L’agriculture face au décrochage entre économies réelle et virtuelle
Volatilité – L’ANMF milite pour une régulation des marchés physiques par une politique de gestion mixte des stocks, à la fois publique et privée
La légitimité d’une nouvelle Pac en Europe est discutée, alors que se définissent les perspectives budgétaires de l’UE pour la période 2014-2020. Pour répondre à ces nouvelles préoccupations, Pluriagri* et l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) ont organisé le 27 octobre 2010 à Paris un colloque intitulé “L’agriculture face à l’incertitude des marchés. Quels enseignements de la recherche pour la politique agricole ?”
L’importance des politiques agricoles, permettant de lisser les crises induites par l’aspect saisonnier de l’agriculture, a été souligné, en introduction, par la présidente de l’Inra, Marion Guillou. Selon elle, la multiplication des aléas climatiques entraînant une stagnation des rendements, la hausse de la circulation des biens et des personnes, favorisant les épidémies, et les politiques de stocks publics, ont accru l’inélasticité du marché des grains.
La proposition défendue par l’ANMF
L’influence croissante des marchés financiers en agriculture et le démantèlement des politiques agricoles de soutien par les prix, ont participé au divorce entre l’économie réelle et la sphère financière, a rappelé Bernard Valluis, président délégué de l’ANMF (Association nationale de la meunerie française). Malgré la réforme de la régulation des marchés financiers, par la révision de la directive européenne des “Marchés des instruments financiers” (MiFid), la régulation des marchés physiques, par une politique publique gérant les bilans d’approvisionnement, est nécessaire pour le président délégué de l’ANMF. Au vu des coûts budgétaires liés au stockage public, incompatibles avec les engagements français et européens à l’international, un dispositif alternatif de gestion des stocks doit être mis en place, selon Bernard Valluis. Ce dernier propose une gestion mixte des stocks, entre un donneur d’ordre public et une gestion des réserves par les intervenants privés, sous le contrôle des sociétés de surveillance pour garantir la bonne réalisation des opérations. Ce système verrait les institutions financières encadrer le portage des stocks et les opérateurs physiques stocker de façon privée les réserves stratégiques. Bernard Valluis a souligné l’importance d’une gouvernance appropriée pour la mise en œuvre d’un tel système. Ceci, afin de définir les modalités des conventions et contrats fixant les droits et obligations des parties prenantes au dispositif.
La recherche au service des politiques
Ces propositions de Bernard Valluis pourraient s’inscrire dans les pistes de stabilisation des revenus avancées par la recherche. En modélisant différents modes d’interventions sur les marchés agricoles, l’Inra a présenté un état de l’art des politiques publiques et de leurs effets sur les revenus agricoles, les prix de l’alimentation pour les consommateurs et les coûts budgétaires des Etats. Pour un même coût budgétaire, les retraits de marchés seraient plus efficaces à court terme, comme réponse à une urgence, que les aides publiques découplées, qui elles répondraient mieux à moyen terme, selon Hervé Guyomard, directeur scientifique à l’Inra de Paris.
Pour Alexandre Gohin, de l’UMR Smart Inra Agrocampus Ouest, les variations cycliques de prix en agriculture liées aux erreurs d’anticipation des producteurs, effet Cobweb, peuvent être amorties grâce à la contractualisation. Si les contrats vers l’aval sont évoqués, les coûts de fermage pourraient aussi être renégociés chaque année en fonction de la valeur des productions. Ces mesures permettraient d’absorber une partie de la volatilité par une diminution des coûts de production. Car, comme le souligne Marion Guillou, la mondialisation de l’agriculture faisant face à la hausse des coûts de l’énergie et des intrants, avec en parallèle une faible hausse moyenne des cours agricoles, ont fortement fait baisser les revenus agricoles par un phénomène de ciseau.
(*) : Pluriagri est une association formée par le Crédit agricole et les producteurs de céréales, oléoprotéagnieux et betteraves à sucre, afin de financer des études et des recherches prospectives en agriculture.