’hui très peu usité, et ce, pour diverses raisons: développement du port de Tarragone rendant le rail non compétitif, soucis techniques (retards de livraisons notamment), etc. Bon nombre d’usines espagnoles ont donc abandonné leurs infrastructures les connectant aux lignes ferroviaires, d’après les spécialistes interrogés. Les réinstaller prendra du temps et aura un coût. Plus de navires français vers l’Espagne ?

En revanche, le bateau est susceptible de prendre de l’importance. « Il y aura peut-être des occasions à saisir pour les ports de Port-la-Nouvelle et de Sète, sans oublier ceux sur l’Atlantique. L’essentiel de l’industrie consommant des grains en Espagne se trouve dans le nord du pays, mais le Sud a aussi des besoins, et nos sites sur la Méditerranée pourraient en profiter, notamment vers Séville », confie un expert privé. Fabien Falc ajoute que des chargements depuis Rouen sont partis vers l’Espagne « à la fin du printemps/début de l’été 2023 ». Cela pourrait se reproduire sur la période 2023-2024.

L’Espagne craint les autres acheteurs

L’Espagne regarde le comportement des clients de la France, spécialement la Chine. « Si la Chine se remet à acheter des céréales françaises, cela créera des tensions. De plus, les clients traditionnels comme l’Afrique ont aussi des besoins. Cela ne va pas être aussi simple pour les acheteurs espagnols », concède José Luís Esteban, président de la Bourse aux grains de Barcelone. Un analyste privé confirme ces propos, en prenant le cas de l’orge fourragère : « Le marché français de l’orge est semblable à une bulle ces derniers temps. Dès que la Chine arrive, les primes explosent, et les autres pays, dont l’Espagne, doivent payer plus cher pour s’approvisionner. »

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