Ils préservent la fertilité des sols en conciliant agriculture biologique et non-labour
Est-il possible de se passer du labour en agriculture biologique ? Témoignages chez deux agriculteurs engagés dans une réduction du travail du sol, avec une fertilité du sol sous surveillance.
Est-il possible de se passer du labour en agriculture biologique ? Témoignages chez deux agriculteurs engagés dans une réduction du travail du sol, avec une fertilité du sol sous surveillance.
« C’est un outil qui fusille le sol ! » Ne parlez surtout pas de charrue à Jean-Yves Boucher et Romain Bonenfant. À l’EARL des Herbues à Cruzy-le-Châtel dans l’Yonne, les deux agriculteurs restent des adeptes de l’agriculture de conservation des sols (ACS), même après leur conversion à l’agriculture biologique en 2017. Ils ont choisi de se priver de l’arme efficace que constitue le labour contre nombre d’adventices, malgré l’absence de la panoplie d’herbicides en bio. « Nous gardons notre orientation sur l’ACS pour économiser les passages d’engins et le carburant, mais aussi pour préserver la bonne activité biologique des sols », explique Jean-Yves Boucher. Dans leur itinéraire cultural bio, le sol n’est jamais travaillé au-delà de 5 centimètres de profondeur.
La rotation démarre avec trois ans de luzerne + trèfle violet. « Cette association est très efficace pour épuiser le chardon, une vivace qui pose souvent problème en agriculture biologique », relève Marianne Roisin, conseillère grandes cultures bio à la chambre d’agriculture de l’Yonne. Les légumineuses ont en outre un effet structurant sur le sol et apportent de l’azote qui profite aux cultures suivantes.
Une couverture du sol assurée l’été avec une légumineuse
Dans la rotation culturale de l’EARL des Herbues, des céréales suivent ce couvert de légumineuses. Le non-travail du sol est accompagné de l’introduction de couverts d’interculture. Jean-Yves Boucher et Romain Bonenfant veulent couvrir les sols le plus longtemps possible. « Sur céréales, nous avons résolu la question en y implantant un trèfle violet en mars-avril avec l’aide d’une herse étrille, ce qui n’abîme pas la culture, toujours claire en bio. La légumineuse, bien développée à la moisson, assure une couverture du sol pendant l’été. Un ou deux passages de scalpeur permettent une destruction partielle du couvert avant le semis de la culture suivante. Le couvert est laissé le plus longtemps possible pour produire son effet sur la structure du sol, la matière organique et l’apport d’azote », explique Jean-Yves Boucher.
Le même principe est retenu avec les couverts avant les cultures de printemps de la rotation (soja, lentille, tournesol et blé de printemps) qui succèdent à un épeautre ou à une avoine d’hiver associée à de la féverole. « Nous semons un mélange de seigle forestier avec un peu de pois fourrager qui produisent un beau chevelu racinaire pendant l’hiver. Nous comptons sur l’effet du gel pour freiner le développement du couvert et un scalpage est réalisé peu avant le semis de la culture de printemps, » précise l’agriculteur.
Les sols contiennent une bonne teneur en matière organique (MO) mais avec une proportion trop faible de la part labile. « Pour cette raison, nous ramenons beaucoup de biomasse au sol à travers nos couverts et nous enlevons les pailles de céréales, trop riches en lignine difficile à décomposer. » Pâturant sur les différents couverts entre février et novembre, les moutons de l’exploitation fertilisent aussi les sols. Même si l’objectif est de devenir autonome, des éléments fertilisants sont apportés en quantités limitées en culture.
Des terres à silex peu propices au travail du sol
Chez Vincent Lefèvre, agriculteur bio à Saint-Fargeau dans l’Yonne, la réduction du travail du sol s’est imposée pour plusieurs raisons. « J’ai pris le parti de perturber mécaniquement le moins possible mes sols pour bien préserver l’habitat des organismes. Je ne fais par exemple aucun désherbage mécanique ni de faux-semis. Par ailleurs, les conditions de passages sont difficiles avec des terres hydromorphes et à silex très usantes pour les outils et les pneumatiques. »
L’agriculteur limite son impact sur le sol à du déchaumage. Il ne s’interdit pas de réaliser un labour si le besoin s’en fait sentir. « Le non-travail du sol a tendance à créer un gradient de matière organique qui se concentre sur les horizons de surface, ce qui réduit les risques de battance et d’érosion sur mes sols fragiles. Dépendante de la MO, la vie biologique est le moteur qui améliore le fonctionnement du sol », précise-t-il. La rotation culturale sur huit ans comporte une forte proportion de légumineuses avec deux ans de luzerne + trèfle ainsi que des céréales (blé, orge, avoine, amidonnier, seigle) en association avec des protéagineux (féverole, pois, lentille). Un couvert d’interculture est semé entre les cultures d’hiver et de printemps, composé entre autres de crucifères.
« La prairie temporaire restitue entre 6 et 9 t/ha de matière sèche par an au sol. Aucune paille n’est exportée et j’ai recours à des variétés de blé anciennes qui produisent plus de paille que les variétés conventionnelles », signale le producteur. Le taux de MO évolue plutôt à la hausse avec des teneurs comprises entre 2,5 et 3,2 selon les parcelles. Il n’y a aucun apport d’engrais. « L’azote apporté par les légumineuses suffit pour des besoins faibles en bio. Le phosphore se maintient mais je remarque une baisse de teneur en potassium. Malgré cela, pour des questions d’autonomie de mon système, je n’ai pas prévu pour le moment d’apports de produits organiques. »
CHIFFRES CLÉS
Cultures et moutons à l’EARL des Herbues
270 ha dont 60 de blé tendre, 65 de luzerne + trèfle violet (3 ans en place), 20 d’avoine d’hiver + féverole, 20 de petit épeautre, 15 de lentille, 15 de tournesol, 15 de soja…
Sols peu profonds argilo-calcaires à limono argileux
20 à 25 q/ha en blé bio (60 à 65 q/ha en blé conventionnel avant 2017)
500 têtes de moutons
CHIFFRES CLÉS
Pas d’élevage chez Vincent Lefèvre
215 ha à la Ferme de la Trancherie à Saint-Fargeau, dont luzerne-trèfle (2 ans) et cultures récoltées associant souvent une céréale à une légumineuse
20 ha de céréales pour la transformation en direct en farine, le reste livré à la coopérative Cocebi
Sélection de blé population
Sols caillouteux à silex et sujets à l’hydromorphie
Peu ou pas de légumineuse en couverts d’interculture
Des adventices relativement bien contrôlées
Vincent Lefèvre ne recourt pas au désherbage mécanique. « Les adventices sont principalement gérées en préventif avec, par exemple, les deux ans de luzerne + trèfle qui réduisent radicalement leur développement. Leur broyage successif permet de bien réguler les chardons notamment, remarque-t-il. Mes variétés de céréales associées à des légumineuses ont une vigueur au démarrage telle que le sol est couvert rapidement. Il faut être tolérant à une certaine présence d’adventices, mais sans se laisser déborder. »