Engrais - Comment la Russie concurrence les produits français
La production russe d’engrais azotés et spécialement d’urée s’est frayé un chemin sur le marché français à la faveur de la hausse des prix des engrais en 2022-2023. Une situation qui inquiète les producteurs français
La production russe d’engrais azotés et spécialement d’urée s’est frayé un chemin sur le marché français à la faveur de la hausse des prix des engrais en 2022-2023. Une situation qui inquiète les producteurs français
Le marché français des engrais a vu l’arrivée de volumes importants d’urée russe au moment de la crise des engrais en 2022 à la suite de la guerre en Ukraine. Ces importations concurrencent directement l’ammonitrate et les autres composés produits par les fabricants français à un coût supérieur, mais dont l’impact carbone est moindre. Les industriels français s’inquiètent de cette nouvelle tendance de marché.
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Des engrais azotés russes plus compétitifs
Dans le sillage de la guerre en Ukraine, les prix du gaz et ceux des engrais européens, qui lui sont largement corrélés, ont connu une augmentation importante. Un défi pour l’approvisionnement des agriculteurs français. Des arbitrages ont été réalisés, en faveur notamment de l’urée, moins coûteuse que les autres formes d’engrais azotés. La part de l’urée a ainsi augmenté pour représenter 35 % des volumes d’engrais azotés en 2023 contre 24 % en 2022, selon Yannick Carel, ingénieur agro-économiste chez Arvalis.
La Russie a directement bénéficié de cette demande. Selon Renaud Bernardi, membre du bureau de l’Unifa (Union des industries de la fertilisation), « les importations d’urée russe ont été multipliées par deux, et ce, alors que 30 % de l’urée importée vient de Russie. Il y a une stratégie agressive de sous-cotation des prix qui crée une dépendance des agriculteurs français et européens », s’inquiète-t-il. Des fabricants d’engrais composés s’alarment également de la situation : « Nous subissons un dumping de la Russie sur les produits qu’ils exportent à destination de l’Europe de l’Ouest », déclare Olivier Duval, directeur Normandie Centre de Timac Agro. « L’écart de prix entre un produit fabriqué dans nos usines et un produit importé était de l’ordre de 100 €/t pour de l’engrais composé NPK triple 15 l’année dernière », précise-t-il.
« L’écart de prix entre un produit fabriqué dans nos usines et un produit importé était de l’ordre de 100 €/t pour de l’engrais composé NPK en 2023 », indique Olivier Duval de Timac Agro.
Pour Yannick Carel, dans un contexte de baisse des revenus céréaliers en 2024, « l’urée devrait en effet garder tout son intérêt », preuve de la compétitivité du produit sur le marché français. « Il y a un risque de création d’une dépendance structurelle », renchérit Renaud Bernardi.
Les ventes russes d’urée, une façon d’échapper aux sanctions européennes
Pour Renaud Bernardi, les exportations russes d’engrais sont une façon de contourner les sanctions internationales et notamment européennes qui pèsent sur ses exportations de gaz : « La Russie exporte son gaz sous forme d’engrais pour échapper aux sanctions. Cela lui génère des devises indispensables pour financer le conflit [militaire russo-ukrainien] ». Une vision que partage Olivier Duval : « C’est une stratégie de déstabilisation géopolitique », avance-t-il.
La préoccupation des industriels français a été portée à la connaissance de l’Union européenne
Le problème a été exposé aux autorités de Bruxelles, selon l’Unifa. « C’est un vrai sujet de préoccupation des producteurs qui ont communiqué en ce sens à la Commission européenne », révèle Renaud Bernardi. Selon Olivier Duval, il serait même question de sanctions (rappelons que la Commission européenne a récemment mis en place une taxe prohibitive sur les importations de céréales et d’oléo-protéagineux d’origine russe et biélorusse, ainsi que sur leurs produits dérivés). « L’Europe s’est saisie du sujet, même si la prise de décision est difficile, vu les contournements possibles. Il faut défendre nos technologies au-delà du prix », plaide-t-il. Des producteurs russes ont déjà été sanctionnés. Pour Yannick Carel, une éventuelle mesure de taxation pourrait ne pas avoir l’effet escompté car « la Russie trouvera le moyen de contourner de telles pénalités ».
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Des taxes de compensation carbone aux frontières pourraient cependant freiner les importations en provenance de Russie
Autre caractéristique de l’urée russe, les technologies qui permettent sa production ont un impact carbone plus élevé que celui de ses homologues européens. Dans le cadre du projet européen MACF (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières), qui devrait être pleinement opérationnel en 2026, des taxes devraient pénaliser les engrais d’importation produits à partir de technologies rejetant plus de CO2 dans l’atmosphère.
D’après Nicolas Broutin, directeur de Yara France, « les engrais produits dans l’Union européenne ont un profil carbone plus avantageux, grâce à l’utilisation de la technologie catalytique sur la plupart des sites européens, dont la totalité des usines de Yara en Europe ». Il espère que la nouvelle taxation rééquilibrera le marché. « Celle-ci ouvre une perspective de compétitivité pour les industries plus propres. Il est nécessaire d’accompagner la décarbonation pour être compétitif sur un marché qui sera taxé », avance-t-il.
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