Influenza aviaire : La vaccination est au cœur des interrogations
Faudrait-il vacciner ou non les canards contre l’influenza aviaire à la prochaine saison migratoire ? La réponse n’est pas simple et loin de faire l’unanimité.
Faudrait-il vacciner ou non les canards contre l’influenza aviaire à la prochaine saison migratoire ? La réponse n’est pas simple et loin de faire l’unanimité.
Dès que le nombre de foyers landais a explosé fin décembre, la solution de la vaccination a très vite été évoquée par certains éleveurs. Elle a même été brandie comme l’arme fatale qui allait éliminer l’influenza aviaire des élevages de canards du Sud-Ouest. Avec en tête des demandeurs le collectif des Canards en colère. Dès le 8 janvier, son leader Lionel Candelon affirmait sur Facebook, après une rencontre avec des fonctionnaires du ministère de l’Agriculture : « Tout le monde commence à se rattacher à cette idée-là. Pour septembre 2021, le vaccin H5N8 doit être disponible. » Produisant des prêts à gaver en filière longue mais fournissant et défendant les circuits courts, l’éleveur gersois estimait que c’était la seule solution pour qu’à cette période les éleveurs puissent continuer à mettre sereinement leurs canards à l’extérieur.
Selon Laurent Deffreix et Xavier Banse, vétérinaires dans le Sud-Ouest, qui ont vu les dégâts du H5N8 en inspectant et en euthanasiant les canards, cette demande devrait être au moins examinée. Le recours à la vaccination fait partie des questions à débattre parmi le panel des solutions (renforcement de la biosécurité, mise à l’abri, révision des densités… ).
« Il faudrait voir la vaccination comme une récompense, plutôt que comme la solution exonérant de la biosécurité et de la mise à l’abri », estime Xavier Banse, vétérinaire avicole dans les Pyrénées-Atlantiques. Même son de cloche du côté de Serge Mora, président du syndicat Modef des Landes, qui considère que « ce serait l’arme du dernier recours », tandis que Michel Fruchet, président du Cifog, parle de « pansement sur une jambe de bois si on ne commence pas par mettre à l’abri. »
Des lignes antivaccination qui bougent
Au-delà des considérants scientifiques, l’argument défavorable à la vaccination est économique, puisque les exportations d’animaux vivants ou de produits seraient perturbées. Pour Anne Richard, la directrice de l’interprofession de la volaille de chair (Anvol), « la perte du statut de pays indemne en cas de vaccination et l’absence d’un vaccin reconnu efficace par les autorités ont bloqué les débats. Mais compte tenu de la multiplication des épisodes d’influenza, la question mérite d’être réétudiée. Toutefois, la vaccination ne doit pas être vue comme la solution miracle. Le travail sur la mise à l’abri des animaux et la baisse des densités dans les zones les plus denses en période à risque, ainsi que l’application stricte des mesures de biosécurité doivent aussi être explorés. »
L’interprofession du foie gras est sur la même ligne de conduite, en précisant que la vaccination pourrait être envisagée afin de sauvegarder des ressources génétiques menacées (le dernier troupeau landais d’oies reproductrices a été touché par le virus et euthanasié) et les palmipèdes reproducteurs déjà logés sur des sites sécurisés.
À l’issue de son conseil d’administration du 4 février, l’interprofession a décidé de demander et a obtenu la création d’un groupe de travail au ministre Julien Denormandie, pour réunir les parties prenantes (scientifiques, fournisseurs de vaccins, professionnels, administration) et objectiver la situation. Sa directrice Marie-Pierre Pé précise que « c’est une demande forte du terrain. »
Vacciner sans pénaliser toutes les exportations
Le débat pourrait être posé en ces termes : faut-il vacciner en risquant de perdre le statut indemne ou ne rien faire et courir le risque de subir une grave épizootie tous les 2-3 ans ? Sachant qu’après chaque crise, il a fallu attendre plusieurs mois pour revenir au statut indemne (octobre 2017 mais deux ans pour rouvrir la Chine au foie gras français), qu’il a fallu euthanasier des millions de volailles et que toutes les filières avicoles ont été perturbées de longs mois. Pour les secteurs exportateurs comme la sélection-accouvage et les volailles de chair, la vaccination pourrait être acceptable si les exportations restaient possibles à partir des zones ne vaccinant pas.
Les trois épizooties d’influenza vont certainement coûter plus d’un milliard d’euros aux professionnels et aux contribuables. Ce sacrifice – au sens propre – a-t-il permis à la France d’exporter autant vers les pays qui l’auraient boycotté si elle avait vacciné ? À supposer que la France s’oriente vers la vaccination, il ne faut pas s’attendre à une application rapide, le temps que dure le débat franco-français, puis celui avec l’Europe et avec l’organisation mondiale de la santé animale (OIE).
Pour mémoire, la France a porté à l’OIE la révision de la prise en compte des virus IA H5 et H7 faiblement pathogènes dans la définition du statut indemne. C’était il y a quatre ans. Reportée pour cause de Covid-19, la modification du Code sanitaire sera discutée en mai prochain à l’assemblée générale de l’OIE, avec une application en janvier 2022. À l’automne prochain, la priorité des éleveurs sera donc de mettre les canards à l’abri.
La vaccination est interdite par l’UE mais tolérée par l’OIE
L’Union européenne impose l’abattage sanitaire d’un foyer hautement pathogène (IA-HP) depuis 1992 et interdit la vaccination, sachant que cette politique sanitaire a été élaborée avec les connaissances scientifiques des années 80.
Le Code sanitaire (chapitre 10.4) de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) décrit en détail les conditions d’autodéclaration du statut indemne qui est prononcé sous l’entière responsabilité du pays concerné. Ce code sert de référence pour établir les règles sanitaires du commerce international.
En cas de vaccination que n'interdit pas l'OIE, le code sanitaire prévoit que même si le pays n’est plus indemne les interdictions de commercialisation peuvent être levées « s’il est possible de démontrer qu’une infection ne circule pas au sein d’une population vaccinée. »
En pratique, beaucoup de pays ferment leurs frontières (dont beaucoup sont eux-mêmes infectés), comme ils le feraient après une déclaration de foyers IA. Pourtant, le Code sanitaire OIE permet l’exportation des produits issus d’une « zone » indemne (ou un compartiment isolé). Selon le pays, cette zone initialement de 10 km peut s’étendre au département, à la région, ou à tout un pays.