Évaluation des risques : que vaut le nouveau modèle CVAR d'Euronext ?
La société boursière Euronext s’est dotée d’un nouveau modèle d’évaluation des risques de marché en 2024. Reste à savoir si ses objectifs seront atteints, notamment une baisse des besoins en capitaux pour les adhérents compensateurs et les utilisateurs des contrats à terme blé tendre, maïs et colza.
La société boursière Euronext s’est dotée d’un nouveau modèle d’évaluation des risques de marché en 2024. Reste à savoir si ses objectifs seront atteints, notamment une baisse des besoins en capitaux pour les adhérents compensateurs et les utilisateurs des contrats à terme blé tendre, maïs et colza.
Euronext a adopté au cours du second semestre 2024 un nouveau modèle d’évaluation des risques de marché : la CVAR (Conditional Value At Risk), afin d’optimiser le fonctionnement de ses contrats à terme blé tendre, maïs et colza. Il est censé abaisser les coûts d’utilisation pour les adhérents compensateurs, qui se répercuteraient sur les opérateurs (meuniers, organismes stockeurs, fonds, etc.).
« L'objectif de 20 % de baisse [des coûts d’utilisation des contrats à terme] paraît trop ambitieux. Dès qu’il y a beaucoup de volatilité, la réduction des frais est très faible, voire se convertit en hausse », note un opérateur.
L’idée est simple : attirer davantage d’intervenants, augmenter la liquidité des contrats. Toutefois, un débat émerge entre les parties prenantes quant aux conditions de réduction de ces frais permise par le modèle. En juin 2024, Camille Beudin, membre du comité exécutif d’Euronext, déclarait espérer une baisse des dépôts de garantie (aussi appelés Initial Margin - IM) de « 20 % en moyenne » grâce à la CVAR. Ces économies seraient permises par une analyse plus fine et plus fréquente des risques de marché.
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Modèle CVAR contre modèle SPAN
La CVAR dispose de plusieurs avantages techniques par rapport au modèle antérieur qu’était le SPAN (Standardized Portfolio Analysis of Risk). Premièrement, la CVAR suit quotidiennement la volatilité des marchés, contrairement à l’ancien. « Cela permet de lisser l’évolution des montants des IM et des appels de marges (Variations Margins - VM). Avec la CVAR, ces capitaux requis évoluent faiblement mais tous les jours, faisant que les opérateurs des marchés et les adhérents compensateurs peuvent davantage anticiper et ne pas faire varier de manière trop brusque leurs trésoreries », relève Robin Maisonneuve, directeur matières premières d’Euronext. Un opérateur, souhaitant garder l’anonymat ajoute que grâce « à l’augmentation de la fréquence d’observation du risque, le nouveau modèle permet effectivement une petite économie de marges ».
Un ADHERENT COMPENSATEUR, c’est quoi ?
L’adhérent compensateur est un organisme financier chargé de sécuriser le fonctionnement des marchés à terme. Il gère l’intégralité des flux financiers des contrats Euronext blé tendre, maïs et colza. Chaque opérateur qui achète et/ou vend des lots (voire des options) doit disposer d’un compte Euronext, ouvert la plupart du temps auprès d’un adhérent compensateur. Il peut s’agir d’une banque : Crédit agricole, Société générale, BNP Paribas, etc. Les adhérents compensateurs collectent les dépôts de garantie (Initial-Margin - IM) ainsi que les appels de marges (Variations Margins - VM), pour les reverser immédiatement à la chambre de compensation. Il en existe de types vendeur et acheteur. Du côté des vendeurs, la majorité de leurs clients (coopératives, négoces, agriculteurs, fonds…) possèdent des positions dites « courtes » sur les contrats à terme, mais sont « longs » sur le marché physique. Pour les acheteurs (meuniers, fabricants d’aliments pour animaux, fonds, etc.), c’est l’inverse.
Deuxièmement, le SPAN analysait la volatilité produit par produit, alors que la CVAR raisonne par portefeuille. « Le modèle SPAN analyse la volatilité du contrat à terme blé tendre pour l’échéance septembre uniquement, alors que la CVAR, plus holistique, va le faire pour septembre, décembre, mars… Elle mesurera également la volatilité sur les contrats maïs, colza et blé tendre, car il y a souvent une corrélation entre ces produits », argue Camille Beudin.
Mais tout le monde n’est pas totalement satisfait par les conditions de baisse des coûts d’utilisation des contrats à terme Euronext permises par la CVAR. S’il admet un recul effectif des frais dans l’ensemble, un autre intervenant désireux de conserver l’anonymat estime que l’objectif de « 20 % paraît trop ambitieux. Dès qu’il y a beaucoup de volatilité, la réduction des frais est très faible, voire se convertit en hausse. »
Un organisme compensateur, Caceis, filiale des groupes bancaires Crédit agricole et Santander, gérant les comptes de nombreux vendeurs français, partage plutôt cette vision.
Différence de traitement entre acheteurs et vendeurs
Le compensateur corrobore les avantages techniques de la CVAR par rapport au SPAN : analyse holistique et suivi au jour le jour de la volatilité. Mais si le montant des capitaux à mobiliser peut s’avérer plus faible, le compensateur indique que ce n’est pas le cas en toutes circonstances. « L’impact positif de la CVAR dépend de l’exposition du client sur le Matif [Euronext] et du contexte de marché en matière de volatilité et de prix de la marchandise. Une meilleure évaluation du risque lié à la volatilité n’induit pas nécessairement une baisse du coût de portage des contrats à terme. Par exemple, fin mai, soit plus d’un mois avant la migration sur Euronext Clearing [voir encadré], nous constations avec la CVAR une hausse des IM pour nos clients en pleine période de chocs de prix », pointe Jean-Loïc Bégué-Turon, responsable clients matières premières agricoles au sein de Caceis.
Autre critique : avec le nouveau modèle, les vendeurs paient toujours des IM en moyenne plus élevés que les acheteurs. « Les opérateurs de la filière agricole sont considérés au même titre que les spéculateurs financiers, ce qui n’est pas le cas sur d’autres marchés à terme », pointe Jean-Loïc Bégué-Turon. La justification : « Historiquement, nous constatons que les prix montent plus vite qu’ils ne baissent. Ainsi, on peut admettre que les vendeurs doivent payer davantage de frais. »
L’expert fournit quelques exemples chiffrés. « Le 23 mai 2024, avec la CVAR, un vendeur de blé aurait payé 35 €/t d’IM, contre 23 €/t pour l’acheteur. Au même moment, avec le SPAN, l’IM était de 28 €/t pour les deux. Quelques jours après la mise en place d’Euronext Clearing, nous étions respectivement à 27,50 €/t et 17,50 €/t avec la CVAR, après une baisse des cours à 215 €/t et un recul de la volatilité. Enfin, l’IM serait à 40 €/t pour les vendeurs et 30 €/t pour les acheteurs dans l’hypothèse d’un cours à 300 €/t avec la CVAR, dépassant les IM requises via le SPAN », indique Jean-Loïc Bégué-Turon.
Pour accompagner la filière agricole, il serait plus logique selon le spécialiste de facturer davantage les acheteurs et les intervenants financiers. « Il s’agit d’un véritable point d’attention puisque le fonctionnement des contrats à terme européens dépend avant tout de son utilisation par la filière grains », soulève l’expert de Caceis.
Euronext répond que « les modèles n’ont pas vocation à rémunérer ou favoriser certains acteurs, en particulier s’ils présentent un profil plus risqué ». L’entité boursière admet que les vendeurs doivent mobiliser davantage de capitaux que les acheteurs. Mais ils restent globalement gagnants par rapport à l’ancien modèle, d’après elle.
Euronext chiffre également ses affirmations. « Le 15 juillet 2024, un acheteur payait un IM de 17,32 €/t pour du blé livraison septembre, et de 27,24 €/t à la vente. Avec le SPAN, à peu près au même moment, soit jusqu’au 12 juillet 2024, ce montant s’élevait à 28,17 €/t pour les acheteurs et les vendeurs », indique le service communication du groupe.
D’autres Bourses adoptent la CVAR ou assimilé (VAR)
Euronext déclare, par ailleurs, que « le modèle CVAR correspond au meilleur standard de l’industrie. Le London Metal Exchange [LME], Ice Clear Europe ou le Chicago Mercantile Exchange [CME, proposant des commodités agricoles] ont commencé ou annoncé leur transition d’un modèle de marge traditionnel [SPAN] au modèle VAR. »
Conclusion : les intervenants contactés sont unanimes sur les avantages techniques de la CVAR par rapport au SPAN. Mais le débat n’est pas clos au sujet de la baisse des capitaux requis par les adhérents compensateurs et utilisateurs, et la différence de traitement entre acheteurs et vendeurs. Sachant que les frais varient en fonction des conditions de marché (niveau des prix, volatilité, etc.), fixer un objectif de baisse de coûts précis s’avère ardu.
Le commencement de la CVAR : le rachat de la Borsa Italiana en 2021
L’adoption du modèle d’évaluation des risques de marché CVAR par Euronext a été permise par le fait qu’elle détient depuis 2021 sa propre chambre de compensation : Euronext Clearing, situé à Paris et à Rome. Cela via le rachat de la Borsa Italiana. « Nous avons commencé par la migration de tous les marchés comptants en novembre 2023. Puis, nous avons décidé de faire migrer les dérivés financiers, et les matières premières agricoles cette année, lors du second semestre 2024 », détaille Camille Beudin, membre du comité exécutif d’Euronext.