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Tensions commerciales États-Unis/Chine
La carte des échanges mondiaux de grains en travaux

Les tensions commerciales entre les deux leaders mondiaux pourraient renforcer des acteurs extérieurs au conflit.

© Ella Le Lièvre

Alors que les États-Unis et la Chine se livrent une guerre commerciale, engendrant, entre autres, une chute des cours du soja au départ des Etats-Unis, et une hausse de ceux au départ du Brésil (cf. graphes), « des pays observateurs du conflit, tel que le Brésil et l’Ukraine, seraient les principaux gagnants », estime Thierry Pouch, économiste de l’APCA (Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture). Selon lui, ces pays pourraient augmenter leurs parts de marché en Chine, et renforcer leur puissance agricole, par le biais de ventes accrues de soja (Brésil) ou de maïs (Ukraine). « L’Inde, capable d’exporter du soja, pourrait également en profiter », ajoute-t-il. Si ces tensions commerciales perduraient, la carte des flux mondiaux de grains s’en retrouverait chamboulée.

De nouveaux circuits de réexpédition en Asie et en Amérique latine ?

Depuis le début du conflit, la Chine cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement de soja, auprès du Brésil bien sûr, de l’Inde, mais aussi d’autres pays du sud-est Asiatique. « On peut imaginer que des pays d’Asie du sud-est, comme le Vietnam, le Laos… se procurent du soja américain, réexpédié ensuite vers la Chine », signale Jean-Marc Chaumet, agroéconomiste de l’Idele (Institut de l’élevage). Ce dernier rappelle que la Chine a abaissé les droits de douanes sur les importations de produits agricoles en provenance des pays voisins (Inde, Bengladesh, Corée du Sud etc.), passant de 3 % à 0 %. Des circuits parallèles sont également susceptibles de se développer en Amérique latine. « Le Brésil n’a certes actuellement pas les moyens de couvrir à lui seul les besoins chinois, mais il pourrait importer des volumes du Paraguay voire des États-Unis, puis les réexpédier vers la Chine », précise Thierry Pouch. Sans oublier la Russie. « Les Chinois et les Russes négocient pour l’installation d’une usine de trituration de soja en Russie, qui permettra d’exporter des tourteaux. Ensuite, les chinois font l’acquisition d’un terminal portuaire en Russie, pour faciliter les échanges », rappelle Jean-Marc Chaumet. Bill Nelson, économiste au sein de Doane Advisory, précise que les Russes ont exporté 0,45 Mt de soja sur la Chine en 2017, et ont exporté 0,477 Mt entre janvier et mai 2018. « La Russie est importatrice nette de soja. Mais cela ne les empêche pas d’exporter vers la Chine. La Russie exporte son soja vers la Chine depuis la Sibérie, et en importe du Brésil, qui approvisionne l’ouest du pays ». Andrey Sizov, directeur général du bureau de conseil et d’analyse russe SovEcon, déclarait le 2 août au média argentin La Nacion, projeter les expéditions russes de soja vers l’Empire du milieu à 700 000 t.

L’Ukraine pourrait de son côté augmenter ses ventes de maïs vers la Chine de 10 % entre 2017-2018 et 2018/2019, grâce à une récolte nationale 2018 qui s’annonce record, aux alentours de 27-28 Mt, selon le ministère de l’Agriculture ukrainien au 31 juillet, mais également du fait des tensions Chine/Etats-Unis. Ce dernier précise que le soja pourrait lui aussi avoir de nouvelles possibilités. Le potentiel est effectivement élevé, sachant que l’Ukraine n’exportait en 2017 que 15 000 t environ de soja vers la Chine, selon plusieurs analystes privés.

En plus de diversifier ses sources d’approvisionnement, la Chine mise à la fois sur le soutien de son marché intérieur, et la réduction de sa consommation. « La Chine subventionne ses producteurs et ses industriels pour la production et l’utilisation de soja local. Le gouvernement a en parallèle lancé un programme de recherche visant à réduire la quantité de protéine dans les formules d’aliments pour animaux, afin de réduire les émissions d’azote », rapporte Jean-Marc Chaumet.

L’indicateur à surveiller : les élections mi-mandat aux États-Unis

Une question est de savoir si ce conflit Chine/États-Unis va durer, pour voir la carte des échanges mondiaux durablement se redessiner. Un élément de réponse surviendra en novembre 2018, date des élections de mi-mandat aux États-Unis. « Une victoire de D. Trump le renforcerait dans sa stratégie de guerre commerciale, alors qu’une défaite l’affaiblirait », analyse Jean-Marc Chaumet. Thierry Pouch acquiesce, précisant toutefois qu’un président américain peut tout de même passer outre un vote à son encontre, et penche pour un prolongement du conflit quoiqu’il arrive, les deux pays ayant les moyens de faire durer. Du côté des États-Unis, le plan d’aide de 12 milliards de dollars a été bien accueilli par les agriculteurs états-uniens, renforçant la base électorale de D. Trump. « Les États-Unis peuvent tout à fait supporter ce coût et faire durer le conflit. Le plan d’aide inclut des aides couplés à la production, financé par la Commodity Credit Corporation, qui dispose d’un droit de tirage auprès du trésor américain de 30 milliards de dollars. Autre moyen de financement : une loi de 1935 permet le prélèvement de 30 % des recettes douanières pour le rachat de surplus de produits agricoles. Sachant que les États-Unis ont relevé leurs droits de douane, ils disposent d’une manne importante pour tenir », détaille Thierry Pouch. Enfin, un potentiel de compensation existe chez les autres clients traditionnels de soja états-unien. « Après la Chine, qui s’approprie environ 60 % des volumes états-uniens, viennent l’UE (9 %), le Mexique (6 %), le Japon (1,8 %) et l’Indonésie (1,5 %). On peut imaginer que ces pays augmentent quelque peu ces chiffres ». Concernant la Chine, « le pays dispose de réserves de devises d’un peu moins de 4 000 milliards de dollars », rappelle Thierry Pouch. Ceci leur permet de subventionner leurs agriculteurs et industriels locaux, de baisser les taux d’intérêts pour favoriser les investissements, et de surpayer les importations de grains. « Les chinois ne veulent pas perdre la face et ne céderont pas si facilement. Ils font le dos-rond, espèrent faire baisser les prix du soja en provenance des Etats-Unis un maximum, et font le pari suivant : D. Trump, impopulaire, ne sera pas réélu. Il faudra attendre donc 2 ans et ensuite, la situation se calmera », explique Jean-Marc Chaumet.

Maintien de prix bas du soja sur Chicago, fermeté en colza sur Euronext ?

Si le conflit venait à durer, « les fabricants d’aliments français et européens pourraient bénéficier d’importations de soja états-unien bon marché, dans l’hypothèse où les relations États-Unis/UE restent bonnes, ce qui est loin d’être évident », juge Thierry Pouch. Et ce malgré le fait que l’UE vantait au 1er août une hausse de 283 % des achats de soja états-unien entre 2017 et 2018, pour un total de 360 000 t (37 % des importations de soja de l’Europe des 28, contre 9 % en juillet 2017). Mais ce constat est essentiellement lié à la forte dévaluation du soja états-unien depuis le début du conflit États-Unis/Chine, plutôt qu’à une réelle détente des relations entre les deux continents. Stefan Vogel, expert de la Rabobank, précise que la hausse des exportations de soja états-unien vers l’UE a débuté en mai 2018. Il estime que les Américains doivent rester compétitifs pour écouler leur soja dans le monde, limitant les velléités haussières des cours du soja sur Chicago, spécialement lors du début de la récolte états-unienne, prévu pour septembre 2018. « Nous prévoyons une hausse de la trituration de graines de soja importée dans l’UE, passant de 14,5-15 Mt/an d’habitude, à plus de 16 Mt en 2018/2019 ». Autre élément baissier : « la récolte pourrait atteindre un record aux États-Unis », alerte Bill Nelson. La Chine risquant d’acheter davantage de canola canadien/australien, également source d’approvisionnement pour l’UE, ceci pourrait être source de hausse des prix du colza sur Euronext, selon Thierry Pouch.

En maïs, « la restriction des importations de sorgho états-unien par la Chine continuerait de peser sur les cours sur Chicago. En revanche, la hausse des prix sur Euronext pourrait se poursuivre, l’UE bénéficiant d’une mauvaise récolte de grains pour alimenter ses animaux, et devra se tourner davantage vers le maïs local, mais aussi en provenance d’Ukraine, qui va réserver plus de volume pour la Chine », commente Bill Nelson.

ADM en profite, Bunge en pâti

Les deux géants du négoce agricole international, ADM et Bunge, ont profité de la présentation de leurs résultats pour donner leur point de vue sur les effets de la dispute commerciale entre la Chine et les Etats-Unis sur leurs activités. Il en ressort que le premier s’en sort mieux que le second, son rival, qu’il essaie d’absorber.
ADM a annoncé le 31 juillet 2018 un doublement de son bénéfice net, à 566 millions de dollars, grâce notamment aux activités d’exportations de grains et protéines lors du deuxième trimestre 2018 (avril-juin) par rapport au 2ème trimestre 2017. Dans le détail, le groupe a augmenté ses exportations de soja au départ des Etats-Unis vers d’autres pays que la Chine. Ensuite, les traders d’ADM ont adopté des stratégies de couverture prudente sur le contrat à terme soja de Chicago.De son côté, Bunge annonçait une perte de 125 millions de dollars entre les deuxièmes trimestres 2017 et 2018 liée aux activités de couverture sur les contrats à terme et la trituration de soja. Le groupe tablait sur une guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis de courte durée, et a procédé à de mauvais arbitrages sur Chicago, ainsi que sur la monnaie brésilienne. « Ces arbitrages sur les contrats à termes soja auraient pu s’avérer très rentables si les tensions commerciales n’avaient pas duré », commente Bunge. « Les traders de Bunge sont connus pour leur comportement plus risqué », déclarait le même jour à Reuters Michael Underhill, directeur des investissements pour Capital Innovations, actionnaire de Bunge mais aussi d’ADM.
ADM et Bunge sont optimistes pour la seconde partie de l’année 2018, pariant sur un maintien de la demande mondiale en soja (graines, tourteaux…), tirant les prix vers le haut, notamment de la graine de soja au départ du Brésil. Les marges de trituration de soja sont bonnes actuellement, et devraient se maintenir, arguent les deux sociétés.

 

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